Je n'ai jamais été chanceuse. Je n'ai jamais eu le pouvoir de rencontrer ma mère. Cette dernière étant morte lors de ma naissance, elle n'est qu'un visage sur quelques photographies. Qu'un bout de papier qui s'efface au fil du temps. Du moins, c'est le cas dans mon esprit. Dans celui de mon père, c'est totalement différent. Il n'a jamais voulue parler d'elle, et ne le voudra sans doute jamais. Je ne sais qu'une chose, à chaque fois qu'il pose son regard sur moi, c'est elle qu'il voit. Je dois vivre avec son fantôme sur mon dos. Je dois vivre avec le poids immonde d'être celle qui a tuée la femme de sa vie. Je ne sais pas comment me comporter avec lui. Je ne sais pas si j'ai exactement le même caractère ou s'il ne s'agit que d'une bête ressemblance appeurante. Il a toujours été si distant et froid que je ne me souviens même pas de la dernier fois que j'ai vu son visage empli de bonheur. Mon père est pour moi tel un étranger en visite dans un pays lointain. Il ne sait pas comment me parler, comment m'aborder. Il ne sait même pas si j'ai quelqu'un dans ma vie. La seule personne qui semle m'accorder un peu d'amour, c'est ma grand-mère. Ou si vous préférer, sa mère. Elle, elle ne fait pas semblant quand elle me voit. Elle me prend dans ses bras et m'embrasse comme si ça fait des lustres qu'elle ne m'a pas vue. Elle tente de temps en temps de me parler de ma génitrice, mais son fils l'empêche catégoriquement de le faire. Dès qu'elle prononce son prénom, c'est comme si elle lui plantait un couteau dans le cœur. J'ai toujours vécu comme ça. Enfermée dans cette bulle infernale qui ne cesse de se rétrécir jusqu'à étouffement. Je n'ai même pas eu le droit de rencontrer les parents de celle qui m'avait donné la vie. Ils étaient complètement transparent. La seule chose que j'ai pu entendre sur eux, mon oreille trainante dans les couloirs, c'est qu'ils ne voulaient absolument pas faire ma connaissance. Sans doute parce que j'avais causé la mort d'un être cher à leur coeur. Je me souviens avoir toujours été énormément studieuse. Trop même. Quand j'étais petite, je me disais que si j'avais d'assez bons résultats, mon père m'accorderait peut-être de l'importance. Je me trompais, bien entendu. Le seule encouragement que je pouvais voir venir, c'était trois mots dénués de tout sens au fil des années. " je suis fier. " Fier de quoi ? D'une enfant qui n'a jamais eu d'amis à cause du poids qu'elle portait ? Fier de la manière dont elle se faisait injurier à l'école par ses camarades présomptueux ? Je n'ai jamais cru à ses mensonges. Je n'y croirais sans doute jamais. La rébellion contre le gouvernement de mon père c'était fait entendre lors de mes seize ou dix-sept ans. J'en avais marre. Je n'en pouvais plus de rester là, dans cet appartement de luxe, la bouche fermée à prendre sur moi, encore et encore. Je n'en pouvais plus de n'entendre sortir de sa bouche que des phrases bateau du style " alors la journée c'est bien passée ? " ou encore " j'ai commandé chinois comme nous sommes mercredi. ". C'était affolant à quel point il me répugnait à cette époque. Je le détestais de tout mon corps. Et je ne souhaitais pas comprendre ce qu'il avait à dire. Malgré que mes notes ne baissaient pas, et que mon comportement en classe restait aussi parfait qu'avant, dès que je passais le pas de la porte, je hurlais après lui pour une réaction. J'avais même fumé dans son salon pour la première fois de ma vie. Et la seule chose qu'il avait trouvé à dire, c'était " où as-tu trouvé ça Charline ? " Si seulement il savait que ça venait de sa commode. Si seulement il savait que j'avais eu envie de lui écraser le mégot sur la tête. Je ne m'étais ni fait punir ni fait consigner. Et c'est sans doute à ce moment-là que je comprenais que tout ceci ne servait à rien. Que mon père n'était qu'un cas désespéré. Lors de mes dix-huit ans, je découvrais alors une bisexualité très affirmé. J'aimais les filles autant que les garçons. Et puis mon corps n'étant pas le plus mal fichu du monde, c'était facile de jouer de certains charmes. Ma première fois avec une fille était aussi étrange que celle avec un garçon. On ne sait jamais vraiment comment faire ni comment amener la chose sur le tapis. Heureusement pour moi, j'étais toujours tombée sur des gens expérimentés, et je n'avais jamais eu de moments gênants ou foireux comme certains. Aujourd'hui, je suis étudiante à l'université d'Harvard. Et si vous vous demandez comment c'est possible, sachez que l'envie et la détermination y sont pour beaucoup. Depuis que j'habite sur le campus, je me sens libéré. Complètement. Je n'ai plus à penser au chinois du mercredi, aux burgers du dimanche. La seule chose qui m'importe vraiment, c'est mon bonheur, et j'en suis heureuse ainsi. Je sais que mon histoire n'est pas des plus merveilleuses, brillantes ou même amusantes. Mais elle est comme elle est et je ne la jugerais pas en conséquence. Mon père se trompe s'il croit que je ne saurais jamais rien d'autre que le corps vivant du fantôme de son passé. Il se trompe s'il croit que je suis la copie conforme de celle qui ne peut quitter son cœur. Je suis Charline, une fille accro à la. cigarette, à l'alcool et aux études. Je suis une personne. Je ne suis pas un jouet.