Des talons dans une main, mon sac dans l'autre, j'oscille. Gauche, droite, tout droit, je m'arrête en face d'un panneau où je ne comprends strictement rien. « Eh merde. » Je suis à peu près sûre qu'on m'a piégé. Pendant c'te soirée, quelqu'un s'est amusé à mélanger les rues, un peu comme les escaliers à Poudlard, m'voyez ? Tout ça parce que je m'appelle Weasley et que je suis rousse. Peut-être parce que j'ai bu, aussi. Et si j'ai un bon sens de l'orientation d'ordinaire, les choses ont tendance à s'embrouiller un poil au bout d'un ou deux verres. Et là, je crois que j'en ai bien bu cinq ou six. Je finis par pivoter, et par m'adosser au panneau dans un long soupir. Les rues sont pratiquement désertes, à cette heure ci. Et putain, j'ai chaud. Je repère une fontaine à quelques mètres, et sans pression, je la rejoins pour venir foutre mes pieds dans l'eau fraîche. Et c'est à ce moment là que je piste que j'suis pas toute seule. Y a aussi Sage, aka la meuf qui s'est apparemment marié avec le mec de Rhia. Enfin, mec, pas mec, Sloan quoi, le type dont Rhiannon me rabache le prénom depuis des mois. Whatever. Je la regarde, puis je souris, le plus naturellement du monde. « Tu devrais essayer, c'est cool. » Dis-je en bougeant mes jambes dans l'eau claire. Au moins, au Laos, les fontaines sont pas vert caca comme à Boston. « J'suis Margot. Et j'suis ... perdue, aussi. » Ça a le mérite d'être sincère.

Encore une fois, comme presque toujours, je me marie à la lune. À l'obscurité d'un bout de terre que j'connaissais pas jusqu'à il y a encore trois jours. Peu importe où on est, le monde de la nuit reste à peu près le même de partout. Des faux sourires, un bonheur qui sonne beaucoup trop fake, trop voyant pour être vrai et, de l'alcool qui coule à flot pour nous bercer de beaux mensonges. Pour brouiller nos pensées, les emmêler pour que plus rien n'ai de sens. Des fois ça marche bien, et des fois.. Comme ce soir, l'alcool ne me sauve pas. Les pensées deviennent encore plus imposantes, et le nom de ma défunte meilleure amie s'empare de mon esprit. Je sors en vitesse de la boîte, le surplus de gens qui m'étouffe, cette hypocrisie dans laquelle j'ai pas la chance d'être me crispe et j'ai besoin de respirer. De prendre l'air. Alors je  déboule dans une ruelle, je regarde vite fait autour de moi avant d'avancer sans vraiment savoir où j'vais. Sans savoir du tout même. Je marche de longues minutes, jusqu'à voir une fontaine vide, triste, seule le reflet de la lune dans l'eau clair vient l'illuminer. La rendre plus charmeuse. Et surtout, j'ai mal aux pieds, ces talons que j'ai pas l'habitude de porter me font souffrir le martyr et faut que j'me pose quelque part. J'avance péniblement jusqu'à elle, venant m'asseoir sur le rebord, j'étends mes jambes en roulant un joint. Je passe ma langue contre la feuille pour venir la coller et finaliser mon roulé. Au moment de l'allumer, une rouquine s'approche dans la pénombre, s'installe à la fontaine en y trempant ses pieds. Je la regarde un bref instant, j'crois qu'elle est à Harvard aussi, j'ai dû l'apercevoir quelques fois et puis une chevelure de feu comme ça.. On peut pas facilement l'oublier. Je tire une taff, et recrache la fumée lentement en prenant mon temps de savourer la première latte. Sa voix résonne,  j'la dévisage une demie seconde, mon regard tombe sur ses pieds dans l'eau et dans un élan je retire mes chaussures à mon tour pour la rejoindre. - Putain.. Ça fait du bien ! Que j'dis, soupirant de soulagement. Bordel, mes pieds étaient en train de revivre là. - Enchantée Margot.. Moi c'est Sage et j'crois que je suis autant perdue que toi. J'haussais les sourcils en levant les yeux au ciel, tirant de nouveau sur mon joint en jetant un coup d'œil derrière nous. Les rues étaient toutes similaires pour moi, plus le taux d'alcool que j'ai dans le sang, je risque pas de me retrouver. - Tu fumes ? Je demande en lui tendant mon joint. On était pas pressé, surtout mes pieds voulant encore profiter de la sensation de l'eau.

En toute honnêteté, je me demande si je devrais pas dormir dans la rue pour éviter de tomber sur Eliot au bras d'une brune plantureuse, comme j'ai pu voir au bar. J'aurais du demander à changer de chambre, clairement, insister et jouer les têtes de mules n'était pas une idée brillante, et à cause de ça, je m'efforçais de passer le moins de temps possible en "cohabitation" avec lui. Peut-être qu'avec le temps, j'arriverais à ne plus souffrir chaque fois que j'le verrais avec une femme. Dire qu'il a eu le culot de douter de moi avec Elias.. C'est ridicule. Alors ouais, ce soir, j'suis sortie, j'ai bu plus que de raison, changé de bar pour ne pas avoir à le regarder avec cette pouf que je n'ai ni envie de voir, ni envie de connaître. J'ai des réactions extrêmes, oui. Et encore plus quand il s'agit de lui. Alors je déambule, je vacille dans les rues, et une fois résolue à admettre l'évidence - autrement dit, que je suis perdue - je finis par m'échouer au bord de cette fontaine qui tombe à pic, comme si elle avait été placée là pour recueillir mes jambes meurtries par mes talons bien trop hauts. C'est seulement là que je la repère, la blonde. Sage, qui, vu le joint qu'elle est en train de se rouler, n'est pas si sage que ça - ohoh que je suis drôle - mais qui semble relativement cool puisque à ma suggestion, après une brève seconde d'hésitation, elle lâche également les talons pour me suivre dans cette baignade improvisée pour nos jambes. A sa réaction spontanée, je souris. « Le jour où les talons seront aussi confortables que des chaussons, je demanderai en mariage l'inventeur. » Homme, femme, animal même, je l'épouse, sans la moindre hésitation. Elle se présente, et je me contente de hocher la tête avec un petit sourire, ne jugeant pas nécessaire de lui dire que son prénom, je le connaissait déjà. « Bon, bah au moins, on est perdues à deux! » C'est toujours mieux que rien, on peut tenir la conversation, comme ça. Un regard vers les rues, puis je la regarde à nouveau quand elle me tend son joint. Boh, j'suis plus à ca près ce soir. « Occasionnellement. » Mais ce soir, j'crois que c'est une occasion, je lui pique donc des mains, le temps d'aspirer une bouffée, pour lui rendre à nouveau. « Putain. Ca aussi, ça fait du bien. » Littéralement, j'pourrais rester toute la nuit au bord de cette fontaine, comme ça. « J'crois qu'il me manque juste de la bouffe là, et ça serait parfait! » Je hausse une épaule avec un rire léger, avant de tourner la tête vers la blonde. « J't'ai vu, à la soirée d'acccueil du Summer Camp. T'avais l'air remontée. » Observatrice, mais j'dis pas ça pour critiquer. J'ai pas de filtre quand je parle, surtout bourrée. Et elle avait vraiment l'air pas bien, d'où le fait que j'aie tenu Rhia en laisse, d'ailleurs.

J'avais errais tout la nuit en compagnie de ma solitude. Parfois elle se colle à moi quand je veux la fuir à tout prix, et parfois c'est moi qui la supplie de venir me chercher. Ce soir, je voulais la compagnie de ma meilleure amie, pouvoir l'appeler, lui écrire un texto et attendre la réponse où elle me dirait que "tout va bien". Que j'ai pas à m'en faire, qu'elle est là et qu'elle ne partira jamais. Mais son portable est éteint, la seule voix que j'entends c'est celle robotisée me disant que sa ligne est foutue. Et moi, je me perd chaque jours un peu plus dans des soirées aux abysses infinis. Dans un enfer où les flammes deviennent plus virulentes, plus chaudes à chaque fois et me consume petit à petit. J'cherche même plus à m'en échapper, à m'battre pour survivre parce que j'ai juste envie que tout s'arrête. Que les douleurs ne me fassent plus crier, que le sang cesse de couler, et que mes démons ne deviennent plus que poussières. L'eau qui danse vient soulager mes pieds, le temps est lourd et étouffant. À défaut de la lune brillante, c'est à chevelure flamboyante de la rouquine qui est venue éclairer ma fin de soirée. Je pouffe un petit rire, haussant les sourcils.. Si un jour ce qu'elle dit devient réalité, je jèterais toutes mes baskets. - T'as encore le temps j'pense avant de te marier alors ! Ouais, c'est pas demain la veille qu'une paire de talons ménagera nos orteils fragiles. - Comment ça s'fait que t'es toute seule toi ? Parce que généralement, les filles, elles préfèrent sortir en bande. Et du coup, ça m'intrigue de savoir ce qu'elle foutait seule à cette heure-ci, faisant le tour d'une ville qu'elle connaissait même pas. Elle attrape le joint que j'lui tend, mince sourire à sa remarque. Non, elle n'avait pas l'air d'être une grosse fumeuse de joint, ses lèvres sont encore aussi rosées qu'un nourrisson. Elle tire une latte, et me le rend aussitôt, je regarde sa main se tendre vers moi et en fronçant les sourcils je reprends mon joint. C'était rapide. - Je sais.. Tu peux encore fumer dessus si tu veux ! J'dirais rien. Que j'dis moqueuse, comme si j'étais en train de parler à une gosse de seize ans. - Putain, m'en parle pas.. J'ai envie d'une bonne pizza bien grasse là. Rien que d'y penser, j'avais le ventre qui gargouillé. Mais à cette heure-ci, j'pense pas qu'on puisse se trouver une pizzeria d'ouverte, même pas grand chose d'ouvert. - Ah.. Que je lâche en soupirant, me pinçant les lèvres. Ouais, c'est bon, j'me souviens maintenant ! Elle était à la soirée de bienvenue, le premier jour du summer camp. - Ouais, des choses qui m'ont pas plu ont étaient dites. J'réponds, ma mâchoire qui se crispe rien que d'y penser. Ash' c'était devenu mon point hyper sensible, j'pouvais pas entendre son prénom sortir de la bouche de n'importe qui. - D'ailleurs, t'étais avec une blonde qui m'a salement dévisagé.. Tu la connait ? De ça aussi je m'en rappelle. Et même si sur le coup j'ai pas rebondit dessus, ça m'est resté dans un coin de la tête et p'têtre que toi, t'avais des réponses.

Partie en hâte en début de soirée, j'avais même pas pris la peine d'envoyer un message à Rhia, ou à n'importe quelle amie qui m'aurait certainement joyeusement accompagné dans un des bars du centre ville. Et c'est pas plus mal, après tout, je crois pas que j'aurais aimé leur montrer mes états d'âme quand j'ai vu Eliot avec cette fille que je ne connais pas. Puis bon, faut voir le bon côté des choses, j'suis très bien, là, dans c'te fontaine, à discuter avec Sage. Elle a l'air zéro prise de tête, comme fille, et discuter aussi simplement, parfois, ça fait du bien. Ok, l'alcool doit nous aider l'une comme l'autre, peut-être, peut-être pas, mais qu'importe. J'réfléchis plus, je reste sur l'instant présent, ça limite la casse. « Oh ça va, j'suis pas pressée, j'ai que vingt ans. » Objectais-je avec un petit sourire en coin. Quoi, j'peux avoir espoir que de telles chaussures voient le jour avant mes 40 ans quand même, ils ont bien été capable de faire des téléphones portables. Quand elle me demande ce que je fiche toute seule, je fronce le nez en regardant mes pieds, mes jambes se balançant doucement dans l'eau. « J'avais besoin d'fuir quelqu'un, et il se trouve que ce quelqu'un partage ma chambre, alors.. j'suis sortie sur un coup de tête. » Jamais je ne m'étais préparée aussi vite de ma vie, allant même jusqu'à terminer de me maquiller dans l'ascenseur. Tout ce que vous voulez, tant que je me tenais loin d'Eliot.

Elle propose son joint, et je l'attrape rapidement, histoire de tirer une fois dessus. Dire que l'année dernière, ça me repulsait l'idée même de fumer. Ouais, c'était sans compter mon séjour à la Mather après l'incendie Lowell, et surtout... Adriel. « Bah écoutes, tu m'le diras pas deux fois. » Que je dis en riant, le reprenant pour tirer une nouvelle fois tout en appuyant ma main entre nous deux, histoire qu'elle le reprenne quand elle veut fumer, et vice-versa. Oh putain, elle vient de dire le mot magique là, j'rêve pas ? « Oh bordel ouais, une pizza. J'pense que je pourrais en manger une entière à moi toute seule, king size. » Demain, j'crois que je sais ce que je vais bouffer. Au passage, je lui parle de la première soirée quand on est arrivés au Laos, quand j'ai du tenir Rhia presque avec une laisse pour éviter qu'elle se rue sur la blonde. Après un bref instant de réflexion, elle se rappelle de la situation. Je hausse les sourcils, puis je soupire. « Les gens sont chiants même ici, putain. Ignores les, c'est qu'ils en valent pas la peine, qui que ce soit. » Ouais, j'me permet de donner des conseils, on se connaît depuis cinq minutes, y a quoi. J'aime pas quand les gens se prennent la tête, tout comme j'aime pas me faire chier. Et là, elle parle de Rhia. Oopsie, elle l'a remarquée donc. « Ouais.. C'est ma meilleure amie. » Ma Rhia, détruite, en lambeaux. J'étais obligée de garder un oeil sur elle. De but en blanc, je lui explique le plus naturellement du monde: « T'as épousé le mec dont elle est amoureuse, si j'ai bien suivi. » Résumais-je en expirant la fumée, le nez levé vers le ciel étoilé au dessus de nos têtes. « Félicitations, d'ailleurs. » Dis-je en riant, comme si c'était de rigueur. J'pourrais être mauvaise, m'en prendre à elle, lui dire qu'elle a brisé ma meilleure amie. Mais pour moi, c'est pas Sage la fautive, surtout si elle ne connaît même pas Rhiannon. C'est plutôt Sloan, qui a merdé.