Après s'être réveillé, certains accusent le coup et se relèvent. Là où d'autre se laissent envahir par la peine et prennent le partie de fuir cette réalité qui les inonde, aussi loin et aussi fort qu'ils peuvent. Et c'est la voie qu'Asmodée a choisie. Par facilité. Par abandon. Parce que s'accrocher et continuer à vivre comme si de rien n'était lui était insupportable. Comme s'ils étaient encore là alors que ce n'était pas le cas. Tout commença quelques semaines après tout ça, après la mort de Luka.

Son téléphone vibra, pour la quatrième fois. Allongée sur son lit, la tête enfoui parmi les oreillers colorées, les cheveux emmêlés et visiblement pas brossés depuis plusieurs jours, la blonde n'esquissait aucun geste pour se saisir de l'appareil qui se trouvait à porter de main. Elle ne voulait voir personne, elle ne voulait pas entendre la voix enjouée des autres, et sentir leur bonheur lui glacer le sang jusqu'à l’écœurement. La jeune fille voulait juste qu'on la laisse en paix, c'était trop demander ? Mais depuis des jours où elle n'avait pas donné signe de vie, ses amis commençaient à fatiguer. Le vibreur s’arrêta enfin et l’icône de message vocale s'afficha aussitôt sous les yeux fatigués de la suisse. Elle tendit ses longs doigts vers son portable et rappela la messagerie. Une voix jovial rendue légèrement électronique par l'appareil sembla exploser aux oreilles de la blonde. « Je sais que t'es là Asmo, si tu crois pouvoir te débarrasser de moi si facilement, tu te goures en beauté. Écoute, je ne comprend peut-être pas ce que tu peux ressentir, mais rester enfermé dans ta chambre n'est pas la solution. Et il se trouve que j'ai exactement ce qu'il te faut. Mon frère organise une petite fête ce soir, les parents sont encore en voyage d'affaires, ça va être le pied ! S'amuser un peu n'a jamais fait de mal à personne, j'espère que tu viendras. Bisous. » Asmodée avait bien sur reconnue l’intonation et la franchise de Pauline, sa meilleure amie. Elles se connaissaient presque depuis le berceau, leur familles se connaissant très bien et se ressemblant sur de nombreux points. Mise à part que la sienne était bien plus distante envers ses trois enfants que la sienne ne l'avait toujours été avec Luka et elle. Sauf depuis l'accident. Son père avait décidé de panser sa peine en s'acharnant dans le travail, ne rentrant que tard ou pas du tout, partant de plus en plus souvent au bout du monde pour des réunions et séminaires qui s’éternisaient. Sans s'en rendre compte, ils allaient s'abandonner tout les deux peu à peu, sombrant chacun de leur cotés dans une détresse qu'ils auraient pourtant pu guérir ensemble.

Et finalement, Asmodée suivit le conseil de son amie et se présenta à la soirée, sans bien savoir ce qu'elle faisait là. Alors qu'elle allait faire demi-tour et rentrer chez elle, elle se fit prendre dans des bras chaleureux qu'elle reconnu pour être ceux de de Pauline. Du même âge qu'elle, elle était cependant moins grande et au contraire de la jeune De Rochefort, avait les cheveux aussi foncé que la nuit. « Je suis contente que tu sois venue. Allez viens ! Je vais faire en sorte que tu ne le regrette pas ! » Pauline était une très bonne aime et avait toujours voulu le plus grand bien. Et jamais ne serait-elle doutée un instant de la pente sur laquelle elle s’apprêtait à guider Asmodée... Car celle-ci ne s’arrêta pas à un verre. A seulement 13 ans, elle céda à un alcool qui la faisait se sentir bien, tout oublier, elle se sentait vivante. Elle n'a d'ailleurs jamais eu aucun souvenir de cette nuit-là le lendemain, tout comme les années d'après. Ce fut le début d'une triste décadence d'une fille autrefois couverte d'innocence. Une déchéance qui dura deux ans, deux années de sa vie qu'elle perdit dans les soirées entre l'alcool et la drogue à laquelle elle ne gouta que trop tôt. S'enfonçant de plus en plus dans un monde débauche, elle coupa les ponts avec tout ces anciens amis, leur en voulant de tenter de la ramener, de lui ouvrir les yeux, ce qu'elle prenait pour de l'incompréhension et de la jalousie. Sans voir qu'en réalité, c'était elle qui ne comprenait pas ou du moins, ne voulait pas comprendre. Perdue dans les arabesques de couleurs et de sensations qu'elle découvrait, Asmodée fit ainsi des choses qu'elle n'aurait jamais cru pouvoir faire. Actes qu'en temps qu'héritière des De Rochefort, la presse people s'empressa de raconter, amplifier, soulignant des détails qui ne faisaient paradoxalement que monter la popularité de l’adolescente aux mœurs sauvages.

Mais un jour, tout s'arrête. Un jour, il faut redescendre sur terre, une bonne fois pour toute. Elle avait voulu se faire violence. Elle avait voulu bousculer son cœur et retrouver ainsi le plaisir de vivre. Mais son envie d'adrénaline l'avait cette fois entrainée bien trop loin, alors qu'elle respirait cette poudre blanche une fois de trop, se sentant planer, comme à chaque fois. Planer jusqu'à s'écrouler. Atteinte d'une overdose, elle fut conduite aux urgences dans lesquelles elle resta trois jours à évacuer les substances de son organisme. C'est dans cette chambre d’hôpital que son père arriva, en pleurs et plein d'excuses pour sa dernière fille, son héritière et la seule qui lui restait. Et ainsi ils parlèrent durant des heures, de ces deux années où ils s'étaient fuis. De ces deux années durant lesquels ils avaient tout les deux commis des erreurs. Il lui fit promettre de ne jamais recommencer, de revenir avec lui et de prendre un nouveau départ.