Rex a lâché le soupir de trop ; celui qui voile la lippe d’un drap de dépit et d’ennui contre le monde. Il s’est pourtant arrogé le droit, ce soir, de délaisser quelque peu son travail afin de s’emmitoufler dans l’un de ses loisirs favoris : l’opéra. Et si les vibrations du Staccato ne l’émeuvent pas outre-mesure - c’est qu’il demeure ardu que de susciter en l’héritier le tressaillement des émotions pures - Rex aime à s’imprégner des ariosis de Strauss, l’empoigne guerrière de Wagner. Se gargarisant de la véhémence martiale portée dans la voix puissante et grave des cantatrices. Sans doute est-ce pour cela que Rex feint de ne pas voir la devanture modeste du Symphony Hall lorsqu’il se fait avaler dans le ventre de cette bâtisse, au décor trop rudimentaire pour lui : pas assez de marbre ni de dorures, ni de velours ni d’Egon Schiele au ciel. Pas de lustre, de drapés, de parfums poudrés de ses pairs. Mais tout de même, une loge VIP dans laquelle il s’engouffre, suivi de près par son assistant. Le fidèle Luther le suit telle son ombre, et s’attèle à la tâche de dévoiler une mauvaise nouvelle à son patron lorsqu’il raccroche le téléphone : « Salomé ne pourra pas rendre le projet ce soir comme prévu. » allègue-t-il d’une voix constante, dissimulant sa nervosité. Rex prend place, sur son siège dont la position lui permet d’embrasser le meilleur de la scène en contre-bas, levant les yeux au ciel en signe d’agacement. « Elle a quoi encore celle-là. » Un futur bébé, songe Luther non sans se pincer la lèvre afin de ravaler sa réflexion. Il rétorque, se confondant en une voix plate comme de l’eau stagnante : « Elle a perdu les eaux, et se dirige à la maternité. » « Dites lui de serrer les cuisses et de terminer ce pour quoi elle s’est engagée. » C’est implacable que Rex rétorque, sa langue claquant contre le palais en signe d’irritation, quand d’un geste de la main balayant sa vue, il intime à Luther l’ordre de partir. Et ce n’est qu’après quelques minutes, appréciant le fin brouhaha de l’avant, investi de bruits d’étoffes et de murmures des badauds prenant place, que Rex remarque sa voisine. « Nienke. » Le jeune homme sourit. D’un rictus fauve, mordant et venimeux. La portée de son regard sur elle ne dure que quelques secondes : Rex aime à observer la foule qui se presse en bas. « Quelle vraie coïncidence. » L'épithète ainsi choisi n’a rien de trivial, car Rex demeure de ceux qui provoquent les circonstances et le hasard, sans jamais vraiment user d’éthique. « Je me permets de t’adresser tous mes voeux pour cette nouvelle année. Qu’elle soit pleine de réussite, de sexe, d’argent, et moins de banalité. » Haussement léger d’épaules, le regard fendant toujours la scène de sa pupille impérieuse.
(Rex Cartier)
underworld
This is what happens when you listen to the voices of the underworld. They crawl into your soul and rot you from the inside