empty broken space ─ Chungantine #3

J'suis làààààà... La voix d'Ace traîne alors qu'il s'invite dans le hangar, casque de moto à la main. Un bâillement sonore lui échappe alors qu'il referme derrière lui, preuve d'une nuit courte et compliquée... ou d'un réveil bien trop tôt, avec un chat chaotique en plein zoomies. La vérité, c'est que le corps commence à vraiment exprimer la fatigue qu'il n'arrive pas à apaiser. Le pas traîne un peu et il dépose le casque sur un meuble à côté de la porte d'entrée, et accroche sa veste en cuir pour ne dévoiler qu'un sweater sombre avec une écriture blanche à moitié délavée. Vieille tenue confortable, en accord avec la tignasse bordélique mal coiffée, le volume de ses cheveux pouvant rendre jaloux n'importe qu'elle fille. Astarion ? La gueule ouverte à s'en décrocher la mâchoire dans l'expression de sa fatigue, il soupire, blasé, et prend l'initiative de se déplacer jusqu'au bar pour se servir un verre ─ d'eau, précisons. Flemme d'attendre qu'on l'accueille pour se mettre à l'aise.

Comment diable te dépêtrer de cette espèce de sangsue qui te retient depuis vingt minutes ? Tu as tout essayé : l'humour, le cynisme, même la méchanceté brute n'y faisait rien. Ce n'est que lorsqu'elle te balance percevoir de mauvaises ondes provenant de toi que tu lâches, exaspéré : L'ennui mortel, peut-être. Judi se trouvait seul à ton hangar et tu ne sais que trop bien à quel point la crise de panique arrivait vite en cas d'absence ou de retard. Tu n'es d'ailleurs qu'à une galaxie lointaine très lointaine de t'imaginer Judi surprit par l'arrivée à impromptue d'Ace. Le jeune autiste de vingt-cinq printemps n'avait rien trouvé de mieux pour se défendre qu'une batte de billard posée sur la table de jeu prévue à cet effet. Corps tremblant, regard humide à moitié exorbité, il déglutit difficilement en approchant de cette silhouette qu'il n'a pas encore reconnue, alors que toi, tu rêves d'assommer l'autre sangsue avec son sac à main. P... Deux mains accrochées contre le manche en bois, respiration erratique, du mal à réfléchir, et pourtant Judi se tient aussi droit qu'un piquet, fort sur ses appuis, comme tu le lui as appris. P... plus un geste !!

C'est bizarre que ça soit le calme plat chez un énergumène comme Astarion. Lui qui s'agite de partout, balance ses pensées quitte à abrutir Ace essayant de le suivre, utilisant bruitages et gestes pour faire passer ses messages, c'est rare que le silence l'entoure. En tout cas, du point de vue de l'asiatique qui se désaltère avec plaisir, lâchant même un soupir de satisfaction alors qu'il repose son verre. Jusqu'à ce qu'il entende une fois dans son dos. P... plus un geste !! Ace se fige, et il reconnaît sans peine la voix de Judi. Conscient qu'il peut passer pour un intrus, Ace se retourne en douceur, montrant ses mains vides. C'est rien, Judi. C'est moi, Ace, je passais voir ton frère. Il est pas avec toi ? Le ton se veut amical, apaisé, car il voit bien qu'en face de lui, le jeune frère est... anxieux. Ou apeuré. Quelque chose du genre. Tout geste brusque ou voix forte provoquerait l'effet inverse, alors il garde un visage détendu. Comme lui, il en a besoin, des fois. Quand il crise, ne fait plus la différence entre les alliés et les ennemis, à confondre les voix dans sa tête et celles de la réalité, les démons du passé se mêlant au présent avec sauvagerie. Ace ne tente pas de mouvement dans sa direction, lui laisse le temps de le regarder, et il espère que cette passivité face à la menace suffira pour le calmer.

Nul n'est plus heureux qu'en pleine brasse dans les tréfonds de l'ignorance. Pourtant, si toutefois tu savais ce qui se tramait dans ton antre si spéciale, probablement aurais-tu rappliqué ventre à terre, abandonnant sciemment et sans aucun intérêt la demoiselle qui t'assommait d'informations dont tu n'avais cure. A la place, Judi se trouvait batte de billard en main, corps tremblant telle une feuille d'automne tâchant de se raccrocher à une branche toute aussi frêle. Le jeune a beau connaître celui lui faisant face, la crise de panique prend le pas sur tout le reste. A peu de choses près. Tu as des gouttes sur ton t-shirt il ne faut pas faire de tache... La situation paraît presque irréaliste, mais l'esprit de Judi n'enregistre pas les choses de la même façon. Les détails les plus insignifiants revêtent un intérêt fascinant à ses yeux sombres. As... Astarion pas là... je veux Astarion... Son phare dans la tempête. Les secondes s'égrènent et la poigne se resserre contre la batte, au point de blanchir ses phalanges à l'extrême. P... pas bouger...

Des gouttes ? Le regard se baisse discrètement ; y'en a, effectivement. Cochon qu'il est, à pas savoir boire correctement. Les paumes des mains sont toujours visibles, et Ace l'écoute, mais n'est pas certain de la marche à suivre. Il sait que Judi est différent de lui, et qu'il ne devrait sûrement pas transposer ses propres crises sur les siennes, mais il est bien obligé de le faire un minimum, faute d'avoir de réelles connaissances sur le sujet. Je veux voir Astarion aussi... Tentative de le ramener un peu, de lui dire qu'ils veulent la même chose. On va l'appeler ok ? Il doit être sorti mais va revenir, faut juste lui dire de se dépêcher... regarde, je prends mon tel. Le geste est lent, un peu hésitant ─ pas envie de se prendre un coup ni d'empirer son cas. Mais est-ce que ce seul geste finalement, d'une main qui se baisse vers sa poche, ça va pas empirer la situation ? Il prie que non.

Judi ne lâche évidemment pas sa batte des mains ni ne quittent Ace des yeux alors qu'il prend son téléphone. Le jeune homme tremble, d'un mélange de peur et d'un rien qu'il ne saurait expliquer, espérant de tout cœur que tu rappliquerais rapidement. À peine as-tu reçu le coup de téléphone que tu te lèves de ton siège comme si des fouets te pourchassaient. Pas le temps de faire dans la dentelle, tu lâches quelques billets sur la table et quitte les lieux sans même un regard pour la pimprenelle qui te foudroie grossièrement du regard. Les minutes passent à la vitesse de la lumière lorsque tu enfourches ta Harley direction le hangar, bénissant le peu d'embouteillages qui te séparent de ta destination. Autant dire que tu n'hésites pas à débouler tel un beau diable, porte cognant contre le mur, forçant Judi à plaquer ses mains contre ses oreilles. Merci, merci, merci... je peux continuer à répéter ce mot comme un disque rayé mais si tu savais à quel point je me faisais chier avec... Ton petit frère lâche un soudain : langage. Tu dois mettre cinq dollars dans la boîte. Éclat de rire. Pas à dire, c'est bien ton petit frère. Y'a pas eu un mort entre vous deux, j'espère ? Si on met de côté mes cinq dollars, évidemment ! Parce que cela ne t'a pas échappé que Ace est présent, que tu salues dans un sourire.