vogue in the snow (nana)

Être à Blue Mountain, pour Chloe et Nana, ne se résume pas à savourer d'une fondue ou de se prélasser dans des restaurants comme la plupart des autres vacanciers. Chaque calorie consommée était une calorie que l'on ne voit pas revenir, le même combat mené depuis des années. Lorsqu'elles se retrouvent à deux, tout devient presque une compétition, une façon de repousser leurs limites respectives, chacune motivée par l'ambition de surpasser l'autre. Et pourtant, malgré cette dynamique, leur amitié reste intacte, ou du moins, semble être intacte. Cette année, elles ont décidé de suivre le reste de la ville dans ce voyage à la montagne pour s'offrir des vacances à la neige. Mais une escapade n'est jamais laissée au hasard, derrière, il y a des mois de préparations nécessaires, avec un programme de renforcement musculaire intensif pour ne pas se laisser surprendre par la pente une fois la neige sous les skis.

Le ski, pour Chloe, était une tradition familiale. Traverser l'Atlantique pour rejoindre les Alpes, se détendre dans des chalets reculés et dans les spas, dévaler les pistes pendant que les adultes se butaient au vin blanc. C'était un rituel ancré en elle, alors pour cette occasion, il est important de choisir la tenue parfaite. Ce matin, elle avait minutieusement choisi la tenue idéale. C'était toujours une combinaison griffée de la maison de couture de papa, un casque ajusté et des lunettes de ski impeccables, tout dans l'ordre et la perfection.

Pendant le trajet en télé-siège, Chloe en profite pour se réappliquer sa crème solaire. Il était inconcevable de rentrer avec des coups de soleil, et même l'idée en était presque tragique.

⸻ T'en veux, Nana? lance-t-elle après s'être elle-même massée le visage, tendant son tube vers son amie. Tu me remercieras dans vingt ans.

Elle laisse ses yeux se balader sur le visage de Nana, cherchant la moindre imperfection, un quelconque signe que le temps avait peut-être laissé son empreinte. Mais à chaque seconde qui passait, il semblait que ce visage restait aussi impeccable de celui d'une poupée. Comme figé dans une beauté presque irréelle. Et Dieu sait à quel point Chloe lui enviait ce joli minois, cette grâce qui semble jamais se faner ni se ternir, pendant que Chloe continue de lutter contre la pression d'être impeccable. Nana devait sûrement s'en douter, d'ailleurs. Mais l'avantage d'être amie avec elle, c'est qu'il n'y avait jamais de jugement pour autant. En même temps, elles partagent toutes les deux le même esprit tordu...

décembre 2024
tw ⸻ suicide, troubles du comportement alimentaire

cela faisait des semaines que NANA n'avait connu l'air libre.

un mois s'était écoulé depuis sa dispute avec sa meilleure amie. elle ne s'en était jamais remise ; toujours à se torturer l'esprit quant à ses fautes, à décortiquer chacun de ses vices. LÉO ne méritait pas pareil traitement ⸻ tu es vraiment une piètre amie. alors, pour se punir, elle s'affama. s'empêcha de sortir. PAIGE et DAPHNE n'eurent pas à s'inquiéter : elle leur affirmait avec aplomb qu'elle avait beaucoup à faire. qu'étudier à HARVARD était épuisant, mais qu'elle avait, quoiqu'il en soit, des rendus à finir. elle ne sut jamais si elles la crurent mais cela ne la concernait point. au moins, on la laissait seule avec ses hantises.

et puis du temps est passé. longuement passé. elle s'était demandée si elle était prête à se tuer. elle y avait beaucoup pensé, mais franchir le cap, hélas, ne lui parut chose aisée. la philosophie même de sa mort la faisait douter : devait-elle souffrir ou abréger ses souffrances lors de ses derniers instants ? pas sûr. elle méritait d'en pâtir, de mourir en martyr, de connaître la douleur (⸻ la vraie, oui! ⸻) parce qu'elle n'avait été que toute sa vie un poids, un boulet, un supplice pour ses amis et sa famille. elle rachèterait alors ses fautes ; elle connaîtrait sur les lèvres de la mort le goût exquis du paradis. mais elle avait peur, si peur, que sa lâcheté l'emporta sur l'ensemble de ses désirs. alors, elle s'abstint. puis pris sa décision et voulut s'étouffer dans des barbituriques. ce sont dans ces moments qu'elle se sentait, alors, comme ALEJANDRA PIZARNIK.

⸻ t'en veux NANA ?
tu me remercieras dans vingt ans.

BLUE MOUNTAIN, décembre. au bout de l'ultime effort, CHLOE l'appela pour lui demander de l'accompagner à l'annuelle sortie ski. NANA voulut décliner mais sa comparse insista. alors, ce fut poliment qu'elle accepta, qu'elle se saisit de ses affaires et qu'elle partit, sans conviction, à la montagne. elle en appréhendait le froid, le monde grouillant et, plus que tout, la neige mordante qui lui hérissait les poils. mais elle se rassura : il s'agissait de sa dernière trêve avant la fin. le clou du spectacle.

juchée sur son télésiège, ce fut pensive qu'elle contempla le paysage. la rivière de glace de ces hauts monts ressemblèrent à des veines ; elle se disait qu'elle était plongée dans sa propre artère, noyée dans ses entrailles. le blanc environnant avait des airs de derme exsangue ; oui, se dit-elle, ce serait sa dernière catharsis avant le drame. mais elle n'en dit rien ; ne révéla pas un vers de ses pensées ; tendit sa paume vers son amie et lui sourit d'un air calme. "oui", répondit-elle. "je veux bien un peu de crème. la rougeur ne me va de toute manière pas au teint."

il était étonnant d'observer dans quelle mesure chaque instant de grâce se précédait d'un intermède trivial. au sacré s'efface le profane : la vanité de l'existence de NANA fut telle qu'elle souligna la grandeur de sa déchéance. la majesté de sa fin.