everything changed ─ Miraven

Jett, Jett, Jett... Debout dans la pièce, tout de noir vêtu et caché derrière son masque, les cheveux bloqués par un bandana et une casquette, Raven regarde la flaque rouge au sol. T'en as foutu entre les lattes, vraiment, ça va pas m'arranger cette histoire. Un soupir lui échappe, et pourtant, il va enjamber le corps en tirant sur son gant. À nous deux !
Les minutes défilent. Dans cet appartement insalubre, le compte d'un homme a été réglé. Il appartient à un certain gang qui gère un territoire plutôt du côté de Cambridge, mais étrangement, il s'est rendu bien loin de sa zone de sécurité, ce soir ─ et Raven ne veut pas connaître la réponse, car moins il en sait, plus il est en sécurité lui-même. Les éponges se vident du rouge qu'elles absorbent, le corps est déplacé sur la bâche puis Raven poursuit son ménage tranquillement, et surtout, indifférent à la scène. Une routine, presque, pour lui. Et peut-être qu'il se permettrait même de penser que laver du sang, c'est thérapeutique. Ce qui l'est moins, c'est quand il a l'impression d'entendre du mouvement, à l'extérieur de l'appartement, et que le bruit très lointain se rapproche. Arrêté dans ses mouvements, il tend l'oreille, l'énorme couteau à la main ; et c'est quand il enjambe à nouveau le cadavre que la porte d'entrée s'ouvre. ... !? Le regard s'écarquille. Un témoin. Une témoin. Une femme. Mais avant même qu'il ne cherche à parler ou réfléchir, le couteau est jeté au sol et c'est en avant que son corps est propulsé, alors qu'il se rue dans sa direction. Impossible de la laisser repartir, maintenant.

Il faut être honnête, Jett est un sale con. Tu le vénères évidemment, parce qu’il est le seul à pouvoir te faire faire un pas vers la vérité mais tout le chemin que tu as dû faire, aussi bien dans le sens littéral que métaphorique, pour arriver ici te donnent milles raison de penser qu’il aime te tester, qu’il le fait exprès. T’as dû fermer le food truck plus tôt, ne pouvant même pas demander à Charles de te remplacer au risque qu’il te questionne. Tu n'as pas dormi, obsédée par ce moment depuis que tu as reçu le message de Jett, tu as mangé en y pensant, chacun de tes mouvements, chacuns de tes silences, chacunes de tes pensées, tout était consacré à cet instant précis. Et pourtant, en arrivant face à l’immeuble, tu hésites juste quelques secondes, simple réponse de ton instinct de survie que tu élimines rapidement. C’est le moment, tu dois le faire, pour eux. Alors tu montes les escaliers, doucement, tu es habitué à ce genre de situation maintenant et tu espères juste que cette fois-ci tu ne fonces pas droit dans le mur. Arrivée au bon étage, tu vérifies le numéro de l’appartement que tu retrouves facilement. Le 56. Le silence est pesant, tu ne sais pas expliquer le malaise qu’il provoque en toi. Tu ouvres la porte doucement, te retrouvant face à la scène qui te coupe le souffle. Jett mort, l’homme avec un couteau et ses éponges rouges de son sang. T’as envie de vomir mais tu n’as que quelques secondes pour réagir avant qu'il ne  se rue vers toi. Tout défile, le couloir, les escaliers, tu cours comme tu n’as jamais couru. Hors de question de mourir maintenant, pas après tout ça. T’as pas le temps de réfléchir, de te demander qui est ce connard, et pourquoi Jett est mort. Tu cours encore et tu l’entends te suivre, chacun de ses pas le rapprochant un peu plus de toi mais pas suffisamment. Jusqu’à la porte fermée de l’immeuble que tu ne parviens pas à ouvrir. Merde.

Il aurait aimé pouvoir sauvagement pester et râler, mais dans cette vieille bâtisse, le son de sa voix aurait sûrement porté jusque chez les autres appartements occupés. Dans ce lieu un peu délabré, ce sont pas vraiment des locataires habituels qui squattent, mais plutôt des camés en quête de tranquillité et d'un toit sur la tête ; cela ne changeait rien à la nécessité de rester discret. Alors, élancé dans le couloir et les escaliers, Raven essaie de rattraper la jeune femme qui tente de s'échapper. À deux reprises, il manque de lui attraper le bras, puis les cheveux, mais se rate de quelques centimètres, ce qui le fait pester intérieurement ; jusqu'à ce qu'elle se retrouve devant la porte à moitié pétée de l'entrée, et Raven n'hésite pas un seul instant à l'attraper, la plaquant contre lui, son dos contre son torse. La main empoignant avec fermeté sa mâchoire, il grogne à son oreilles. Un seul bruit et je te bute sur place. Alors tu te laisses faire bien sagement, et on pourra discuter, toi et moi. Il ne lui laisse pas le choix de toute façon, et ses doigts s'enfoncent légèrement dans ses côtes comme s'il s'agissait d'une arme à feu. Ils reculent, prudemment, reprennent les escaliers à défaut de pouvoir prendre l'ascenseur hors service, et plusieurs fois, Raven doit lui rappeler de ne pas faire le moindre bruit ; jusqu'à ce qu'ils parviennent à revenir dans l'appartement, où ils disparaissent, mais il ne la relâche pas pour autant. Pas encore, car il la traîne jusque dans la chambre miteuse et la balance sur le lit sans la moindre délicatesse. Raven ramasse son grand couteau, puis le pointe en direction de l'inconnue. Parle. Qu'est-ce que tu fiches ici ?

Il ne manque pas l’occasion de te rattraper, immédiatement après avoir remarqué que tu n’allais pas pouvoir sortir si facilement, tu te retrouves contre lui, tremblante sous ses menaces. Tu connais le danger de tes recherches, tu as envisagé le pire mille fois, mais il faut dire que le vivre est bien plus terrifiant et alors que tu t’imaginais te retourner pour mettre un coup de pied bien placé dans ce genre de situation, tu te retrouves juste pétrifiée et forcée d’obéir. Ok… Mot à peine murmuré puisqu’il t’ordonne de te taire. De toute façon, si tu hurles, soit personne ne fera rien et lui te tuera soit la police arrivera et tu es presque sûre qu’ils découvriront facilement ce que tu as fait pour Jett. Vous faîtes le chemin inverse, à chaque petit sursaut il te rappelle de te taire. Pourtant, tu essaies. Une fois dans l’appartement, tu es presque soulagée de voir qu’il n’attendait pas juste d’entrer ici pour te tuer. Ton corps atterrit lourdement sur le lit et tu le fixes avec un air aussi hargneux que terrifié. Il devait m’aider à…  Tu hésites quelques secondes, fixant le vide, puis tu prends une grande inspiration. Il devait m’aider à chercher ma famille. L’émotion dans ta voix te trahit bien plus que ce que tu le voudrais. Tu le regardes droit dans les yeux, espérant y lire quelque chose de rassurant, qui te confirme que tu ne vas pas rejoindre Jett sur sa bâche. Puis tu fouilles dans tes poches presque frénétiquement, cherchant dans ton téléphone que tu retrouves exactement là où il devait être. Regarde si tu veux.  Vos échanges pour seules preuves de ta vérité même s’ils dévoilent un peu trop de ce que tu as fait pour obtenir ce rendez-vous.

Le regard est braqué sur la jeune femme avec une froideur glaciale. Tuer, il aime pas. Ceux dont Raven s'occupe sont déjà morts quand on l'envoie, et il n'a jamais eu à tuer quelqu'un de lui-même ─ mais il sait qu'il en est capable. Pour lui. Pour Colt. Mais s'il peut éviter une effusion inutile de sang, alors l'occasion est à saisir, et chaque minute passée à échanger avec cette jeune femme est une minute de moins passée à faire disparaître les preuves ; sauf qu'il n'en est pas encore au point où nettoyer les corps de deux personnes est plus rentable qu'être clément. Face à lui, l'intruse s'explique très vaguement, avant de tendre un téléphone que Raven ne regarde même pas. Il ne vient pas plus près, et reste ferme dans sa position, l'arme toujours pointée dans sa direction. Sous sa casquette et son masque, seuls ses yeux sont visibles pour l'instant, mais il réitère d'une voix plus forte au cas où elle n'ait pas bien compris l'instruction. Je t'ai dit de parler. Je vais pas toucher ton foutu téléphone. Explique, verbalement, insiste-t-il, sinon tu vas finir par le rejoindre. Tu as deux minutes pour m'dire qui t'es et c'que tu viens faire là. Cinglant, il ose un pas dans sa direction, lent, afin d'être plus menaçant. S'il se baisse pour ramasser le téléphone, c'est détourner le regard de sa cible. Lui donner un moment pour pouvoir retourner la situation, et ça, il ne le fera pas.

Tu avais oublié la peur de sentir sa vie en danger, elle n’était plus qu’un souvenir lointain, glacial, embrumé, mais là elle te tord le ventre d’une manière bien réelle, présente. Alors que tu devrais donner toute ton énergie à chercher un moyen de t’en sortir, tu en utilises une bonne partie pour ne pas sombrer dans la peur. Tu n’es plus la petite fille dans le placard, tu refuses de te sentir impuissante à ce point encore une fois. Il refuse ton téléphone, te demande de parler. Je te l’ai dit, je cherche mes parents et mon frère. Tu détournes le regard quelques secondes. Ils ont été enlevé quand j’étais petite. La police a arrêté d’enquêter alors je dois me débrouiller toute seule.  Triste réalité où le monde entier s’en fout de ce qui a pu leur arriver, où ils sont un de ses dossiers dans l’énorme pile des cold case, tout le monde se dit qu’on ne saura jamais et toi t’as l’impression d’être seule au monde parce que t’es la dernière à les chercher. Le seul truc dont je me souvenais c’était que l’un d’entre-eux avait une rose tatoué dans le cou donc j’ai essayé d'interroger … des gens… Et par là tu entends des gens absolument pas fréquentable, tous plus dangereux les uns que les autres. Finalement quelqu’un m’a donné le contact de Jett en me disant que lui pourrait sûrement m’aider.  Ton corps se balance doucement d’avant en arrière sans même que tu en aies conscience. Tu donnes peut-être trop de détails mais deux minutes de paroles c’est vraiment court pour assurer ta survie. Il a accepté en échange d’un service mais il devait me donner les infos aujourd’hui, ce qu’il ne fera pas de toute évidence.  Donc t’as aucune info, il n’y a aucune raison de te retenir ici ou pire, il peut juste te laisser partir et tu ne diras rien. Tu lui dis pas tout ça pourtant par peur que ça provoque l’effet inverse de celui que tu désires. Tu peux poser ça maintenant ou au moins l’éloigner ? Je peux pas partir de toute façon.  Parce qu’il y a toujours cette foutu porte, parce que tes jambes tremblent trop, parce qu’il te chercherai sûrement.

Elle se répète, explique qu'elle cherche sa famille. Le même discours, et pendant ce temps là, Raven a les yeux braqués sur elle, tentant de voir le moindre regard, mouvement de muscle ou tressaillement dans la voix qui pourrait trahir un mensonge. Mais y'a rien. Elle est sûre de ce qu'elle avance, de son récit, et lui, ça le fait plisser des yeux. Alors pendant un moment, il la fixe encore, pesant le pour et le contre ; quand enfin il prend une décision, c'est un nouveau pas dans la direction de la jeune femme qu'il fait. Il n'abaisse pas vraiment son arme et prend le téléphone pour vérifier le contenu des messages, comme elle lui a demandé précédemment. Il explore, lit. Se permet même de vérifier le reste, récupère son nom au passage. Progressivement, l'arme est baissée, alors qu'il accepte le fait qu'elle n'est probablement pas un danger immédiat. Et avec un nouveau regard sur elle, il lui rend son téléphone. Ta famille hein ? D'une certaine façon... lui aussi. Il cherche des infos, une cible, une vengeance et des réponses à ses questions. Et vu les messages de la dénommée Mira, les informations que Jett avait, elle ne les a pas reçues ─ à cause de cette mise à mort de sang froid. Pendant de longues secondes, Raven pèse le pour et le contre, les yeux fixés sur elle, se demandant quoi faire. Qu'est-ce qu'il y gagnerait à se débarrasser d'elle, dans le fond ? La sécurité. Et il est prudent. Mais de l'autre... elle pourra certainement lui servir. Alors il fait un pas en arrière, puis un autre, lentement, avant de se retourner et revenir vers le mort dans le salon délabré. Penché au dessus de lui, Raven se met alors à fouiller ses poches à la recherche d'objets personnels, de téléphone, clé, ou indices quelconques. A priori, rien ; mais y'a de la paperasse qui traîne. Touche à rien si tu veux pas laisser tes empreintes. Je me ferai pas chier à les faire disparaître. lâche-t-il froidement. C'était ta seule piste ? Question sans la regarder, alors qu'il tire de ses mains gantées sur un tiroir pour vérifier l'intérieur ; puis un autre derrière.