Tu ne t’étais jamais demandé si les professeurs de l’université avaient leurs propres bureaux. Pas avant de te retrouver face à celui de Ballantine. Ou plutôt Monsieur Ballantine comme tu devrais l’appeler désormais, te forçant à abandonner cette habitude qu’ont les élèves de réduire les enseignants à leur simple nom de famille. Monsieur Ballantine, donc, t’a convoquée ici après votre dernier cours. Il n’a pas précisé pourquoi, bien que la raison te semble évidente : il sait que tu n’es pas une élève. Ce qu’il a compris ou comment il l’a appris, voilà ce que tu brûles d'envie de découvrir. Les hypothèses fusent dans ton esprit : un étudiant intrigué par ta présence dans ce seul cours ? Ton absence sur les listes de présence et lors des examens ? Les failles dans ton jeu étaient là, tu en étais consciente. Malgré tout, tu avais pensé qu’elles passeraient inaperçues.Tu avais choisi une place au milieu, fait ton entrée dans l’amphithéâtre en même temps que les autres, investi dans le même matériel qu’eux. Tu t’étais retenue de poser des questions, même lorsque certaines te brûlaient les lèvres. Tout cela, pour éviter d’attirer l’attention. Et pourtant, ça n’avait pas suffi.Ton objectif allait bien au-delà de simplement retrouver ta famille. Tu voulais comprendre. Comprendre les mécanismes de ceux qui les avaient arrachés à toi. Cet endroit, interdit à de simples visiteurs comme toi, était une mine d’or de savoir sur le sujet. Ironiquement, à force d’assister aux cours, tu avais fini par t’intéresser au contenu lui-même, au-delà de ce qu’il pouvait t’apporter. Alors, quand la porte du bureau s’ouvre, ton cœur rate un battement. Tu fais un pas de côté pour laisser passer deux personnes trop bien habillées pour être de simples visiteurs. Puis ton regard revient sur ton professeur, encore plus impressionnant vu de près. Vous vouliez me voir ? Question réthorique bien sûr, juste destinée à briser le silence.
(Mira Vasilyevsky)