J’ai tout laissé là-bas. Tout ce qui déconne, vous savez, tout ce qui n’est pas bien, pas conventionnel, tout ce qui m'abîme et nous distance. Je conjugue la déchéance à l’américaine. Ici, je purifie mon sang, je mange mieux, je baise moins, ici, j’suis le type normal, qui se couche juste un peu tard, qui a parfois les yeux un peu plus rouges que les autres, et qui crèverait de décevoir les deux femmes de sa vie. J’ai ramené la troisième, parce que finalement j’crois que j’en ai besoin. Et qu’elle aussi, a besoin de se rappeler qu’elle n’est pas que Rothschild. Hier, j’suis venu te chercher en taxi, nos corps séparés d’une gamine qui t’regardait avec des yeux qui ressemblent aux miens. Chez moi, ma mère a eu le temps de foutre des bougies partout, et de ranger comme si le roi Charles débarquait. Entre nous, c’est toujours un peu le foutoir ; y a du tissu qui traîne, des dessins, et des bibelots qu’on arrive pas à jeter. Elles ont eu le temps de t’inonder de questions. Ma soeur a eu le temps de te toucher les cheveux une bonne centaine de fois et de te coincer dans une soirée pyjama dans sa chambre. J’me fais éclipser, tellement tu prends leur lumière. Mais, moi j’te trouve encore plus belle, dans ce décor là. Alors imagine, quand aujourd’hui on leur a demandé d’aller enfiler leur plus belle tenue, et de nous laisser tout organiser. J’avais anticipé quelques courses, j’les ai fini avec les dernières idées. J’t’ai mis le tablier familial. J’suis dans un multivers où on est pas foutus, où t’as aucune bague au doigt, et où on sait s’aimer en se le disant. Ca danse à côté, et j’ai fermé la porte, pour garder la surprise. Pour pouvoir mordre ton cou, aussi, mon corps qui épouse le tien, mes bras entourant ta taille alors que t’es entrain de préparer un espèce de velouté de potimarron. En tout cas t’essayes. Et moi, j’essaye de capturer les secondes où j’ai le droit de t’avoir à moi. “Avoue que tu te demandes ce que tu fous là.” Soufflé, avec malice, contre ta peau. “Ma sœur te lâche pas en plus, j’suis un peu jaloux.” Faux. Mais, là, ma fausse jalousie, j’peux l’exprimer. Avec elle j’peux te partager. Même si ça signifie perturber ta cuisine dès que j’ai l’occasion de voler un peu de ton odeur, d’une douce morsure.
(Horace Dawson)
enfant sauvage ☽ mon drame c'est mon ombre, une ombre profonde comme la nuit, qui gronde et ronronne quand je lui donne ma peur d'être seul, ma peur d'échouer. mon drame c'est mon ombre, qui grimpe et qui pousse le long de mon corps, comme du mauvais lierre ; elle, c'est le diable qui l'a cousue à mes pieds - c.luciani.