(TW) It will never be the same • Anthea

Mardi 8 octobre. Soirée.

Assis sur le banc dans les vestiaires du personnel au Lord Hobo, je ne bougeais pas. Mes yeux étaient rivés sur le sol ou peut-être plus sur cette main droite qui n'avait plus que trois doigts. Le cœur cognait vivement dans la poitrine. Le souffle était difficile à saisir. Pourtant, je ne bougeais pas de l'endroit où je me trouvais. J'attendais simplement que ça passe. J'attendais juste que l'instant se calme. Je restais là à subir en silence. Quelques secondes. Quelques minutes. Je ne saurais vous dire combien de temps ça durait, combien de temps j'étais charcuté par mes propres pensées. Lorsque le cœur finissait par se calmer, la main encore entière attrapait la canne dont je ne pouvais plus me passer pour marcher. Jambe droite trop foutue en l'air. La porte des vestiaires était poussée. Le brouhaha me prenait aussitôt aux tripes. Je déglutissais difficilement avançant avec lenteur et gardant les yeux baissés. Gamin amoché par la vie. Gosse qui n'était pas certain de se relever cette fois. Être humain qui regrettait de fouler encore la Terre si c'était pour n'être plus que cette ombre. Fade. Détruite. Prisonnière. Mes prunelles sombres se fermaient un instant avant que je ne rouvre les yeux relevant la tête. Les clients semblaient affluer ce soir au bar. J'hésitais. Est-ce que je pouvais vraiment essayer ? Est-ce que je voulais vraiment tenter ? Je finissais par m'approcher du comptoir interpellant une des personnes qui semblait attendre. Je prenais la commande et je me lançais pour la première fois depuis que l'horreur s'était abattue sur mon être. Le début de la préparation se passait bien même si j'étais plus lent que mes habitudes passées. Soudainement, une bouteille m'échappait des mains... Non. Elle m'échappait de la main charcutée parce que, pris dans ma préparation, j'avais oublié que les doigts n'étaient plus là pour une bonne prise. Le « Putain... » m'échappait dans un murmure tandis que le corps se reculait légèrement du comptoir. Je fixais les débris au sol sentant le cœur se mettre à cogner plus fort. L'envie de disparaître était aussi intense que cette douleur qui cognait dans mon être. Gamin incapable. Gosse foutu en l'air. J'avais envie d'éclater en sanglots, mais je restais juste là à fixer le désastre mordillant ma lèvre.

Le sanglot montait dangereusement dans l'être sans pour autant m'échapper. L'incapacité venait d'être mise en lumière. Mes prunelles sombres restaient figées à observer les débris de la bouteille éclatée au sol. Je venais d'essayer de me lancer pour la première fois depuis les récents événements et j'échouais. Avec une seule et unique commande, je n'y parvenais pas. Putain, comment j'allais faire pour travailler ? J'allais devoir passer des heures à m'entraîner pour retrouver la dextérité et la rapidité d'avant. Mais, est-ce que ce serait suffisant ? Est-ce que je pourrais vraiment réussi malgré les doigts manquants ? Je n'en savais rien. Tout ce que je savais était que, ce soir, je venais d'échouer. Mon coeur battait si fort qu'il me faisait mal. J'avais follement envie de disparaître bien trop gêné de mon incapacité. Cependant, le corps refusait de bouger. Il restait là face au désastre entendant à peine la voix de la cliente s'élever. Je restais figé comme si le monde s'était arrêté. Je restais immobile perdu dans un silence. Jusqu'à ce qu'une main ne touche mon bras. Le recul était si soudain que je manquais de tomber. Le brouhaha percutait de nouveau mes oreilles me faisant grimacer. Mon regard se posait aussitôt sur la cliente et le « D'solé... » était soufflé. Mes iris se tournaient ensuite vers la personne plus proche de moi. C'était l'un de mes collègues qui me faisaient signe de laisser. Je reculais sagement. Bien trop soumis. Bien trop obéissant. Je faisais le tour du bar observant mon collègue servir la cliente, déposer un autre verre pour moi et commencer à nettoyer mon bordel. M'approchant du bar, je m'installais au côté de la demoiselle et j'attrapais mon verre de ma main valide le portant à mes lèvres pour le vider cul sec. Je voulais juste oublier mon Enfer.

L'échec était réel. L'incapacité était véritable. Ça faisait putain de mal de se prendre cette réalité en plein visage d'un seul coup. Je n'étais pas préparé à cette vague pleine de douleur. J'agissais comme un robot faisant le tour du bar pour m'installer à côté de la cliente déçue - enfin, dans mon esprit, elle l'était obligatoirement. Gamin totalement déconnecté. Gosse qui ne voulait pas replonger dans la réalité. Le verre était posé devant moi sans même que je ne le demande. Je n'hésitais pas une seule seconde. Les doigts valides entouraient le verre pour le porter à mes lèvres. Je le vidais cul sec. Là, à présent, je voulais oublier cette réalité. Je désirais oublier ma vie. Mes prunelles se posaient sur la cliente lorsque sa voix se faisait entendre. Cette voix qui s'adressait à moi. Je regardais le verre vide qu'elle venait de faire claquer sur le comptoir. Je l'observais un instant en silence acquiesçant à peine lorsque le barman me proposait un autre verre. Oui, j'en voulais un. Je désirais me noyer dans l'alcool. Je voulais me laisser emporter dans les bras de l'ivresse. L'interrogation de l'étrangère tombait me poussant à planter mon regard dans le sien tandis que le « Nan. J'veux juste oublier. » passait mes lèvres. La confession était réelle. La demande était sincère. Je voulais oublier. Avec l'alcool. Avec elle. Anthea que je pouvais appeler Thea. J'offrais un bref sourire répondant « Neal, enchanté. » avant d'attraper le nouveau verre. Ce verre que je tendais en direction de ma nouvelle rencontre pour trinquer.