FAHRENHEIT 451 ⸻ chloé

octobre 2024

parfois, elliot se dit qu'il aimerait vivre en musique. un peu comme le protagoniste d'un film, chacun de ses faits et gestes seraient ainsi rythmés par une symphonie. bande originale signée par les plus grands compositeurs classiques, rien ne serait plus baroque, plus décadent, plus excentrique que la partition de son existence pathétique. et il a pour preuve ce moment crucial de sa vie : celui où, irrité, il dévale les escaliers de son immeuble en jogging pour chercher sous une battante pluie l'objet de ses convoitises ⸻ un foutu livre.

⸻ si jamais je ne trouve pas de poubelles... qu'il hurle à sa colocataire en débarquant dans l'avenue du commonwealth ...sache que je te ferais vivre un ENFER.

menace funeste qu'il clame, tout trempé, alors qu'il cherche désespérément la silhouette d'une décharge ou d'une benne. mais il ne trouve rien. puis vient le chaos dans sa tête : l'on passe alors en fond la symphony no. 7 de beethoven lui-même. chloe est déjà morte. et il sera le tireur embusqué derrière sa fenêtre.

car si cette expérience rare, unique en son genre, vous a échappé au cours de votre fugitive existence, sachez que vous avez dès à présent l'infinie chance d'en observer un dans son environnement naturel, tournant sur lui-même en quête d'une poubelle sous un déluge ô combien cruel. vous le savez ⸻ et je l'admets ⸻, le narrateur n'a que trop peu démontré tout au long de ses textes de l'empathie pour elliot, ce chapardeur capricieux, immature et grossier à souhait. après tout, comment est-ce qu'il pourrait ? il le méprise ⸻ et personne ne lui en voudra de penser ce que tous élude depuis des semaines. mais voir ce pauvre homme s'acharner à chercher son livre dans cette tempête a quelque chose de sinistre, de pathétique et même de tragique (si l'hyperbole est tolérée dans cette fresque). au fond, on entend don giovanni. il appuie tout le caractère funeste de cette scène.

⸻ où t'as mis ce livre, chloe ?
⸻ réponds !
⸻ où tu l'as mis, bordel ?!

trempé, grelottant, frémissant sous le froid dévorant de ces ténèbres, monroe n'en démord pas. c'est qu'une force rare anime ses gestes. d'où vient-elle ? c'est ce que chloe ⸻ et nous autres, pauvres gens ⸻ cherchont à connaître.

attendons de voir la suite. je suis sûr qu'elle promet.

le point culminant des tensions ; le paroxysme du dramatisme ; le dernier sommet (que dis-je ! le dernier pic !) avant le dénouement final [...] et il se situe à cet instant précis lorsqu'elliot, à bout de souffle, tremblant de froid, observe avec le plus grand dépit qui soit la complaisance avec laquelle chloe le nargue dans sa souffrance et son effroi. le livre n'a pas été jeté. il est peut-être à quelques pas. de quoi poser en son for intérieur un dilemme moral : doit-il céder à ses caprices... ou faire exploser cette colère qui monte, monte encore et encore pour poser sur ce chapitre risible un mot de fin ?

il est épuisé, risque de crever, malade comme un chien. pourtant, il n'en démord pas. et, toujours plein de détermination, aboie.

⸻ c'est quoi ton putain de problème au juste ?
⸻ ça te plaît de me voir comme ça ?
⸻ c'est si tripant pour toi de regarder les autres s'humilier devant toi ?

ses genoux abdiqueront avant lui. et le voilà qui s'écroule au sol, peiné par son sort misérable.

⸻ je. t'en. supplie. chloe. rends-moi mon livre.

car on ne l'a jamais vu se mettre dans des états pareils ⸻ et encore moins pour un roman aussi futile.
carl off, joue moi o fortuna. ce pauvre garçon le mérite.

théâtrale. voilà comment on pourrait résumer la scène qui se joue entre chloe et elliot ce soir car, à y voir de plus près, tout ce drame n'est en vérité que trop insignifiant ⸻ du moins pour un œil hagard. mais le garçon bouillonne en regardant fanfaronner sa camarade. mu par son désespoir, sa peine est aussi grande que la joie à peine dissimulée de sa comparse. comment peut-elle prendre autant de plaisir à le voir souffrir ⸻ lui, son ami (s'il peut du moins se qualifier comme ça) ?

ses poings se referment doucement. sa tête se baisse également. puis, dans un soupir, il lâche.

⸻ ok. très bien. de quoi veux-tu qu'on parle ?

un aveu d'échec formulé à voix basse ⸻ car le prix de sa rédemption est chère et a un goût aussi amer qu'âcre. lorsqu'il relève son visage, il la regarde ; observe dans le moindre détail ses faits et gestes et...

[...]
attends.
qu'est-ce qu'elle a dans son sac ?

et c'est là qu'il comprend : l'espièglerie de la jeune fille, la vanité de ses actes, le plaisir malsain qu'elle prend à le voir s'écrouler pour un livre et, par dessus tout, l'humiliation de ses déclamations dérisoires. elliot cligne des yeux plusieurs fois, troublé, frappé par l'éclatante vérité qui le foudroie, puis, stupéfait, demeure tout coi avant de briser son mutisme au bout de quelques longues secondes comme signant la fin de l'entracte.

⸻ tu sais quoi ?

son ton se fait clair. il s'apprête à se relever, ses genoux en pleine flexion, prêt à bondir sur place.

⸻ je vais te tuer. et ça sera vraiment de ta faute cette fois.

[...] car d'un geste, monroe fonce sur chloe, ses bras autour de ses jambes, pour la plaquer au sol avec une virulence rare.