Roxanne's | Olive & Salvatore

Salvatore était arrivé sur le fil, tout juste en avance. Il avait regardé la devanture avec admiration, c’était assez petit mais suffisamment « cosy » comme l’avait dit Olive elle même.

Ladite Olive n’était toujours pas arrivé, alors Salvatore se posa sur un rebord dans une baie vitrée de l’enseigne avant d’envoyer un message.

- Là

Le garçon était un spoil stressé, pas mal même. Il savait à quoi elle ressemblait, mais ne se souvenait aucunement de sa voix ni de son odeur, et c’était particulièrement ces choses là qui l’intriguaient toujours chez les femmes. Au delà du physique, en tout cas à ses yeux.

Il jouait frénétiquement avec sa montre au poignet, la declipsant pour la remettre juste après, la faire tourner sur son bras. Il était impatient de la rencontrer.


@Olive Desjardins-Parker

septembre 2024 ✧ roxanne's
w/ @Salvatore D'Innocenzo
tw : ràs.

Après une douche express, je prends quelques secondes pour attacher mes cheveux en une queue de cheval haute, plaquée, et asperge les racines de shampoing sec. Un trait de liner, un peu de mascara et me voilà qui enfile ma jolie robe noire. Je me demande si ce n’est pas trop mais Enola approuve la tenu alors… Une paire de talons, un cardigan noir par-dessus et me voilà en direction du Roxanne’s. Dieu merci, le bar n’est qu’à cinq minutes à pied et en vélo, encore plus rapide. Je laisse la bicyclette au point désigné sur mon app et retrouve Salvatore devant le bar. Son visage éclairé par les lumières des lampadaires est divin. Hey, désolée du léger retard. Que je souffle en sortant de l’ombre de la rue. Dix minutes, c’était beaucoup trop ambitieux. Je ris légèrement avant de lui sourire. C’était ambitieux mais j’avais peur que ça tombe à l’eau si je prenais trop de temps. Ridicule, n’est-ce pas ? Ça fait longtemps que tu es là ?

Lui portait une chemise blanche rentrée dans un pantalon à pinces noires, une coupe peu arrangée, pourtant assimilée de cire capillaire pour leur donner tout de même une légère forme, sans qu'ils ne battent au vent à la moindre bourrasque.

A l'arrivée d'Olive, Salvatore fixait un point à l'horizon, avant d'être tiré de sa torpeur mentale par sa voix, elle l'avait surpris, cette arrivée soudaine, prévue et pourtant inattendue en même temps. Presque magique.

Il se redressait, notre Italien, il était plus grand que la moyenne : mètre 95, dans ces environs. Il n'était pas particulièrement massif, mais suffisamment athlétique pour savoir qu'il avait une bonne condition physique.

- Hey. Je venais tout juste d'arriver. Je vois que t'as eu le temps de te préparer comme il fallait.

De quoi dire subtilement que les 10 minutes avaient été amplement suffisantes pour qu'elle soit apprêtée, et aussi belle que possible.

- On y va ?

Puis Salvatore aurait ouvert la porte pour laisser passer Olive, sans geste particulier concernant un quelconque rapprochement physique.

septembre 2024 ✧ roxanne's
w/ @Salvatore D'Innocenzo
tw : ràs.

Être si spontanée ne me ressemble pas vraiment. Pourquoi ? Tout simplement parce que j’ai passé ma vie à suivre un calendrier précis, à suivre une routine qui n’a jamais bougé. Alors, ce n’est pas dans mes habitudes de changer mes plans à la dernière seconde. Mais lors d’une discussion avec mes colocataires il y a quelques semaines, elles m’ont fait comprendre que ce n’était pas en suivant une routine que j’allais rencontrer de nouvelles personnes, me faire de nouveaux amis et plus si affinités. Alors, ce soir, je vais à l’encontre de mes habitudes et dès que j’entends la voix de Salvatore, je sais que rien que pour ce son, j’ai bien fait. Merci. Que je souffle rapidement en lui emboîtant le pas. J’acquiesce à son invitation d’entrer et me glisse entre les personnes qui discutent, celles qui rient et les autres qui s’embrassent vers un petit coin cosy où nous pouvons nous installer. Je ne connais pas forcément très bien les lieux mais j’ai toujours eu l'œil pour trouver le calme dans le chaos. Je suis trop intriguée par tes études. Ça t'est venu comment ? C’est pas qu’il veuille devenir professeur de mathématiques, architecte ou médecin. Ce milieu, c’est peu commun je trouve. Ou alors je n’ai définitivement pas assez d’amis, ce qui est possible aussi.

Il se faufilait derrière elle, si elle pouvait s'infiltrer sinueusement entre les gens, la carrure de Salvatore l'obligeait à demander aux gens de faire de la place. Malgré tout l'italien arriva à bon port, venant s'asseoir et découvrant le son tamisé pour laisser une place à l'écoute entre Olive et lui.

S'asseyant face à elle, entre 3 coussins pour se sentir bien à l'aise, il regarda longuement la femme avant de regarder autour de lui. Aucune ici n'arrivait à son niveau d'anomalie, car elle en était une : belle, grande, élancée, aux cheveux presque platines. C'était celle que l'on regardait sans pouvoir s'en détacher quand elle rentrait dans une pièce, et ça n'avait pas loupé pour certains curieux, ou envieux.

Un sourire satisfait, alors qu'il saisissait la carte pour passer son doigt le long de son tranchant, levant les yeux en réfléchissant à quoi répondre. Elle parlait directement de lui, c'était flatteur, lui n'aimait pas particulièrement ça.

- J'habitais à côté d'un aéroport pas très loin de Naples, avec mon père on s'allongeait dans le jardin et on les regardait passer. Tous les modèles. Depuis j'ai toujours eu envie de me lancer là dedans. L'espace ça m'est venu plus tard, avec tous les films sur ça. Pouvoir dire à mon père que l'avion au dessus de lui a été construit en partie grâce à moi. Et toi ? Je me doute que le féminisme est le combat de chaque femme, mais pourquoi tu as franchi le pas ? Si tu veux en parler bien sûr.

Cela pouvait être un traumatisme, ou un moment difficile de sa vie. Alors il ne voulait la forcer à se mettre à nu. Quelque chose d'assez intime qui forçait à évoluer, quitter sa chrysalide par la souffrance pour montrer à tous que l'on pouvait devenir un magnifique papillon.

septembre 2024 ✧ roxanne's
w/ @Salvatore D'Innocenzo
tw : mention déguisée d'agression sexuelle dans le monde du sport.

Si la spontanéité n’est pas mon plus grand fort, discuter et faire que les gens parlent d’eux est une seconde nature chez moi. Il faut dire qu’il a fallu me trouver des sponsors plus jeune et que mes parents me mettaient à l'œuvre aussi. J’étais la mieux placée pour parler de ma vie, de ce que je faisais sur la glace et de mon rêve d’or aux Jeux Olympiques. Si les explications peuvent être données par n’importe qui, la passion est bien trop particulière pour que n’importe qui arrive à la faire ressentir. C’est ce que je ressens directement dans les mots de Salvatore. Ce lien avec son père, ce souvenir d’enfance à regarder les avions atterrir et décoller pas loin de chez lui et cette envie de pouvoir rendre fier son père, cette envie de participer à quelque chose de plus grand que lui. Dans ce milieu, on va toujours de l’avant. Tu fais donc parti de ces personnes qui, juste en voyant la queue d’un avion savent la compagnie aérienne ? A part Américan Airlines et Virgin Atlantic, j’ai beaucoup de mal à différencier toutes les compagnies. Les avions, quant à eux, n’en parlons même pas. C’est ce qui me fait toujours rire quand c’est le moment des instructions dans un avion et qu’ils disent que tous les avions sont différents. À mes yeux, ce sont tous les mêmes. On va avoir besoin de boire un truc avant que je te parle de tout ça. Je ris légèrement en tournant le visage vers le serveur qui arrive. Je vais prendre un ‘I’m a star please’, s’il vous plaît. Je laisse Salvatore choisir sa boisson et me rapproche légèrement, ne souhaitant pas hurler une partie édulcorée de mon histoire pour que tout le monde entende. J’étais patineuse artistique de mes cinq à quinze ans et… Il ne se passe pas que des belles choses dans ce milieu malheureusement. Enfin, passait. J’espère vraiment que tout est réglé maintenant que je n’y ai plus vraiment un pied. Et avec ce qu’il s’est passé, lorsque j’ai retrouvé ma voix, j’ai décidé de m’en servir pour aider d’autres femmes qui ont vécu ce que mon club et moi avons vécu ou d’autres traumatismes. Rien de bien joyeux mais c’était désormais une réelle envie de changer le monde qui me faisait me lever chaque matin et ça n’était pas facile il y a moins de dix ans, de sortir la tête de ma chambre.

Salvatore n'apparaissait pas forcément comme ayant l'apparence de l'élève parfait : assez grand, belle gueule, au club de boxe et barista, on pouvait penser que c'était un étudiant lambda. Mais il s'était battu pour arriver là, des heures sacrifiées sur les bureaux, entre les livres et les stylos, plutôt qu'à sortir jusqu'au lever du soleil. Les dettes de sommeil étaient là, mais pour de bonnes raisons.

Il n'avait ni le rang, ni l'argent pour venir à Harvard. Il n'avait que le talent et la motivation, le plus beau cadeau que pouvait lui faire la nature. Ses parents s'étaient sacrifiés pour qu'il ait une bonne éducation, et il comptait bien le rendre quand il sera diplômé.

A sa remarque il ne put que souffler du nez, lâchant un sourire radieux qui resta à ses lèvres quelques secondes.

- C'est un talent nul mais effectivement c'est le cas. En ce moment les Boeing ne sont pas réputés, je peux faire en sorte d'éviter que t'en prennes. Même si bon...

Quand le serveur arrive, il avait déjà regardé la carte. Elle avait pris un "I'm a star please", lui s'était plutôt positionné sur un....

- Un Déjà Brew ? Merci.

Ca contenait du café, une liqueur expresso, rien qu'il ne devait pas goûter en venant ici en tant qu'Italien.

- Oh donc c'était plus qu'un simple sport pour toi, tu m'avais parlé de passion c'est vrai. C'est quoi qui t'a donné envie ? Tes parents t'ont inscrit et c'était le coup de coeur ? Les problèmes c'est exclusivement pour les femmes ? C'est sans doute une idée reçue mais ça me paraît être un milieu très féminin, les filles se faisaient aussi des crasses ?

septembre 2024 ✧ roxanne's
w/ @Salvatore D'Innocenzo
tw : mention déguisée d'agression sexuelle dans le monde du sport.

C’est pas un talent nul ! Si une question un peu obscur tombe au Pub Quiz, t’es sur de gagner ! Et on ne va pas se mentir, il y a de nombreuses soirées qui se terminent sur une question un peu obscure et tellement niche que seuls les experts en la matière savent répondre. Mais les Boeing, c’est pas ce qu’on prend majoritairement ? Enfin, les gens qui peuvent partir en vacances. Je prenais souvent l’avion avant, pour mes compétitions, mais ce n’est plus le cas maintenant. Ça ne me manque pas de passer des heures dans les différents aéroports du pays, de devoir arriver en avance pour être sûre que je puisse garder mes patins - sans lames - avec moi. J’écoute ses questions et les note toutes mentalement pour n’oublier de répondre à aucune. Je me rends compte que ma façon de décrire ce qui m’est arrivé a été tellement vague qu’il pense que c’est juste une histoire de compétition. J’aimerais le corriger et en même temps, l’hésitation est grande. Lorsque les gens apprennent ce qui m’est arrivé, ce qui nous est arrivé, il y a toujours un voile d’horreur et de tristesse qui se glisse dans les yeux de nos interlocuteurs. Je n’ai pas envie de cela avec Salvatore, pas ce soir du moins. J’ai commencé à l’âge de trois ans parce que j’adorais ça. J’étais déjà plutôt doué sur des patins à roulettes mais alors quand j’ai découvert le patin à glaces récréatif pendant le marché de Noël, c’était… comme tomber amoureuse. Et je n’ai jamais voulu arrêter après cela, ce qui n’a pas été facile pour mes parents. Comme pas mal de sports, c’est très onéreux mais j’étais si heureuse dans mes tenues à patiner. Les problèmes concernaient malheureusement tout le monde. Et il y a beaucoup d’hommes dans le milieu du patinage mais ils sont un peu moins médiatisés. Par exemple, aux JO de 2022, il y avait autant d’hommes en patinage artistique que de femmes. Une statistique complètement naze mais qui me fait chaud au coeur. C’est juste qu’ils sont moins médiatisés. Dans le monde patriarcale, une jolie demoiselle en justaucorps intéresse et marque plus qu’un joli jeune homme en costume moulant.

Salvatore rit à sa remarque, elle n'avait pas foncièrement tort.

- Malheureusement si, mais beaucoup de pièces deviennent défectueuses. Il y a beaucoup d'accidents dernièrement.

Alors qu'il l'écoutait le serveur ramenait les cocktails en question. Le sien paraissait bien moins appétissant que celui d'Olive. Un peu déçu il le cacha néanmoins, se montrant toujours très attentif à ce qu'elle disait. Même s'il se doutait de quelque chose, le garçon ne dit rien, ce n'était pas à lui d'enfoncer les portes aussi violemment. Si elle voulait le faire, elle le ferait, voilà tout.

- C'est vrai qu'on voit souvent le patinage en duo mixte. On a tendance à l'oublier. Et ça te manque pas de concourir, je parle pas des backstage, tu dois être heureuse de les avoir quitté. Mais juste de glisser et performer devant un public ou des juges.

Dans sa mégalomanie, il aurait adoré, vaniteux complet qu'il était, qu'on le regarde où il était le meilleur. C'était bien pour ça qu'il faisait de la boxe, pour être acclamé lorsqu'il gagnait. Rien d'autre.

- En tout cas c'est cool que tu n'aies pas abandonné pour ton plaisir personnel malgré ce que tu as traversé. C'est toujours terrible pour ceux qui s'isolent complètement de leur passion, c'est une double peine qui deviennent une seule capitale.

septembre 2024 ✧ roxanne's
w/ @Salvatore D'Innocenzo
tw : mention déguisée d'agression sexuelle dans le monde du sport, mention accident sportif.

Bon, c’est qu’il n’est pas très rassurant avec tout ça. Je vais me contenter de mes destinations locales alors. Je ris légèrement, comme pour me convaincre qu’il ne va rien arriver à mes parents qui sont partis à New York pour le week-end, en avion. Pourquoi est-ce qu’ils ont fait ça ? Le train c’était bien aussi. Mais plus cher. C’est toujours les pauvres qui casquent après tout, comme pour tout. Un remerciement rapide vers le serveur, je pose mon verre sur la table basse devant nous et prends une large inspiration. Il y a une Olive qui meurt à petit feu parce qu’elle ne peut plus être au niveau qu’elle était. Genre vraiment. Les Jeux Olympiques, c’était mon but et j’y suis arrivée. J’avais quinze ans, prête à faire ma routine avec mon partenaire et… Ça ne s'est pas passé comme prévu. Je suis tombée, une période hyper difficile a suivi et voilà. Le rêve qui s’envole si proche du but. J’aurais pu reprendre mais avec le scandale et la pression qui allait avec, je n’ai jamais réussi. Je ne pourrais jamais refaire confiance à un médecin, c’est ancré en moi. Donc la petite Olive qui a déménagé à plus de 3 000km pour vivre son rêve est très triste. Mais celle qui continue le sport à un niveau bien plus bas est super heureuse. J’ai des compétitions de temps en temps, c’est juste beaucoup moins intense. Je souffle ces mots et me rends compte pour la première fois que, bien que le milieu de la compétition professionnelle me manque, je suis bien comme ça. Et puis, si j’étais encore à ce niveau, je serai au bord de la retraite, les genoux en vrac ! Ou alors, je pourrais pas être dans ce bar à m’apprêter à boire un cocktail avec un garçon super mignon parce que je devrais me reposer et dormir pour me lever aux aurores et m’entraîner pendant douze heures. À ces mots, j’hausse les épaules et attrape mon verre. J’avais beaucoup perdu, failli tout perdre même, mais je m’en sortais bien. Cette vie, je l’aime et franchement, c’était pas donné. À notre santé et à nos rêves ? Que je souffle en tendant mon verre vers lui, pour trinquer.