— but you're still a traitor (milea)

Le creux qui se forme dans le coeur à la vue des larmes qui coulent sur le visage de Thea. Il aurait voulu sécher ses larmes, pourtant incapable de le faire car il en était la cause. Alors il restait là, stoïque. Le visage neutre, peu à l’image de l’intérieur de son corps qui vibrait de colère, de crainte. Elle avait raison, mais lui n’était pas prêt à l’avouer. – Tu peux tout remettre en question, mais pas ce que je ressens pour toi. Pas quand je t’ai dit que je t’aimais.. et je mens pas là-dessus. Je t’aime Thea. Les mots qui avaient du mal à passer, alors qu’il s’arrêtait pour déglutir. Difficile pour lui de dire ces mots à voix haute. Foutue habitude de se sentir seul contre le monde et de lui donner des armes pour l’abattre. Incapable de réaliser que c’était elle, qu’il était en train de mettre à terre. L’horrible sensation d’être impuissant, de voir la situation lui échapper. Il la regarde faire un aller-retour de la salle de bain annexe à la chambre, la laisser se balader avec leur sort entre les mains. – Je te cache rien, tu mélanges tout. Je suis juste pas le plus expressif, mais ça peut pas remettre en question tout le reste. T’as toujours pu me faire confiance. Il accusait le coup, de prendre tout un tas de reproches dans le visage. À ce jeu-là, il partait déjà perdant. Il essayait pourtant de se raccrocher aux branches, faisant un pas pour s’approcher. – Au-delà des messages, je l’ai vu, c’est vrai. Mais il s’est rien passé.. j'ai pas dépassé les limites. Sans se rendre compte que c’était pire, d’avouer avoir besoin de se maîtriser pour ne pas fauter.

Milo ne nie pas lui parler encore, et au fond, ça ne fait que conforter Thea sur la conclusion qu’elle est en train de tirer. Elle sent déjà son cerveau chercher toutes les excuses possibles pour se contredire mais chaque mot que Milo prononce lui dit de ne pas le faire. Elle soupire doucement quand il lui demande de ne pas remettre en cause ce qu’il ressent pour elle mais acquiesce. Même si une part d’elle a envie de lui faire du mal, elle ne veut pas ternir tout souvenir de leur relation - du moins, pas à cette seconde, quand elle pourra changer d’avis à tout instant. “Je te crois.” murmure-t-elle, la gorge serrée. Elle sait combien ces je t’aime sont précieux, qu’il les prononce chaque fois comme si ça lui brulait les lèvres mais qu’il le pense. Ce n’est peut être juste pas assez, ou pas comme il faut qu’elle l’aime mais honnêtement, ce débat ne sert plus à rien. Thea abandonne. Ce n’est pas faute d’avoir prévenu, d’avoir dit qu’elle ne se battrait plus. Et, que ce soit une bonne ou une mauvaise chose, ce n’était pas des paroles en l’air. “Non, Milo. C’est pas une question d’être expressif, c’est de tourner la vérité à ta sauce toujours, même si ça fait croire quelque chose d’autre à quelqu’un. J’ai conscience que c’est ton métier, mais je suis ni une cliente, ni une adversaire. Je mérite mieux que ça, et t’es honnête que quand je te pousse dans tes retranchements.” Comme là où il lui dit qu’il l’a vu après ces messages. “A sa demande ou à la tienne ?” demande-t-elle, bien résolue à tout se prendre en pleine face. La mauvaise foi de Milo la rend folle et si elle doit encore plus piétiner son coeur dans le process… qu’à cela ne tienne. Milo doit voir la vérité en face, parce qu’il n’y a aucun monde dans laquelle elle acceptera qu’il la fasse passer pour la drama queen du tien. “Et c’est quoi la limite, exactement ?” Est-ce que le draguer en face à face en est une ? Est-ce que l’embrasser en est-une ? Est-ce que sucer ou se faire sucer, c’est tromper ? Thea étouffe un haut le coeur et attrape la bouteille, dans laquelle il ne reste plus grand chose, attendant qu’il réponde - et achève de la briser.

C’était son quotidien, de détourner la vérité et l’utiliser en son avantage. Ça l’amusait même, au-delà du caractère nécessaire lors des cas les plus complexes avec des clients douteux. Ici, il n’y avait rien de réjouissant. Pas les larmes de sa copine, ni la terrible sensation de la perdre un peu plus à chaque parole échangée. Trop bon tricheur, il aurait pu lui raconter ce qui l’arrangeait. Même prétexter que c’était pour le bon déroulement d’une affaire en cours, et si la pilule aurait du mal à passer, il pouvait au moins extirper l’aspect de trahison émotionnelle. Mais lorsqu’ils s’étaient retrouvés, laissés une seconde chance, il avait juré de ne plus laisser l’égo et les mensonges creuser l’écart entre eux. Même si ironiquement, c’est la vérité qui risquerait de les briser aujourd’hui. La même vérité qu’elle lui envoyait une pleine face, le forçant à serrer la mâchoire et se taire. L’énèrvement était passé, laissait place à une vague de culpabilité et de crainte qu’il n’avait jamais ressenti auparavant. – À ma demande. Et il ne savait pas s’il y avait pire confession que celle-ci. Avouer qu’au-delà des messages, s’il n’avait rien fait de concret, il s’était tout de même engouffré dans un jeu inapproprié de ses propres mains. Pire encore, il l’avait intensifié. Thea était bien trop clairvoyante, qu’elle savait voir au travers. – Je l'ai pas baisé, Thea. Manière détournée de répondre à sa question, sans réellement établir les limites demandées. Vulgariser la chose pour qu'elle n'y voit rien de plus qu'une attirance sexuelle. Aucune romance, aucune teneur émotionnelle. Rien de ce qu'ils avaient, eux. Réponse qui se voulait rassurante, mais qui ne l’était pas réellement. – Je suis désolé.. je sais pas pourquoi j’ai fait ça. C’était au moins ce qu’il lui devait. L’amour et le désir étaient deux choses bien distinctes à ses yeux, et pas même une attirance physique pour autrui ne retirait au fait qu’il l’aimait profondément, il en était certain.

Le couperet tombe et la sentence est encore plus violente qu’elle ne s’y attendait. Le poignard logé dans son coeur est comme manipulé, et réinséré plusieurs fois de suite. Thea ne le quitte pas du regard quand il dit que c’est à sa demande qu’il a revu l’inconnu de son téléphone mais son visage se déforme de douleur. Elle n’a même pas la force ni l’envie de le cacher. “C’est pas ma question. Tu veux que je développe ? Très bien. Tu l’as touché ? embrassé ? sucé ? Tu t’es fait sucé ? A moins que vous n’ayez fait l’amour ? C’est quoi la putain de limite, Milo ?” demande-t-elle, les dents serrés alors que parler se fait de plus en plus dur entre les larmes. La future chirurgienne a du mal à respirer, l’impression qu’on la presse comme un citron jusqu’à la presser de toute vie et honnêtement, elle ne serait pas contre si seulement elle pouvait avoir un peu de répit. Haletante, elle entend à peine ses explications et se lève brutalement pour aller ouvrir la fenêtre. Même pas assez haute pour faire taire la douleur qui l’envahit. Appuyée sur le rebord de la fenêtre, elle cherche à trouver de l’air quand ses excuses retentissent dans la pièce et retombent… comme un soufflet. “Désolé d’être pris la main dans le sac, plutôt que de l’avoir fait, non ?” Thea se sent vaciller, étourdie par les émotions qui la submergent et se retourne, résiliée, éteinte, abandonnant tout espoir que cette discussion les rapproche. “Je vais avoir besoin que tu trouves pourquoi.” Pour qu’ils aient la moindre chance, Milo va devoir travailler sur lui. “Prends le temps qu’il te faut, mais pour qu’on ait la moindre chance, il va falloir. Parce que je te le dis : ces messages, c’est déjà ma limite franchie. Encore plus si tu mens pas en disant que c’est que sexuel.” Elle déglutit, le visage toujours baigné de larmes. Accrochée à la poignée de la fenêtre comme si sa vie en dépendait, elle cherche les mots, quelque chose à dire pour ne pas partir tout de suite. Mais sa respiration se bloque à nouveau et Thea tombe à genoux sur le sol, les sanglots la parcourant de tout part. Elle a l’impression qu’un membre lui est arraché et si elle pensait savoir ce qu’était d’aimer avant, elle se rend compte que non, que Milo est le seul qui a su lui faire sentir ça… et qu’il faut partir, avant d'en venir à la détester.

Des explications, il n’était même pas capable d’en fournir. Ce jeu arrivé comme une pulsion, lui n’y avait rien vu de mal au début pour finalement s’emporter dans quelque chose de plus dangereux. Dans le fait de voir cette personne et de tester ses limites, quand il aurait dû se freiner et se concentrer sur l’arrivée imminente de Thea. Il avait fait taire ses doutes dans la provocation, pour finalement affronter la tempête qu’il avait lui-même créée. – Rien de tout ça, putain. Parce que s’il en avait eu envie, il avait su ne pas le faire. Pas de quoi le féliciter, mais c’était à souligner. Qu’il n’était pas le trompeur qu’elle dessinait. Non pas qu’il puisse lui en vouloir de se poser la question ou de laisser la colère parler. La tristesse, surtout, alors qu’il la voyait ouvrir la fenêtre pour prendre de l’air. Le surplus d’émotions et de tension qui les faisaient étouffer, et lui n’avait que des excuses à présenter face à la détresse de sa petite-amie. – C’est des messages, Thea. D’accord j’ai merdé, mais pas au point de tout foutre en l’air. Est-ce qu’il ne l’avait pas déjà fait, finalement ? D’autant plus lorsqu’elle soulignait que sa limite était déjà franchie. Le myocarde se serrait un peu plus alors qu’il la voyait se laissait glisser jusqu’au sol. Elle le détestait sans doute mais lui ne pouvait pas s’empêcher de la retrouver et se mettre à son niveau, ses mains posées sur ses joues pour relever son visage. – Pardonne-moi. Réel voile de panique qui traversait son regard, alors qu'il ne se serait jamais douté qu'elle aurait pu avoir une telle réaction.

Thea soupire en l’entendant s’agacer mais ne relève même pas. La vérité est qu’elle ne sait plus si elle le croit, s’il parle pour se défendre, s’il est sincère… Tout ce qu’elle voit c’est que sa confiance est brisée, une deuxième fois et qu’elle aurait dû écouter son instinct depuis le début. L’amour rend vraiment débile, c’est la seule conclusion qu’elle en tire, parce qu’elle sait pertinemment que les conclusions qu’elle est en train de tirer, elle les a déjà tiré par le passé. Est-ce que c’est parce que c’est dur de se défaire des normes que la société nous impose, qu’elle ne parvient pas à apprendre la leçon ? Oui, bien sûr, il y a son palpitant qui entre dans l’équation et lui fait croire que cette fois, cela sera différent mais Thea est quelqu’un de fort et de discipliné, elle sait faire taire ses émotions quand il le faut, les ignorant au profit d’actions calmes, logiques et cartésiennes - ses accès de colère mis à part. Pourquoi ne peut-elle pas appliquer cette attitude quand il s’agit d’amour, s’éloigner pendant qu’il est encore temps ? Thea soupire en l’entendant lui reprocher les conclusions qu’elle tire mais sans être capable de dire qu’il comprend une seconde, qu’il serait fou de rage à sa place et n’aurait sans doute qu’une idée en tête : se venger. Thea n’en a même pas envie, elle. Elle soupire, puis s’éloigne pour essayer de respirer mais l’air frais lui fouette le visage, la faisant lâcher ces dernières forces. Quand il s’approche pour attraper son visage, Thea ferme les yeux, pas par dégoût mais parce qu’elle essaie de retrouver cette sensation de réconfort qu’elle a toujours ressenti quand Milo pose ses mains sur elle. Elle penche légèrement la tête, pour s’appuyer légèrement contre l’une d’elle mais ouvre à nouveau les yeux quelques secondes plus tard, et souffle, la voix rauque et brisée : “à quoi bon, si je ne peux plus te faire confiance ?” Comment après deux trahisons, peut-on à nouveau faire confiance ? Comment ne pas faire de son quotidien un enfer de doutes, d’interrogations et de jalousie ? Comment apprendre à respirer quand la peur que cela se reproduise - ou pire, puisque cette trahison est pire que la précédente, qu’une limite de plus ne soit franchie est si présente ? Thea ne voit que deux options en cet instant : partir et leur donner une chance de respirer, avec une chance que l’avenir soit clément même si ses neurones ne le formulent pas encore, ou rester et s’écorcher chaque jour jusqu’à se faire vivre un enfer, jusqu’à se détester. Elle ne bouge pas, pourtant, suite à la question, plus rhétorique qu’autre chose, incapable de trouver la force de se lever et de lui tourner les talons sans savoir si c’est la dernière fois qu’ils sont si proches.