« ♬ Les rêves des ammmourrrreux, sont commeee le bon vin…. ♪ Ils donnent de laaa joie, ou bien du chaaagrin…. Affffaibli par laaa faim ♫, je suis maalheureuuux. »  Paris…. Un jour elle le lui demandera de l’y accompagner à lui aussi, une fois qu’il sera un peu plus sûr de lui, confiant quant à son physique et même si c’est pour rester dans son ombre au cœur d’un appartement du 7ème, il acceptera volontiers juste pour gouter une fois au célèbre luxe français. « ♫ Car rien n’est gratuit… dans la viiiie. ♪»  
Mais pour l’heure c’est au cœur de la Kirkland House qu’il prépare de quoi se rassasier avant de vouloir profiter de la qualité du réseau dans la pièce étoile afin de jouer. Un samedi après-midi loin du couple qu’il a par un peu involontairement blessé. Oui, le brun a trouvé plus judicieux de les laisser s’expliquer en paix, loin des assiettes que pourrait faire voler Haiwee. Avant de partir, il a tout de même par verrouillé l’accès à la cave pour ne pas y retrouver que des cendres, juste par précaution.

Une glace à peine entamée dans le bec, habillement volée trouvée dans le congélateur commun, il prépare les ingrédients un à un sur la table, cherchant chacun d’eux après en avoir vu le nom sur son écran de téléphone. Commence alors la grande cuisine lorsqu’il soupèse chaque grain de farine, sépare avec constance le blanc du jaune des œufs. Le problème c’est qu’il est un novice en la matière alors c’est auprès de google qu’il trouve des réponses toutes les trente secondes, sa glace en étau entre ses dents pour lui laisser le champ libre. Mais à force de rester ainsi, le froid lui saisit les gencives et il lâche instinctivement prise, le magnum terminant en morceaux à côté du bol en grande majorité. « Ca donnera peut-être plus de gout… »   Après un bref nettoyage, il ne subsiste de cette catastrophe qu'un éclat resté dans le mélange de farine et de sucre.

Puis cette phrase l’interpelle lorsqu’il en a terminé avec les blancs montés en neige…  « Il faut... les intégrer sans les casser… ? »  C’est mathématiquement impossible pour lui parce qu’il a beau retourner la chose dans tous les sens, se permettre d’extrapoler sur les différentes façons de procéder : peu importe le chemin emprunté, les blancs seront dissous à la finalité. Alors il bougonne de son coté la tête baissée sur le livre de cuisine à chercher s’il n’a pas loupé une étape de la création divine. Son index suit les mots à mesure qu’il relit les phrases une par une pour s’en assurer, le nez plongé dans la recette sans capter l’arrivée d’une importune...

Sur mon carnet je griffonne de mémoire, les chiffres d’une équation, un calcul pour lequel cette après-midi, en cours, personne ne trouvait de solution. Et par envie de ne pas jouer les Miss Je-sais-tout, j’ai pris le parti, de ne pas la résoudre lorsque j’étais en classe. On ne se refait pas, c’est un de mes plaisirs à moi, j’apprécie, quelques fois, les faire réfléchir et ne pas leur donner toutes les réponses. C’est autant pour leur bien que pour satisfaire l’un de mes besoins. Un petit côté vicieux qui me vient directement du caractère de mes aïeux. Chacun ses jeux.

Et lorsqu’avec un sourire hautain sur les lèvres je signe la fin et note le résultat, je me sens complète, comme à chaque fois. Pas assez difficile. C’est la seule vérité que je crois. Contente jusqu’à ce que ne se mette à crier mon estomac. Délaissant mes brouillons sur le côté, je me lève en un bond de mon lit, sans vraiment savoir ce que je compte grignoter, mais en sortant de ma chambre, je suis convaincue que je vais trouver. Espérant malgré moi que je ne vais croiser personne sur le chemin.

A la mesure de mes pas, je réalise que j’ai toujours mon crayon en main, alors c’est d’un tour, habile, que j’accroche les ondulations de mes cheveux. Perdue dans le fil de mes pensées, je me laisse surprendre par la façon dont le silence est brisé… Une voix qui fredonne, ou plutôt qui beugle pour être parfaitement honnête, un chant qui me prend un tantinet la tête. Cela dit, quand je finis par arriver dans la cuisine, ce qui m’étonne le plus c’est l’identité du chanteur. Du cuistot. Deux rôles qui sont aux antipodes de ceux que je lui connais. Même sa bonne humeur parvient à me donner des envies de reculer.

Je l’observe d’abord de loin, à l’image d’un spécimen, une mutation incontrôlée, une version de Dan un brin biaisé. « Il faut... les intégrer sans les casser… ? » s’interroge et j’hausse les sourcils, ce serait mentir que de dire que je sais cuisiner. Il faut blâmer ma mère et ses employés. Et pour l’art de la pâtisserie mon manque flagrant d’intérêt. Mais à défaut de lui répondre, je le questionne, « La finalité recherchée, c’est quoi ? » Une once de dégoût dans le regard tandis que j’observe la mélasse qu’il est en train de confectionner.

Rien n’y fait, il a beau retourner le problème dans tous les sens il n’en voit pas la solution et pourtant il sent au fond de lui que la réponse n’est pas très loin, juste sous son nez. Il a cette sensation qu’à force de relire chaque mot un par un, il finira bien par trouver. « La finalité recherchée, c’est quoi ? » Le nez soudainement levé de l’écran, de cet objet source de divertissements, il scrute l’intruse venue se repaitre du spectacle qu’il donne malgré lui. La maison a été entièrement nettoyée, les ustensiles rangés, les consoles rebranchées mais malgré tout c’est ici, dans la cuisine, qu’elle est venue perdre son temps, Annalynne.

Étonnamment ses paraboles – comme certaines langues médisantes aiment les appeler - ne l’ont pas détectée ce qui prouve bien que les autres les ont surestimées. Des moqueries qu’il tente vainement d’oublier mais à chaque fois, elles lui rappellent qu’il est tout sauf un éphèbe. « Des gaufres. »   Voilà l’intitulé de la recette même si pour le moment ça n’en a pas l’air, triturant l’amalgame de beurre et de farine tout en défiant du regard les blancs montés en neige. « C’est n’importe quoi. Comment… Incorporer çà, dans ceci, sans les " casser " ? »   Techniquement c'est impossible parce que les molécules vont finir par se lier alors le kirkland est un peu dubitatif et paumé.
La spatule persiste dans le mouvement concentrique, décrivant un cercle presque parfait, usant de force parfois pour la délayer de la pâte un brin trop consistante. « Peut-être qu'avec du lait.... » Le problème étant qu'il n'est pas coutumier des ajustages et juger des bonnes proportions est tout bonnement une première pour lui. Alors les yeux fixant son ustensile, il indexe l'étudiante de sa main libre en claquant des doigts pour capter son attention.  « Passe-moi le.... lactosérum UHT en brique.  »

Un seul de mes sourcils arqué, suspicieuse, dans l’attente de lever le voile sur le mystère de sa cuisine. Le suspense n’est pas franchement intenable, mais mes yeux quittent son visage pour regarder à nouveau dans son saladier. Je suis loin d’être une pâtissière néanmoins… Sa préparation ne me paraît pas franchement bien engagée. « Des gaufres. » Ah. Alors c’est peut-être le bon moment pour lui souligner le fait que je n’ai absolument jamais touché à un fouet. En d’autres termes, je ne vais lui être d’aucune utilité. Soutien moral, à la rigueur, si ça lui plaît.

En revanche, il m’arrache tout de même un sourire à se prendre la tête, « C’est n’importe quoi. Comment… Incorporer çà, dans ceci, sans les " casser " ? » Qu’est-ce que j’en sais ? Quoi que… Je peux toujours appeler l’une de nos cuisinière, prête à l’aider. C’est pas le genre d’avantage dont je me sers souvent, mais c’est un possibilité, pour sûr, contrairement à moi, elle trouvera une solution. « Peut-être qu'avec du lait.... » Bon là, par contre, pas besoin d’être un chef étoilé pour comprendre d’avance que ce n’est pas la meilleure des idées. L’impro en pâtisserie tout le monde sait que ce n’est pas conseillée. « Passe-moi le.... lactosérum UHT en brique. » Les lèvres pincées, mes prunelles glissent avec une lente mesure en direction de ses doigts qu’il vient de faire claquer. Sonnée comme un laquais. Commise alors que je n’ai quasiment rien demandé.

Cela dit, mes doigts vont finalement accrocher la solution lactée, non sans un commentaire, il ne faut pas m’en vouloir, je ne peux pas m’en empêcher, « Loin de moi l’envie de jouer les Madame Je-sais-tout, » faux, en réalité, c’est un statut qui me plaît. Mon petit plaisir coupable. Jouer de mon intelligence. Quelque part je suis persuadée que ça fait partie de mon charme, c’est pour ça qu’on m’aime, n’est-ce pas ? Inutile de préciser que mes relations sont limitées. « Mais j’crois pas que ce soit avisé de réinventer la recette. » que j’articule en dodelinant de la tête. Tandis que je lui tends la brique et que je zieute une énième fois ce qu’il a fabriqué. « Me semble que la pâte des gaufres, c’est censé être épais. » Différente des crêpes donc… alors rajouter du lait… Ouais, c’est risqué.