Beaucoup de choses s'étaient passés en peu de temps. J'avais beaucoup de mal à faire la part des choses en ce moment... J'ai besoin de temps pour réfléchir mais j'avais peur de partir en live si je me retrouvais seul.

Donnant rendez vous à Tim devant la maison, je l'attendais dans la Camaro. Cette scène avait tendance à me rappeler des souvenirs. Un sourire se dessina sur le coin de mes lèvres.

Mon téléphone encore en main, je tapote nerveusement l'écran en regardant par la fenêtre. Sans vraiment en comprendre la raison, le stress grimpe en flèche. Pas franchement habituée à autre chose qu'un immense chaos, j'avoue craindre le pire. L'attente me paraît interminable lorsque mes iris émeraudes se posent sur la Camaro de Paz. Ni une ni deux, j'attrape ma veste d'un rouge vif pour sortir en fermant évidemment la porte à clef. Bien qu'en talons relativement hauts, je cours jusqu'à la voiture afin de grimper à l'intérieur sans même attendre une seconde. Qu'est-ce qui se passe ? La danseuse de haut niveau que je suis n'est pas essoufflée par la mini course que je viens de faire, mais davantage par le stress.

Passant la vitesse, je me mis à conduire en direction de la mer. Pourquoi par là en particulier, je n'en avais aucune idée... Je ne savais pas réellement ce que j'avais envie de faire. Rester en mouvement, comme si j'avais la mort aux trousses. Ma relation avec Tim avait toujours été particulière. Je n'étais pas allé la voir pour son corps la première fois mais plutôt pour sa compagnie. Elle avait toujours été là quand j'en avais besoin. Confidente de ma solitude. Mais à présent, elle était aussi une proche d'Anna. Si j'appréciais l'idée qu'elles s'entendent bien, je ne pouvais plus parler à TImerra aussi librement qu'avant. Silence un brin pesant que je ne savais pas comment briser, je poussais finalement un soupire. Comment ça va pour toi en ce moment ? Partant sur un autre sujet pour commencer la discussion.

Le stress semble redescendre d'un cran alors que Paz est à côté de moi, en chair et en os. Une partie de moi craindra toujours d'être une sorte de porte poisse depuis que j'ai été responsable de la mort de mon petit frère et de mon bébé à naître. Je laisse échapper un petit soupir avant qu'un sourire franc ne s'empare de mes lèvres délicatement maquillées. Mieux, grâce à ton aide que je réponds sans même y réfléchir, car il s'agit de la vérité. En parlant de vérité, et sans doute pour convaincre mon ange gardien et ami que rien ne sortira de l'habitacle de sa Camaro, je lance : mais j'ai revu mon fiancé. Enfin c'est une longue histoire. Mariage arrangé par nos parents. Clairement, je pense que celle-là, il ne l'aura pas vue venir. Jusqu'ici, je n'en n'ai parlé à personne, pas même à Anna.

Timerra avait tendance à écouter plus qu'à parler... Même si la tendance allait vers le changement depuis qu'elle était à la maison. Il était hors de question que je la laisse vivre dans ce garage alors que la maison était bien assez grande pour accueillir une autre personne. Je ne lui demandais rien en échange, elle m'avait permis de me venger de celui qui s'en était pris à ma fille... Levant un sourcil en l'entendant parler de son fiancé pour la première fois, je gardais les yeux fixés sur la route. Un fiancé ? Pourquoi tu as été amené à le revoir ? Ecouter ses problèmes étaient toujours mieux que de parler des miens. Dans quel contexte, on faisait des mariages arrangés on faisait encore des mariages arrangés à notre époque ?

Entendre Paz prononcer le mot fiancé ne rendait la donne que plus véridique, au point que mon propre stress en vienne à s'exprimer de lui-même. Je triture joyeusement mes doigts entre eux et m'arrache quelques petites peaux çà et là sans même m'en rendre compte, alors que j'observe la vitre, évitant soigneusement une potentielle œillade de mon interlocuteur et ami. Si je dis cela poliment, je dirais que nos pères se sont accordés sur une alliance appréciable. Si je suis plus crue, je peux dire que mon père m'a vendue au fils de son noble ami, tout ça pour rembourser des dettes de jeux qui se comptent à plus de six zéros. Mes mâchoires se crispent jusqu'à ce que la douleur me ramène sur terre : ce n'est qu'une partie de la vérité, hélas. Mais je mérite sûrement ce qui m'arrive...

J'écoute son histoire, ne cherchant pas son regard, je continue de scruter la route, roulant dans une direction dont j'ignore la destination. Tant que je ne refaisais pas la même chose que Detroit, tout devrait bien aller... Non ? Espérant intérieurement que Tim m'arrête si on commençait à trop s'éloigner de Boston mais incapable de le formuler à voix haute. Un courant électrique parcouru ma colonne vertébrale alors que mon poing s'écrasa avec violence contre le volant. C'était une putain de blague... Je posais mon coude contre la portière avant de passer une main sur mon front sans lâcher le bitume devant moi. J'ouvris la main pour m'excuser. Désolé... Laissant le silence s'installer, je fini par rajouter. En quoi tu mérites qu'on te traite comme de la marchandise...? La voix aussi glaciale que l'air extérieur.

Cet élan de violence me fait aussitôt sursauter. J'ai l'impression de me retrouver face à celui qui a été mon bourreau durant de longs mois, et l'intégralité de mes muscles se tendent telle la corde d'un arc. Mon stress est tel que j'en ferme un instant les paupières avant de m'exclamer, sans pouvoir exercer aucun contrôle : arrête la voiture ! Ma poitrine se soulève et s'abaisse avec vigueur et rapidité, preuve que je peine à respirer normalement. Peut-être est-ce pour cela que je descends la fenêtre afin d'en sortir la tête à défaut d'autre chose. On ne se remet jamais totalement de coups, de violence ou de maltraitance. Cela laisse une marque, une trace indélébile toujours prête à se rouvrir, comme on met du sel sur une plaie. Parce que je ne suis rien de plus qu'une meurtrière sont les seules syllabes que je parviens à dégoiser alors que des larmes s'écoulent le long de mes joues pâles et froides, sans même que je ne m'en rende compte.

Je sens Timerra se tendre presque aussitôt après mon geste et ce qu'elle m'avait confié par le passé me revient dans la gueule... Merde. Mais je n'avais pas pu me contrôler. Les excès de colère étaient de plus en plus fréquents ces derniers temps... Je continuais de perdre pied... Me garant sur le bas côté lorsque la route me le permis, nous étions dans les forêts au dessus de Boston alors que la nuit était en train de tomber.

Sortant de la voiture, je fis le tour avant d'aller ouvrir sa portière à la volée. Je pliais les jambes afin de m'accroupir devant elle. Ma main se posa sur sa jambe tandis que je sortis un mouchoir de l'autre pour lui donner. De quoi tu parles, Tim ? J'en connaissais des tueurs... J'en étais moi même un. Et elle n'avait rien de tout cela....

La voiture s’arrête enfin, pour dévoiler un Paz m’offrant un mouchoir. J’avoue que la donne adoucit un tantinet l’émotion qui m’anime, bercée par une culpabilité que je trimballe depuis des années maintenant. Comment tu vivrais si tu savais que tu es responsable de la mort de ton petit frère et… de ton enfant ? Ma franchise me surprend. Je prends cette dernière en pleine poire alors que j’efface toute trace de larmes de mon visage. Je n’ai pas le droit de pleurer, je n’en n’ai plus le droit. Tu parviendrais à vivre avec ? Je sais qu’il ne me jugera pas, au même titre que je ne le jugerais jamais, quoi qu’il fasse ou quoi qu’il dise.