Refermant la porte du cabinet après avoir pris une douche et changé de vêtements, je pris la voiture en direction du Club. Même si le coeur n'y était pas vraiment, quelque chose me disait que voir Timerra me ferait du bien. Elle me confirma sa présence par téléphone et il ne me fallut que très peu de temps pour me rendre au point de rendez-vous. Même les regards envieux sur ma voiture italienne n'arriverait pas à me satisfaire... Montant le volume de la radio, je m’enfonçais dans le siège, j'écoutais l'instrumental mais aucune parole ne semblait me venir. La page blanche...

Il semblait porter un bandage assez grossier au niveau de la main droite.

Normalement soirée blindée au club, mais je ne suis pas fâchée d'avoir balancé au big Boss : ce soir sans moi, on me réclame ! Un peu présomptueux de ma part mais c'est avec le cœur léger que je bondis hors du club en courant avec mes talons aiguilles sous le regard des passants. Robe bustier rouge, surmontée d'une veste en cuir, je cherche quelques secondes Tybalt du regard lorsque mes prunelles azurées se posent sur sa caisse à rendre jaloux n'importe quel type. Armée de ma folie et de ma joie de vivre évidente, je me poste devant la portière en agitant mon pouce façon stop. Bonsoir beau gosse ! Mon plus beau sourire lui est offert alors que je viens d'ouvrir la portière afin de le saluer. Permission de monter à bord ?

Tybalt portait encore un ensemble noir : jeans, t-shirt, veste en cuir et docs. Il lui arrivait d'être un peu plus extravagant mais seulement quand son état-esprit s'y prêtait, ce qui n'était pas le cas ce soir.  En contre partie, la Lamborghini  orange qu'il conduisait, elle, l'était.

Secouant la tête, je relevais les yeux au de-là du volant avant de voir la douce Tim faire du stop. Je soufflais légèrement du nez, amusé, ce qui m'arracha un sourire au passage. C'était devenu plutôt rare ces derniers jours. Déverrouillant la voiture pour la laisser monter, je tournais la tête dans sa direction avant de lui demander. Bonsoir beauté. Où as-tu envie d'aller ce soir ? J'étais prêt à l'emmener où elle voulait pour arriver à penser à autre chose qu'à ELLE....

Un sourire éclatant accompagne le déverrouillage des portes, et je ne me fais pas prier pour poser mes fesses contre le cuir ultra confortable qui s'offre à moi. Mmh... comment dit-on déjà ? Ah ça me revient : le client est roi ? Petit clin d'œil, mon culot m'étonne. D'ordinaire j'irais me planquer dans le premier trou de souris mais ce job, j'essaie de le voir comme un rôle, une facette parmi tant d'autres dans une panoplie d'artiste. Hey par contre c'est quoi ça ? Timide oui, mais chochotte non. Le bandage grossier n'a pas échappé à mon oeil de lynx et j'approches mes doigts de ce dernier alors que mon visage a perdu toute étincelle de joie.

Une réponse qui ne me satisfaisait qu'en demi-teinte, je ne savais même pas moi même où j'avais envie d'aller. Son énergie et son sourire avait un effet apaisant, même si elle ne se montrait pas sous son vrai visage. Inutile d'être psy pour le comprendre... Ne pas porter de masque dans ce genre de boulot pouvait faire perdre la tête à n'importe qui à la longue. Mettant le contact, je n'eus pas le temps d'enclencher la première que sa main se posa sur la mienne.  J'enlevais la main de la boite de vitesse pour la laisser regarder de plus près. Ça ne valait pas le coup de s'y attarder. Je me suis battu...

Un fin soupir s'échappe de mes lèvres alors que je conserve un air étonnamment sérieux. Moi qui suis connue pour ma bonne humeur, ce rien de folie qui me permet de compartimenter ma vie à cent à l'heure, ce trait de caractère s'effondre l'espace d'un instant alors que mes doigts frôlent le bandage. T'es pas un pro du bandage... J'ai presque envie de foutre un coup de pied au derche de mon culot mais à la place, mes joues se teintent d'un joli rose. Si je te refais ton bandage comme il faut... tu m'en parles ? Je lève la main gauche quasi instantanément. Je serai une tombe, parole de scout !

A y regarder de plus près, la deuxième main était également abîmé mais cette dernière semblait déjà presque cicatrisé. Il avait du forcer sur celle de droite.

Étrangement, je préférais presque la voir ainsi. Sans ses artifices, sans un sourire qu'elle n'a pas envie d'avoir... C'était un paradoxe étrange. Son faux sourire m'apaisait mais ne pas le voir ne me faisait pas sentir moins bien pour autant. Je soufflais à nouveau du nez à sa remarque avant de rire. Non, probablement pas. C'était surtout un manque d'envie de faire les choses bien. Comme si ça pouvait la faire revenir. Lui concédant ma main pour la laisser refaire le dit bandage, je secouais la tête. Il n'y avait pas vraiment secret à avoir. Seulement si j'en parlais ça serait admettre une faiblesse sans parler du fait d'admettre son absence. En avais-je vraiment envie ? Non. Tu as déjà mangé  ?  

Mon masque craquelle délicatement alors que ses artifices s'effacent. Nous ne sommes pas au club, mon boss n'en saura rien alors tant pis. Un petit rire amusé peuple l'atmosphère sonore, unique, cristallin. Aussi pur que la scène brille de simplicité. Il fallait bien que je tente ! J'ouvre mon sac à main pour sortir une panoplie étonnante : compresses, désinfectant sans alcool et tutti quanti. L'ancienne danseuse de haut niveau, membre d'une compagnie internationale dévoile son côté prévoyant tandis que mes doigts, eux, défont précautionneusement le bandage de fortune comme s'ils avaient fait ça toute leur vie. Je ne mange jamais avant de finir mon service. Le boss dit que ça nous grossit... J'écarquille deux yeux exorbités. Merde. Foutue langue pendue ! Enfin quand il est... mal luné !! Oui c'est ça. Pas tout le temps hein...

Laissant tourner la voiture pour qu'elle n'ait pas froid, je l'observais sortir tout l'équipement de son sac. Elle était bien équipé. Parez à toutes éventualités. La laissant opérer avec ses doigts de fée, elle découvrit l'étendu des dégâts. Les phalanges complètement abîmés par ce qui pouvait être des coups répétés, presque de manière compulsive.

Délaissant ma main du regard, mes prunelles se mirent à l'observer avec attention avant de l'écouter se plaindre de son patron pour finalement se raviser. Tu peux dire que c'est un gros con, je n'irai pas lui répéter. Ce foutu rêve américain... Il tuait et détruisait des vies par ses stéréotypes. Une femme comme Timerra n'avait pas besoin de se priver de manger pour être belle. Au moins je savais où l'emmener maintenant. La laissant terminer, je continuais de l'observer calmement.

J'esquisse un bref sourire. Pour camoufler les blessures et être toujours prête pour un show que je reprends sans même regarder Tybalt, et pour cause, cet élan de franchise me met mal à l'aise. Mon boss est un enfoiré d'enfant de putain, mais ça, je ne peux hélas pas le dire à voix haute. Si je continue sur ma lancée, je dévoilerais trop de choses. Et des choses pas jojo. A la place, je me concentre sur la désinfection minutieuse de la main avant de faire un vrai bandage qui tienne la route. Tu insulterais la main qui t'évite de dormir à la rue, toi ? Cette fois mes prunelles azurées se plantent dans celle de mon client préféré.