Tu n'as pas beaucoup dormi cette nuit. Entre l'alcool ingérée la veille au soir et les messages de Styx. Ton coeur a loupé un battement quand Valentin a été évoqué dans la conversation. Tu ignores pourquoi il te pose soudainement des questions sur ce sujet que tu as pourtant essayé d'éviter car il est encore trop sensible. Tu n'es pas prête à tout expliquer, à t'ouvrir totalement. Parce qu'il s'agit de ça : rouvrir l'un des chapitres les plus douloureux de ton existence. Tu es arrivée dans ce loft que tu connais si bien il y a un peu plus d'une heure. Il était ton cocon il y a encore quelques semaines lorsque tu venais te perdre dans les bras de celui qui a gommé peu à peu les marques laissés par tes mésaventures sentimentales. Il a été fort, Styx, pour se frayer une place dans ton myocarde pourtant si bien protégé. Et tu es devenue accro, Pia, malgré ce que tu montres. Vous avez préparé et dégusté les fameux pancakes, devenus tradition quand tu dors ici. Et tu savoures le temps passé en sa compagnie, la journée qu'il t'accorde après avoir imposé cette distance entre vous. Et quand le silence s'installe alors que vous êtes installés dans le canapé, l'un contre l'autre, tu sais qu'il est temps d'arracher le pansement. ― Il faut qu'on parle. De vous. De tout.

t'étais las, styx. las de tout. tout geste quotidien te semblait insurmontable chaque jour. ou bien était-ce ton esprit qui sombrait ? tu t'égarais dans ces ténèbres que tu connaissais que trop bien, alors tu fis n'importe quoi, tout ce que tu n'aurais pas fait si l'accident ne les avait pas fait revenir. ce n'était pas la seule raison de ton mal, tu souffrais déjà un peu avant de voir ta vie se basculer d'un instant à l'autre. t'avais succombé le temps d'une soirée aux effets de l'alcool, pour oublier cet événement qui revenait chaque année à la même date. il était alors plus facile de laisser toutes tes émotions te guider, pour oublier aussi qu'elle ne t'aimait peut-être pas autant que tu le voudrais. t'avais perdu tout contrôle pendant la compétition, la fatigue te poussant à extérioriser tous ces sentiments qui naissaient pour elle. en trois mots. ou les mots de trop ? car ton monde était parti en vrille depuis. était-ce un signe ? il fallait qu'elle te rassure, mais en réalité tu ne savais plus trop ce que tu voulais. pleurais-tu en silence sur ton sort ou pour une autre raison ? qu'elle puisse aimer quelqu'un d'autre que toi ? la jalousie styx t'étouffait presque, comme ta jambe dans le plâtre. demeurant plus fermé qu'en temps normal, voilà qu'elle brisa le silence qui s'était installé entre vous deux. t'avais presque pas envie de parler, de te mettre en colère tout court. ― on peut parler oui. par quoi tu veux commencer ? t'avais prié pour qu'elle mentionne tout sauf valentin. allait-elle entendre tes prières ?

De quoi as-tu envie de parler ? Rien, en réalité. Tu préférerais presque ne pas avoir à perturber le silence qui s'était installé et subir son poids plutôt que d'évoquer des sujets qui pourraient tout gâcher, définitivement. Mais tu sais qu'il est temps de crever l'abcès avant qu'il ne foute en l'air ce qu'il reste de votre relation qui a été fortement ébranlée par l'accident et tout ce qui en a suivi. Tu sais que les secrets ne feront rien d'autre que de vous détruire à petit feu, ou alors plus rapidement que ton cœur pourra le supporter. Tu te redresses et lui fait face, pour mieux affronter les prochaines minutes qui pourrait tout définir. ― De nous. De mes sentiments. Les lèvres nerveusement pincées, tu regardes tes mains avant de continuer. ― Tu le sais, j'étais terrifiée à l'idée d'en avoir pour toi. C'est encore un peu le cas, je crois. Pas parce que je ne veux pas vivre quelque chose à tes côtés, au contraire, j'en meurs d'envie. Le regard remonte vers le sien. ― J'ai envie qu'on s'appartienne, j'ai envie de me réveiller chaque matin dans tes bras, j'ai envie de pouvoir te dire que je t'aime tellement de fois que tu en auras marre. J'ai envie de pouvoir imaginer un avenir avec toi sans avoir peur de me brûler les ailes. Les lèvres s'étirent dans un sourire, tu ne sais pas s'il est réconfortant ou totalement las. Et puis il disparaît aussi vite qu'il est apparu. ― Tu m'as demandé de quoi j'ai peur il y a quelques temps. J'ai peur de tomber si follement amoureuse de toi que je ne m'en remettrai pas si tu décides de partir. J'ai peur que tu changes d'avis, que tu ne m'aimes plus, que tu trouves quelqu'un de mieux que moi, quelqu'un qui te rendra plus heureux. J'ai peur que tu ne veuilles pas la même chose que moi. J'ai peur de me prendre un mur si violemment que je ne m'en remettrai pas. J'ai failli ne pas m'en remettre la première fois. Celle avec Valentin, que tu avoues presque sans parvenir à prononcer ces mots à voix haute.

la première fois ? okay elle avait donc déjà ou aimé quelqu'un. tu restais bloqué sur ces mots là, balayant presque toutes ses autres envies dans ta mémoire. t'arrivais même pas à savoir si t'étais soulagé qu'elle te parle à coeur ouvert. tout cela te semblait encore douloureux d'en parler, parce que t'avais pris cette décision de t'éloigner d'elle pour remettre de l'ordre dans ta vie. d'essayer de digérer cette déception que t'avais masquée. malheureusement elle restait aussi vive après que d'autres secrets la concernant avaient fait leur chemin jusqu'à toi. tu restais muet et totalement impassible, tu n'avais pas envie de faiblir une nouvelle fois pour que ton coeur saigne à nouveau. ― on peut toujours se fréquenter pia... comme avant. le ton était presque neutre, las, t'étais incapable de raisonner. ― je veux pas que t'imagines un futur où tu crains sans cesse que je te fasse souffrir... je vais passer mon temps à me demander ce que j'ai fait de mal pour que tu sois terrifiée à l'idée de t'engager avec quelqu'un. que je sache... je n'avais pas dit ou fait quoi que ce soit de blessant, j'ai vraiment fait en sorte de te rendre heureuse mais pendant tout ce temps, l'avais-je été plus que toi ? as-tu tout fait pour laisser une chance à notre histoire ? t'es-tu battue pour la faire vivre et montrer tout autour de toi l'amour que tu porterais pour moi ? tu baissas les yeux, trop de questions sortaient de ta bouche. trop d'interrogations et sa présence ne t'aidait pas. tu ne voulais qu'une chose, qu'elle t'embrasse. qu'elle te rappelle à quel point tu l'aimais. ― ça fait longtemps que ça dure, pia ? que t'as peur que je te blesse ? que je trouve mieux que toi ? la voix s'était élevée, tu te contenais plus difficilement. tu ne supportais pas l'idée qu'elle te craigne. tout s'emmêla dans ton crâne. ― tu t'étais prise un mur la première fois ? putain, parle.

Tes sourcils se froncent quand il dit que vous pouvez vous fréquenter comme avant. Comme avant quoi ? Que les sentiments s'en mêlent ? Ou avant l'accident, quand vous viviez heureux, comme à Buenos Aires ? ― Je veux que l'on se fréquente, mais pas comme avant. Tu admets à mi-mots que tu veux plus, Pia. Tu veux plus qu'avant, tu ne veux pas que vous vous contentiez de coucher ensemble quand bon vous semble. ― Tu me rends heureuse Styx ! Si ce n'était pas pour toi et ce que l'on vit, je ne serais probablement plus à Boston à l'heure qu'il est. Tu te serais envolée pour Oxford pour y effectuer ta dernière année. ― Ne vas pas croire que je n'ai pas envie de nous laisser une chance. Et bien sûr que je l'ai dit à tout le monde, que je veux être avec toi, que je suis bien avec toi. Je parle de toi comme si nous étions ensemble, tout mon entourage est au courant. Et c'est beaucoup, parce que tu garde tout pour toi d'habitude. ― Depuis que tu m'as dit que tu m'aimes. C'est à ton tour de baisser le visage lorsque sa voix s'élève trop fort à ton goût. ― Oui, la première fois que j'ai aimé quelqu'un. Je l'ai heurté tellement fort que j'ai failli ne pas me relever. Ta voix n'est plus qu'un murmure lorsque tu évoques cette dernière fois. Tu inspires un grand coup avant de plonger ton regard émeraude dans le sien. Tu ouvres la bouche, puis la referme, tu cherches tes mots pour expliquer ce que tu n'as jamais voulu lui avouer. ― Je n'ai jamais été intéressée par l'amour, par les relations amoureuses, avant. Peut-être parce que j'étais persuadée que j'étais mieux sans, peut-être parce que j'avais déjà peur que ça me fasse du mal, ou peut-être parce que je voulais être si parfaite et indépendante que ça ne collait pas avec ce que j'étais. Tu hausses les épaules. ― Et puis un mec m'a dit qu'il m'aimait. Je l'ai cru parce qu'il n'avait aucune raison de me mentir et de jouer avec mes sentiments. J'avais tellement confiance en lui que je me suis autorisée à l'aimer aussi, beaucoup trop fort. Mais il m'a prouvé encore et encore qu'il ne m'aimait pas de la même manière que moi. Il m'a fait du mal, Styx, continuellement, pendant des mois. Si fort que j'ai commencé à consommer de la kéta pour étouffer la douleur. Tes yeux se bordent de larmes, tu luttes pour ne pas les laisser couler sur ton visage pourtant presque impassible. ― Je sais que tu n'es pas lui, que tu ne me feras pas souffrir comme il l'a fait. Mais j'ai peur quand même. Et tu espères qu'il va comprendre.

comment ça elle ne serait plus ici à l'heure qu'il était ? tu commençais à saturer là, quel autre secret te cachait-elle ? t'avais marre de te sentir continuellement à l'écart, de te montrer patient avec elle. elle arrachait le pansement en parlant de vous. mais cela te suffisait pas. tous ces secrets qui sortaient un par un, c'était beaucoup trop à avaler là. le comprenait-elle ? que tu ne supportais pas tout cela ? non puisque t'avais toujours été à son écoute, lui faisant entièrement confiance. mais elle commençait vraisemblablement à partir en mille morceaux. elle devenait de plus en plus étrangère à tes yeux en découvrant des choses à son sujet. ― ce n'est pas pour moi, non pia. arrête de mentir. la colère t'aveuglait un peu trop, te rendait plus nerveux. une part de toi avait envie de la croire, qu'elle parlait de toi à ses proches. c'était peut-être le cas mais t'attendais peut-être beaucoup trop de sa part. comme à chaque fois styx lorsque t'ouvrais ton coeur. ― cela ne suffit pas tu le sais. de le dire à tout le monde. je n'aurais pas dû attendre trop longtemps pour savoir ta réponse, je ne voulais pas attendre pia. qu'on soit ensemble. alors je suis perdu depuis que je t'ai sorti tu sais quoi. quand j'ai vu ta réponse, t'imagines pas la peine que j'ai ressentie. j'ai regretté aussitôt. j'ai essayé de pas paniquer comme toi. j'ai compris les choses comme ça, du coup j'étais grave perdu. mes sentiments étaient forts mais j'étais largué pia. au même moment la compétition m'a épuisé moralement. tu m'as fait mal et tu m'as beaucoup blessé, mais je m'en rendais pas vraiment compte, je m'accrochais désespérément dans une sorte d'illusion. tu m'as fait mal pia au pire moment. t'avais subitement envie de te lever, de ne plus la regarder mais tu ne pouvais pas avec ta jambe. parce que cette blessure était encore vive. ou bien la confondais-tu à une autre douleur toujours bien présente ? tu ne voulais plus avoir mal, de te sentir à ce point blessé. l'amour te faisait souffrir. ― alors tu dois comprendre ça ? si t'as aimé quelqu'un. évidemment que ça fait peur mais si tu passes ta vie à chercher à être parfaite et indépendante, tu peux passer à côté de ça. c'est ce que tu veux ? pouvoir aimer sans souffrir ? tu vois un peu ce qui se passe ? je meurs d'envie de t'aimer pia mais je souffre à côté. c'est presque drôle car c'est tout ce que j'ai cherché à éviter et pendant tout ce temps là, tu me dis que ton entourage nous imagine ensemble, que tu dis à tout le monde que tu veux le gars avec qui tu passes tout ton temps, mais tu le dis pas ça à lui ? putain j'arrive pas à dire s'il a vraiment de la veine de t'avoir ou s'il est juste simplement con. tu n'arrivais plus vraiment à rester calme, d'autant plus que tu découvris en même temps l'histoire du mec qui lui avait fait mal continuellement pendant des mois. ― tu ne m'en as jamais parlé avant. c'est fini tout ça, pia ? la keta ? le mec qui t'a rendue malheureuse ? dis-moi que t'es parvenue à l'oublier ou pas. elle était peut-être plus fragile que tu le pensais. avait-elle encore des sentiments que t'ignorais ? trop de questions qui te donnaient le vertige là. votre relation allait-elle survivre ?

Tu sens, Pia, que tout s'écroule. Que les fondations déjà fragiles de ce que vous avez bâti s'effritent et menacent de disparaître. Et tu sais que c'est de ta faute, à cause de tes insécurité et de tes secrets. Tu aimerais qu'il comprenne, Styx, que tu l'aimes, qu'il te fait du bien, que tu veux être avec lui. Mais t'es incapable de lui dire, et lui est trop en colère pour trouver raison malgré les mots prononcés. ― S'il n'y avait rien entre nous je serais allée à Oxford, tu le sais. On en a parlé, tu es au courant que je voulais partir, que j'ai été acceptée là-bas. Mais c'est ici que je veux être. Avec toi. Tu as passé la chance d'étudier dans l'université de tes rêves, parce que tu crois en vous, parce les quelques rares moments passés ensemble cet été t'ont convaincu que tu seras bien ici avec lui. Mais tu gâche tout Pia. ― Pourquoi tu ne m'as pas dit que ça n'allait pas ? Que tu n'avais pas le moral ? Pourquoi tu n'as pas dit que tu voulais qu'on se voit plus souvent ? Je n'attendais que ça Styx. C'était tout ce que je voulais, pouvoir passer du temps avec toi. Je ne voulais pas te déranger dans ta compétition, je n'ai pas osé demander trop d'attention ou être omniprésente. Mais j'aurais aimé qu'on passe le meilleur été de notre vie, ensemble. Au final il a été horrible le summer camp. Trop d'horreurs trop loin du réconfort des bras de Styx. En l'écoutant tu te rends compte d'une chose qui te fait l'effet d'un coup de massue dans la poitrine : tu es en train de reproduire ce que Valentin t'a fait. Tu fais espérer Styx, tu le fais patienter trop longtemps, en espérant qu'il comprendrait que tu n'était pas prête. Tu lui fais du mal, t'en as le souffle coupé. ― Je suis désolée... Tu l'es sincèrement. Une larme tombe de tes cils sur ta joue, roule sur la peau de porcelaine. ― Tu veux que je te dise ce que je pense ? Tout ce que je dis aux autres ? Qu'on est ensemble, que je suis bien avec toi, que tu es absolument formidable. Je leur dit que tu me guéris, que tu me fais oublier ce que j'ai vécu avant. Je leur dit aussi que tu es le seul avec qui j'arrive à m'imaginer en couple et heureuse. Et tout ça je ne l'ai jamais ressenti avant, Styx. Alors comprends que ça me fait peur quand tout les gens supposés m'aimer m'abandonnent. Je me déteste pour n'avoir aucune confiance en moi, d'avoir du mal à faire confiance aux autres. Je déteste ceux qui m'ont fait devenir comme ça. Ta mère biologique et Valentin. Tu baisses les yeux lorsqu'il t'interroge sur la kétamine. ― Oui, la kéta c'est fini, même si j'en ai encore envie parfois. Et pour le mec... c'est plus compliqué que ça. Je ne ressens plus la même chose qu'avant pour lui. Je n'espère plus rien avec lui. J'ai compris qu'il n'est pas bon pour moi. J'ai compris que ce n'était pas de l'amour, mais de la confusion malsaine. Mais je ne pourrai jamais l'oublier, il fera toujours partie de ma vie.