Le silence, froid et angoissant de la clinique d’Oslo, emplissait le cœur de la jeune Freyja. Elle n’avait que cinq ans mais comprenait déjà que son destin tout entier allait dépendre de la minute qui suivrait. La petite blonde rabâchait sans fin ses prières catholiques dans la tête, se remettant toute entière à la sainte volonté de Dieu. Les mains croisées dans le dos, le menton relevé vers le ciel, elle sautillait, impatiente de connaitre le verdict. Le couperet tomba enfin, mettant un terme à son interminable questionnement. L’épouse du prince héritier Olav de Norvège venait de donner naissance à un fils. Selon la loi de succession au trône, étant né homme, il se plaçait automatiquement devant sa sœur. La petite fille avait soudainement l’esprit torturé, elle ne savait pas comment prendre la nouvelle. Partagée entre la joie d’avoir enfin un compagnon de jeu et la rancune de se sentir à présent considérée comme la deuxième.

Haakon, troisième du nom dans la longue dynastie des Glücksborg, c’était ainsi qu’on l’avait baptisé. Fort et sensible à la fois. Il découvrit les joies de vivre dans une immense demeure, entourée de grands jardins. Malgré la température qui dépassait rarement les vingt degrés, il adorait jouer près des fontaines et fouler l’herbe de ses pieds mouillés. On lui enseigna dès le plus jeune âge tous les protocoles et les règles qu’il se devait de respecter pour faire bonne figure. Etre le petit-fils du Roi et prétendant au trône n’était pas chose facile. Mais même si l’éducation qu’on lui donnait était stricte, elle n’en était pas moins ponctuée de jeux et d’éclats de rire. Malheureusement, ce n’était pas avec sa grande sœur qu’il partageait ces moments de joie. Elle était bien trop occupée à se montrer digne et à vouloir dévaloriser à chaque occasion son jeune frère. Par chance, la fratrie s’agrandit bien vite et la princesse Martha donna naissance à un second fils, suivit d’une fille quelques temps plus tard. Desmond Sverre et Astrid Hel.

Plus Haakon grandissait plus on se montrait dur envers ses écarts de conduite. Ce qui était normal en somme, mais qui avait le don d’énerver le jeune norvégien, un brin impulsif. La partie de plaisir se termina vers ses quinze ans lorsqu’il était forcé de se rendre à chaque cérémonie et événements publics. Tout le monde attendait beaucoup de lui, peut-être même un peu trop. Soumis à la pression constante que l’on exerçait, chaque sortie était devenue une véritable angoisse. Une boule au ventre douloureuse et blessante qui lui donnait parfois d’incontrôlables spasmes. Il développa bien vite une forme d’atélophobie, ou bien la peur de l'imperfection, la crainte de ne jamais être assez bien pour les autres. Pour ne pas a avoir à affronter le monde extérieur qui attendait de lui bien plus qu’il ne pouvait offrir, il se réfugiait dans le sport, dans la lecture et la musique. Il lui était arrivé de jouer des nuits entières du violon, sans jamais s’arrêter, trouvant dans le son qui s’en échappait un moyen de fuir ses responsabilités. Tout cela était devenu trop pesant. Il aurait eu envie parfois de demander d’être retiré de la liste de succession au trône. Il aurait aimé laisser sa place à Freyja, sa sœur qui le haïssait depuis toujours pour être venu au monde.

Il tombait parfois dans des périodes dépressives, même s’il niait catégoriquement l’être. Dans le plus grand secret, Haakon consommait une énorme quantité d’antidépresseur et anti-stressant, jusqu'à ce que cela devienne une véritable drogue pour lui. Lorsqu’il en manquait, il commençait à suffoquer et à transpirer énormément. Il n’allait pas bien mais il mentait à tout le monde. Il se mentait à lui-même. Quoi qu’il se passe dans sa vie, il préférait que cela reste un mystère plutôt que d’être exposé en public. Même s’il avait du mal à assumer son rang, il se devait de l’honorer du mieux qu’il pouvait. Le jeune homme ne pouvait pas revenir en arrière. Il serait forcément un jour en première ligne. C’était le protocole.

Destiné ainsi malgré lui à diriger un pays, lorsqu’il fut temps pour lui de quitter les bancs de l’école, il n’eu d’autre choix que de s’orienter vers la politique. En tant que personnalité importante en Norvège, il se devait d’intégrer une prestigieuse université. Laquelle était plus prestigieuse que celle d’Harvard aux Etats-Unis. Haakon s’y inscrit donc et choisit le cursus des sciences politiques et études internationales, avec toujours la crainte de ne jamais être à la hauteur. Il pratique des activités extérieures comme le golf et fait partie de l'orchestre de l’université.