our love is tailor made.

premier mai, vingt deux heures quarante deux.
w/ @cameron blackburn

Après chaque soirée en sa compagnie, une certaine jalousie s’installe en moi. Que les moments partagés soient bons ou difficiles, j’ai de plus en plus de mal à supporter le temps loin de lui alors que je ne devrais pas. Assise sur la balancelle, mes bras qui entourent mes jambes, je ferme les yeux quelques secondes, me laissant bercer par le vent. Est-ce qu’il finira par la quitter ? Ou est-ce que, comme moi à l’époque, il faudra qu’elle le mette dehors en apprenant la trahison ? Je pourrais me perdre pendant des heures en réfléchissant à tout cela mais Lola ne m’en laisse pas l’occasion. Maman ? J’ouvre les yeux et regarde ma fille, ma si petite fille - qui ne l’est plus du haut de ses vingt ans - et souffle Oui mon coeur ? Elle roule des yeux, ce qui m’arrache un sourire et la jeune femme reprend Je vais chez papy et mamie. Il a tout préparé pour observer les étoiles filantes ce soir. La relation que ma fille a avec ses grands-parents me fascinera toujours autant mais nous avons tous vécu avec eux si longtemps et ils l’ont pratiquement élevé pendant que j’étudiais. Un baiser sur ma joue et je la regarde quitter la rue en direction de la maison de mes parents à quelques mètres de là. Il ne me faut pas bien plus de temps pour envoyer un message à Cameron. Si tu as du temps sur le retour de l’hôpital, Lola est chez mes parents. Et s’il y a quelques minutes, je me giflait mentalement de tout cela, il n’y a qu’une personne avec qui j’ai envie de passer le reste de cette soirée et c’est lui. En attendant une réponse de sa part, je pose mon menton entre mes genoux et repars dans mes pensées, dans ces rêveries où tout est bien plus simple et fluide que la réalité.

Je bouillonne et me retiens d’exploser, car je sais parfaitement que rien de bon ne sortira d’une conversation ce soir. Vingt-huit heures sans nouvelles, le téléphone éteint, et c’est comme si elle ne nous devait aucune explication que ma fille passe la porte de la maison. Si ça ne tenait qu’à moi, il n’y aurait déjà plus de porte à sa chambre mais Sienna, telle une zombie, m’a demandé de laisser tomber pour l’instant et je n’ai pas cherché à débattre. Je n’ai pas la force de me battre avec les deux et au fond, je sais que ma femme a raison. J’enfile un short, un t-shirt et des baskets et sors de là. J'étouffe. Cette maison, l'atmosphère qui y règne, ainsi que les souvenirs qu’elle abrite, m'oppresse chaque jour un peu plus. Ça fait à peine quinze minutes que je suis en route lorsque le message de Daisy me parvient, à pic. La trajectoire change, je prends la direction de Charles River et ne met pas bien longtemps à arriver devant l’habitation de la femme qui hantait mes nuits, avant qu’Aladiah ne prenne tristement la relève. Je me débarrasse de mes écouteurs, essuie mon front dans mon t-shirt et l’observe une petite seconde avant de l’approcher. Je ne sais pas ce que j’ai fait pour la mériter. Je jette un coup d'œil aux alentours pour être certains que les voisins - dont ses parents - ne soient pas aux aguets, me baisse pour être à sa hauteur et embrasser ses lèvres. T’as l’air perdue dans tes pensées. Je murmure, essayant de récupérer mon souffle au passage. Désolé, j’étais déjà en route. Elle a donc le droit à un homme transpirant, même si je n’ai pas couru bien longtemps.

Malgré les années, ma fille continue de passer de nombreux moments chez ses grands-parents et j’en suis fière et heureuse. Après tout, ce sont essentiellement mes parents qui l’ont élevé - avec James - et je serai anéantie qu’avec les années, elle oublie tous les moments passés avec eux. Ils ne sont pas éternels et même si je ne veux pas y penser, j’espère que Lola fera toujours tout ce qui est en son possible pour se faire un maximum de souvenir avec eux et ne jamais rien regretter. Assise sur la balancelle, je ferme les yeux quelques minutes et essaye de remettre de l’ordre dans mes idées et dans mes envies. C’est avec Cameron que j’ai envie d’avancer dans la vie, à ses côtés que j’ai envie de construire le reste de ma vie mais de le savoir toujours avec Sienna devient de plus en plus difficile. Nos escapades, nos moments me font toujours oublier à quoi ressemble notre vie la plupart du temps. Quand je suis avec lui, dans ses bras, plus rien n’existe autour de moi. Ni la morale, ni les questionnements que j’ai pourtant quotidiennement n’ont de poids face aux moments que nous passons ensemble. Que ce soit à la salle de sport, à la cantine de l’hôpital ou bien même en salle de pause, il suffit que je pose mes yeux sur lui pour oublier tout le reste. Je finirai par brûler en Enfer mais cela ne me dérange pas le moins du monde, je dois l’avouer. Je souris lorsque ses lèvres se posent sur les miennes et ouvre les yeux en le découvrant à mes côtés. Je réfléchissais… Que je souffle doucement avant de laisser tomber mes bras le long de mon corps et que mes jambes glissent légèrement du banc. Il est là et je ne suis plus en boule, en position foetus. J’ai le dos droit, le sourire aux lèvres. Pas de soucis, t’inquiète, je pensais que tu quittais plus tard. Mais j’ai tout confondu. Les informations se mélangent dans mon esprit ces derniers temps, sûrement un trop plein d’informations. Comment tu vas ? Que je demande rapidement, voyant très bien la tempête dans les yeux du chirurgien plastique. Tu veux qu’on rentre ? Dans la maison. Pour discuter plus facilement mais aussi pouvoir être un peu plus nous deux que ce qui nous est permis de faire depuis le perron. Mon auriculaire caressant doucement le sien, prêt à s’accrocher à ce dernier. On dirait Romeo et Juliette dans leur relation maudite. Mais c’est un peu ce que nous sommes. Fuck it. Starcrossed lover, isn't it ?

La seule raison pour laquelle je ne lui ai pas envoyé un message à la seconde où j’ai passé la porte de chez moi est que je la pensais aux urgences ce soir. Mais ça m’apaise de savoir que dans quelques secondes je vais la retrouver, même si ce n’est pas pour lui offrir la meilleure version de moi-même. J’essaye, quand ça m’est possible, de le faire. Je m'efforce à plaquer un sourire sur mon visage lorsque je suis en présence de Daisy mais la jeune femme ne me connait que trop bien pour y croire. C’est cependant le mieux que je puisse faire pour l’instant, avec le trou béant qui est venu s’installer dans ma poitrine et qui semble se faire un peu plus grand, un peu plus profond, chaque jour. Rien ne peut panser la blessure, pas même elle. Mais elle l’apaise, ce qui représente déjà beaucoup. Je m’empresse de trouver ses lèvres lorsque je la retrouve, sans m’y attarder pour autant puisque nous ne sommes pas tout-à-fait à l'abri des regards. J’ai hâte de voir venir le jour où je pourrai lui prendre la main pour déambuler dans les rues de Boston. Hâte de pouvoir poser sur elle un regard brûlant et faire savoir au monde entier qu’il n’y a plus qu’elle, à mes yeux. Je suis conscient que cette décision n’appartient qu’à moi mais je suis dans l’incapacité de la prendre pour l’instant, bien que conscient que retarder l’échéance n’aide peut-être personne. Je fais au mieux pour Sienna, mais au fond, est-ce vraiment le mieux ? Un mari absent, dans les bras d’une autre femme dés qu’il en a l’occasion ? La bile me monte rien qu’à y penser, loin d’être fier de l’homme que je suis devenu. A quelque chose en particulier? Je m’ose à demander et glisse un regard sur son petit doigt qui vient caresser le mien. Ce simple contact calme mes pulsions meurtrières, ironiquement dirigées vers l’enfant survivant. Je devais mais je me suis échappé plus tôt pour chercher Juliet. Ce qui avait été totalement inutile, puisqu’elle n’avait en rien disparu. Les épaules haussées en réponse à sa question, je regarde autour de nous et hoche la tête pour répondre par la positive. Sans attendre, je me redresse et me dirige à l’intérieur, lui tenant la porte avant de refermer celle-ci derrière nous. Les mains sur son visage, je l’embrasse cette fois sans aucune retenue, avec toute l’envie, l’amour et la peine que je ressens lorsque je pense à elle, à nous. Tu m’as manqué. Je souffle, capture ses lèvres à nouveau, et laisse mon front contre le sien un instant. Debout comme un piquet, toujours dans le hall d’entrée, comme un voleur. Comment toi tu vas ? Sa réponse ne peut être que plus intéressante.

À toi. Que je souffle doucement avec un sourire, cachant bien le fait que mes pensées se portaient plus sur le fait que je ne sois pas celle vers qui il est logique de rentrer tous les soirs qu’autre chose. Je sais bien qu’avec ce qu’il a traversé ces dernières années - et même ces dernières heures - il n’a pas besoin de passer une partie de sa soirée à me réconforter et me dire qu’il m’aime. Je le sais et me contente de ses quelques marques d’affections ici et là. Je ne ramasse pas les miettes mais me contente des restes en quelque sorte. Mon auriculaire caressant le sien, je souris doucement et acquiesce. Je ne peux pas dire que je suis content qu’il soit sorti plus tôt que prévu mais pourtant, c’est le cas. Au moins, il peut être là, on peut passer un moment ensemble et ce n’est pas du luxe. C’est bien pour cela que je l’invite à entrer rapidement, voulant profiter au maximum de sa présence et de ce moment que nous avons ensemble. Sienna connait le rythme de ses courses, son trajet habituel alors nous ne pouvons pas perdre trop de temps à se regarder en chiens de faïence alors que la seule chose que nous voulons est clairement d’être dans les bras l’un de l’autre. À peine la porte passée et fermée qu’il m’embrasse et je rapproche mon corps du sien, glissant mes bras dans son dos. Je l’aime cet homme. Putain que je l’aime. Et si je fais à sa femme ce que la nouvelle épouse de James a fait, ce n’est pas par vengeance mais bien parce que les sentiments éprouvés à l’égard de l’Américain sont plus forts que ma raison. Toi aussi. Que je souffle contre ses lèvres en soutenant son regard. Il me manque à chaque minute que Dieu fait et où je ne peux pas être avec lui. Il me manque du soir au matin et du matin au soir. Même quand on est ensemble, il m’arrive d’être en manque de lui, de son corps, de sa force parce que je sais que le moment prendra fin plus tôt que je ne le voudrais. J’ai envie d’être sienne, d’être celle vers laquelle il rentre le soir, sa maison, sa famille. Ça va. J’ai passé la journée à courir aux urgences. Il semblerait que personne dans cette ville n’ait envie de rester tranquillement chez soi plutôt que foutre sa vie en danger. Je ris en soufflant ces mots parce que sans ces accidents, sans ces inconscients, je n’aurais pas de métier et ça, ça serait bien triste. Alors Juliet ? Où est-ce qu’elle était ? Que je finis par demander, glissant ma main dans la sienne et le guidant jusqu’à ma chambre. J’ai envie de me poser sur les draps et de discuter un peu. Dans notre couple, il n’y a pas que le charnel et même si j’aimerais faire l’amour avec lui tous les jours, je sais profiter des moments de douceur où la confidence est importante. Cela nous fait du bien à tous les deux, de toute façon et j’aime penser que je le soulage aussi bien mentalement que sexuellement. Nous sommes un couple après tout… Deux êtres qui s’aiment et se soutiennent. Il n’en faut pas plus pour être heureuse. Juste un tout petit peu…

J’ai un sourire triste aux lèvres à sa réponse. Non pas que je sois déçu qu’elle pense à moi mais je ne peux ignorer la mélancolie sur son visage, dans son attitude, avant qu’elle réalise que j’étais présent. Est-ce qu’elle s’apprête à me quitter ? Se lasse-t-elle de nous, ou du peu que j’ai à lui offrir pour l’instant ? Je n’y survivrais pas. J’ignore parfois comment je parviens encore à me lever le matin et à mettre un pied devant l’autre. Je le fais pour Juliet, pour Daisy, mais la première me file chaque jour un peu plus entre les doigts et je ne pourrais continuer si je n’avais pas la seconde pour m’épauler. Je sais parfaitement que je ne fais rien pour lui prouver tout ça mais je crois, j’espère, qu’elle comprend la situation dans laquelle ma famille se trouve pour l’instant. Au delà de la peur de briser définitivement ma femme, il y a aussi la peur que Juliet ne me pardonne jamais, elle qui semble déjà me détester un jour sur deux. Ils savent qu’ils vont tomber sur la plus belle des urgentistes à l’hôpital. Je lui adresse un sourire, qui s'évanouit lorsqu’elle mentionne la petite fugue de ma fille. Si on peut appeler cela une fugue, du haut de ses vingt ans. Elle a beau ne pas être majeure, la police ne semblait pas plus inquiète que ça lorsque je leur ai signalé que plus de vingt-quatre s’étaient écroulées depuis notre dernière conversation. Je ne réponds pas immédiatement et me laisse plutôt guider à l’étage, allongé sur le lit ou Daisy vient se loger contre moi. J’en ai pas la moindre idée. Elle est rentrée comme si elle ne nous devait rien, a claqué la porte de sa chambre et s’y est enfermée. C’en est suivi des cris de ma part et des supplications de Sienna pour que je laisse notre fille tranquille pour ce soir. Elle n’a pas tort, rien de bon ne sortirait de cette conversation vu nos humeurs, mais ça me rend complètement dingue de laisser tout passer. Elle n’est pas la seule à avoir perdu quelqu’un, heureusement que nous n’avions pas tous la même réaction. Je pourrais dire que j’ai été appelé pour une urgence et passer la nuit ici. Elles sont assez rares, les urgences, dans mon service mais à ce stade, je pense que je me moque de la probabilité que je dise vrai. Lorsque je suis sorti, il était assez évident que ni l’une ni l’autre ne me voulait là aujourd’hui. Si tu veux. J’ajoute afin de ne pas lui imposer ma présence si elle a d’autres plans. Un jour, cette maison sera peut-être la mienne et je n’aurai plus à me tracasser de devoir me justifier de mon absence ou ma présence. Malheureusement, nous en sommes pour l’instant encore au stade ou je ne peux pas décider de passer la nuit dans ses bras, même s’il s'agit du seul endroit où je me sens à ma place.

Assise à ses côtés, le regard posé sur lui, je sais que tout ce que je fais et toutes les fois où je prends sur moi ne sont pas pour rien. Je l’aime. Je n’ai aucun doute là-dessus et c’est avec lui que je veux avancer dans la vie. Cependant, c’est difficile d’être dans l’ombre et il y a des jours où la peine que cela me procure est trop importante, trop difficile à supporter et où j’ai tout envie d’arrêter. Ça arrive de plus en plus souvent - je ne peux le nier - parce qu’en plus du mal que cela me procure, je n’ai plus l’âge pour cela. Seulement, à chaque moment ensemble, c’est un peu comme si on donnait son antidépresseur à quelqu’un dans le besoin. Tant que les neuro bloquants font leur boulot, tout va bien. Et c’est un peu comme ça avec Cameron, ce qui est effrayant mais rassurant aussi à la fois. Je souris à ses mots et dis Je peux m’arranger pour boire un café sur le trottoir en face de l’hôpital si ce n’est que ça. Parce que là, à part mettre leur vie en danger et encombrer mes urgences, il ne se passe pas grand chose. Je trouve que la médecine - surtout en urgence comme celle que je pratique - c’est le genre de médecine où on veut travailler, où l’on veut des cas mais on sait aussi que cela veut dire qu’il y a eu des accidents. Dans mon service, on ne gère pas les maladies, on ne prend pas de patients qui veulent changer quelque chose dans leur physique ou autre. Il n’y a que l’urgence, les problèmes de vie ou de mort, en quelque sorte. Alors c’est plutôt mal vu de vouloir courir toute la journée et je dois avouer que j’ai hâte que les vacances débutent pour être un peu plus au calme. Cela me permettra aussi de continuer ces cours et replay de séminaires que je m’impose pour prendre le maximum de connaissance technique pour devenir cheffe de l’hôpital dans les années qui arrivent. Je sais que j’ai le temps mais en tant que femme, tout est plus compliqué. Je dois déjà faire mes preuves aux urgences et tout suivra son chemin, je l’espère du moins. Mais ce soir, je compte bien laisser ma carrière sur le palier et me retrouver dans l’intimité la plus complète avec Cameron. Il y a cette fugue de Juliette et je vois bien que quelque chose le tracasse. Est-ce que c’est l’état de Sienna ou autre chose ? Je n’en sais rien mais nous avons quelques minutes devant nous pour en parler. Je commence par sa fille et une légère moue triste se dessine sur mon visage quand il me dit qu’elle s’est juste enfermée dans sa chambre. J’essayerai de voir avec Lola ce qu’il se passe, si elle en sait plus ou autre… Que je lance, me voulant rassurante alors que ma main caresse son bras après m’être allongée avec lui sur les draps. Tu ne sais pas s’il y a eu quelque chose avec une de ses copines ? Des soucis avec son copain ? Et bien entendu, je sais que le décès de la plus grande est toujours très présent dans leur vie - surtout avec l’état de sa femme - mais je n’ai pas envie d’aborder le sujet maintenant. Ce n’est pas par égoïsme mais bien parce que je sais que cela lui cause beaucoup de douleurs aussi et je crois qu’il sait que cela ne peut pas tout excuser non plus. Mes yeux accrochés aux siens, je souris légèrement et souffle Bien sûr que je veux. Je caresse sa joue et embrasse tendrement ses lèvres. Mon antidépresseur. J’embrasse le bout de son nez et le regarde avec des yeux remplis de tendresse. Si on devait me décrire avec un emoji, ce serait un mélange de pleading et de heart_eyes, c’est pour dire. T’as eu le temps de manger ? Il me reste un peu de pâtes et je peux te faire une escalope de poulet avec, si tu veux. Mes doigts continuent de caresser sa peau. Accroc à son contact, voilà ce que je suis. Telle une adolescente, il n’y a qu’à ses côtés que je me sens complète et je ne sais pas combien de temps je vais pouvoir vivre tout cela mais je suis prête à signer pour la vie.

Il m’arrive de me dire que je devrais tout arrêter entre nous. Non pas par manque d’amour, plutôt l’inverse. Je l’aime tellement et je m’en veux de ne pouvoir lui offrir qu’une petite partie de moi, alors que Daisy mérite quelqu’un qui se donne à cent-pour-cent à elle et à cette relation. Seulement je suis bien trop égoïste pour m’éloigner de la seule chose positive dans ma vie, je ne pense pas que j’y survivrais. Elle m’est vitale, bien que je ne fasse pas grand-chose pour le lui prouver. J’aimerais avoir une solution miracle, dans laquelle nous sommes tous les quatre - avec Sienna et Juliette - épargnés mais celle-ci n’existe pas. Quoi que je fasse, quelqu’un souffre. Pour l’instant, c’est ma famme et ma fille que je choisis d’épargner autant que possible, au détriment de ma relation avec Daisy et de son cœur. Je ne peux me résoudre à briser un peu plus cette famille que j’ai un jour tant chéri et qui se trouve déjà au bord du gouffre, incapable de s’en éloigner. Nous sommes tous dans une spirale infernale depuis que le diagnostique est tombé et pire encore depuis qu’Allie nous a quitté, je ne tiens pas à être celui qui provoque le pas de trop, celui qui fera tomber l’un de nous définitivement. Si l’une d’elle ne se relevait pas ? Il y a aussi une faible possibilité qu’en s’en porte tous mieux, libérés de cette union dans laquelle je me sens personnellement pris au piège depuis bien trop longtemps, mais je n’ai pas la force de le découvrir. Préviens-moi si tu décides de le faire, que je puisse profiter de la vue également. Je souris et dépose un baiser sur le bout de son nez. A quoi ressemblerait notre vie si je plaquais tout pour nous donner une vraie chance ? J’ai beau l’aimer de tout mon cœur, je ne parviens pas à nous y voir, à visualiser notre vie à deux. Je pense qu’il y a trop d’inconnues dans l’équation. Nos filles ne l’accepteraient peut-être pas et nous serions forcés de mettre un terme à tout afin de les préserver, sans aucune possibilité de revenir en arrière. Là, nous sommes dans notre cocon, sans la moindre interférence. Ca ne suffira pas éternellement mais pour l’instant, c’est ce qu’il y a de mieux pour nous. Je crois. Merci. Je souffle, me retenant de lui préciser qu’elle doit se montrer discrète afin que sa fille ne se pose pas trop de questions. Daisy n’a pas mis les pieds à la maison depuis le décès d’Aladiah, et plus précisément depuis que nous avons commencé à se fréquenter, et je ne voudrais pas que Lola et Juliette fassent 1+1 parce que la brune se questionne sur le bien être de ma fille. Non, je suis la dernière personne à qui elle se confie. Je ne suis même pas certain qu’elle ait un copain. Je me retrouve à devoir suivre son compte meetsa pour avoir des informations sur la vie privée de ma fille, elle qui se confiait toujours à moi avant. Je suis à court d'idées pour la récupérer. Je ne sais même pas pourquoi elle m’en veut autant. Nous sommes tous en deuil et chacun le vit à sa manière, mais la colère de Juliet à mon encontre reste extrêmement compliquée à gérer. C’est comme si je l’avais perdue, le jour où j’ai perdu sa sœur, alors qu’elle est bien vivante, en pleine forme d’un point de vue purement médical. D’accord. Je l’embrasse et garde les lèvres contre les siennes, un sourire sur celles-ci. Je ne peux décrire à quel point cela me fait du bien, ces petits moments que nous parvenons à vivre à la dérobée. Je réfléchi à sa question et réalise que je n’ai pas mangé depuis le petit-déjeuner, ce qui en soit ne change pas de mes habitudes lorsque je travaille et oublie de prendre un lunch. C’est tentant. Peut-être plus tard. Je veux juste te garder dans mes bras un petit temps. Même si nous venons de déterminer qu’elle y prendra place pour la nuit. Tu me manques. J’en viens presque à regretter les moments ou Sienna se trouvait à New-York, au chevet d’Allie, ce qui me permettait de passer mes nuits avec Daisy. Et avec cette seule pensée, la culpabilité vient me nouer les entrailles. Je me dégoûte.

Je ne supporte pas de voir mes urgences encombrées parce que cela veut dire que des gens souffrent. Si je le pouvais, je ferai tout pour que ça n’arrive pas, quitte à ce que je me retrouve sans emploi, ce qui serait critique mais je suis partante pour perdre cela pour le bien du monde. Je regarde Cameron et souris légèrement, accueillant son baiser sur mon nez avec tendresse. Mes épaules se détendent automatiquement. T’en loupes pas une toi hein ! C’est taquin mais ça me fait rire intérieurement. Ça changerait de nos échanges en salle de pause après tout. Mais promis, je te tiendrai au courant. Je lui adresse un clin d’oeil comme pour sceller ce deal un peu idiot et me concentre sur un autre sujet de conversation qui est bien moins sympathique et bon enfant. Je pourrais planter la tête dans le sable et ne me contenter que de conversations futiles mais c’est mal me connaître. Surtout avec ce qu’il se passe dans la vie du chirurgien. Faire semblant, arrondir les angles et ne pas chercher à arranger les choses ne mènent à rien de bons, je le sais autant que la voisine et peut-être même mieux que cette dernière. Je ne sais pas du tout mon amour… Tu as déjà essayé d’avoir une conversation avec elle à ce sujet ? Je peux comprendre qu’elle vive toujours aussi mal le décès de sa sœur - c’est plus que compréhensible - mais son père n’y est pour rien, absolument rien. Il n’a jamais arrêté d’y croire, de faire les aller-retours avec Sienna pour être au chevet d’Aladiah et il a souffert tout autant qu’elles. Je ne pourrais pas dire plus même si je sais que la charge mentale et physique qui est apparue avec la maladie de l’aînée lui a foutu un coup aussi. Devoir subvenir aux besoins de sa famille tout en faisant son deuil a été douloureux et je le sais puisque j’étais aux premiers rangs pour le voir. C’est avec moi qu’il s’échappait, qu’il se laissait aller, qu’il laissait son monde s’effondrer avant de le reconstruire. Cette période nous a fait du mal à tous les deux mais je crois que c’est aussi ce qui fait que nous sommes si soudés, à l’inverse de la relation qu’il entretient avec sa femme. Je ne peux pas l'expliquer mais c’est ainsi. D’accord. Faisons ça alors. Que je souffle tout contre ses lèvres, prête à rester ici une bonne partie de la nuit pour l’embrasser, l’aimer et le soulager de toutes ces peines qui pèsent sur son cœur. Je bouge légèrement dans le lit pour me blottir encore plus près de lui. Ma main continue de caresser son visage et je souffle Je suis là mon amour. Je me veux convaincante, le sourire flamboyant sur les lèvres mais c’est difficile pour moi de l’entendre dire que je lui manque alors que nous sommes ensemble. Pourquoi ? Tout simplement parce que cela fait écho à mes pensées de début de soirée, à ces questionnements qui ne cessent de me détruire l’esprit à longueur de journée. Nous nous manquons l’un et l’autre parce qu’il n’arrive pas à quitter Sienna. Juliet sera toujours là. Elle le détestera une bonne partie de son année mais elle finira par comprendre que deux parents malheureux ensemble ne valent rien. Ce n’est plus une gamine. J’ai hâte que l’on parte à Paris tous les deux. Ça va nous faire tellement de bien… On n’aura besoin de s’inquiéter que de nous. Un goût de paradis, en quelque sorte. Une idée de ce que pourrait être la vie ici si nous décidions de devenir les parias du quartier aux yeux de tous. Bordel, il n’y a rien qui ne me fait peur quand je l’imagine à ses côtés et ça, par contre, ça m’effraie. J’ai déjà réservé un dîner en haut de la tour Eiffel, je voulais être sûre d’avoir une place. Et me projeter me permet d’avancer, de garder la tête hors de l’eau.

Une chance de te voir? Non. Dis-je avec légèreté. On sait tous les deux que c’est faux, que nous ratons des chances de se voir chaque jour, chaque heure, parce que nous avons bon être ensemble à l’instant T, nous savons que celui-ci sera de courte durée. Merci bien. Je souris et prends son menton entre mes doigts pour diriger son visage et poser mes lèvres à nouveau sur les siennes. Je n’en serai jamais totalement rassasié et c’est bien une chose qui ne changera pas, même lorsque nous serons sous le même toit. Ce futur a beau être au conditionnel pour l’instant, je refuse de penser que ce n’est pas au programme pour nous. Tôt ou tard, nos étoiles seront alignées. Je me dis que ce sera plus simple lorsque nos filles auront quitté le cocon familial mais cela peut encore prendre plusieurs années et il n’est pas question de patienter aussi longtemps. Notre relation n’y survivrait pas, je le sais parfaitement. Chaque jour, nous nous rapprochons un peu plus de la deadline et j’ai déjà peur de voir celle-ci venir. Nous sommes les seuls maîtres de ce futur, nous continuons de repousser ce moment, mais ça ne sera pas éternel. J’ai beau fermer les yeux, je sais qu’elle finira par me glisser entre les doigts comme du sable fin, sans que je ne puisse la retenir. Je ne compte plus le nombre d’essais. J’inspire profondément et retiens mon soupire. Il est vrai que j’essaye souvent de lancer cette conversation entre les cris et les larmes, lorsque nous sommes déjà tous les deux à cran, mais Juliet me laisse rarement l’opportunité de m’adresser à elle dans un autre moment. Elle n’est plus qu’un courant d’air, ou plutôt un ouragan, qui passe, dévaste tout - pour le peu qu’il reste à détruire -, et repart. Il y a quelques occasions mais les accalmies sont si rares que je tiens à les chérir et surtout à ne prendre aucun risque de changer du tout au tout l’atmosphère.
Je me force à sourire quand Daisy me dit qu’elle est là, car je la vois. Je ne vois qu’elle, même lorsque la chef des urgences n’est pas à mes côtés. Lorsqu’Aladiah ne hante pas mes pensées, c’est Daisy (ou Juliet) qui le font. Elles se les partagent, à intervalles réguliers. Au début, ça avait presque un côté excitant de devoir se montrer patient jusqu’au prochain instant dans les bras l’un de l’autre, mais avec le temps, c’est devenu uniquement pénible et douloureux. Je sais. Moi aussi. Je suis là, à cent-pour-cent avec elle. Mais même dans mes bras, elle me manque. Je ne sais pas pourquoi on y a pas pensé plus tôt. Peut-être parce que je n’avais pas la tête à voyager et abandonner ma famille, alors qu’aujourd’hui, je me dis que ça nous fera du bien quelques jours sans se voir. Ce qui va surtout me faire du bien est de me retrouver dans une ville aussi romantique avec la femme que j’aime à mes côtés. Parfait. J’ai vérifié hier et pour l’instant il n’y a personne d’autre d’inscrit du MGH. Si ça ne change pas, récupérer les badges sera notre seule obligation. Histoire qu’il n’y ait aucun doute sur notre présence. La convention m’intéresse réellement mais pas autant que ces moments que nous allons pouvoir partager. Ça fait une éternité que je n’ai pas mis les pieds à Paris. Allie n’était même pas encore née. Alors qu’elle n’est à présent plus de ce monde. Évoquer son prénom est toujours aussi douloureux mais je ne tiens pas à la supprimer de chacune de mes conversations alors qu’elle ne vit plus qu’à travers nos souvenirs. Je pense que tu vas apprécier la vue de notre chambre. Je la tease, avant de l’embrasser tout en l’attirant un peu plus contre moi, dans l’espoir qu’elle ne doute pas une seule seconde que je veux tout ça, tout le temps, moi aussi.