Le soleil décline dans le bleu du ciel, assise sur sa serviette qu’elle a déposée à même le sol, l’amérindienne apprécie la douceur de cette fin d’après-midi. Bien sûr, de la finalité de ses vacances, elle n’en a pas envie. Bien qu’il lui reste encore deux jours pour profiter, elle a déjà la sensation que l’ambiance a changé. Elle est encline à la nostalgie, à ses volontés de ne pas vouloir retourner à l’université. Des souhaits d’être une mauvaise élève, de faire l’école buissonnière… Elle qui est si docile, elle s’éprouve être à l’encontre de la moindre de ses manières.

Et l’une de ses paumes s’amuse dans le sable, en attrape une poignée, l’égraine entre ses doigts, sur le fil décousu de ses pensées. Elle laisse traîner son regard, ici et là. Elle note les différents groupes présents, quelques-uns étudiants, malgré la période de Spring Break, elle s’étonne de voir un couple et leur enfant. Refusant de s’avouer pourquoi, elle sent qu’à l’intérieur, ça compresse son cœur. Cette image, elle reflète un avenir qui ne ressemble qu’à un mirage, faute de ses sentiments voués au naufrage. Et comme s’il sentait sa détresse même lorsqu’elle est éloignée, elle craque un sourire d’entendre le bruit d’une notification associé à son prénom. A son message, forcément, c’est rapidement qu’elle répond, quand on vient troubler son attention. « Bonjour, » interpelée, elle relève vers la voix ses prunelles noisettes, un fin sourire poli dessiné sur ses lèvres, « Navré de te déranger, je… Tu parles anglais ? » Sur le coup, la question la surprend, alors de prime abord, la seule réponse qu’il obtient, c’est le froncement de sourcils de la brune, étonnée. Et parce qu’elle n’est pas du genre à se montrer incivile, l’étudiante répond, « Oui, oui, » avec un hochement de tête positif, elle accompagne ses deux petits mots, et en ajoute d’autres afin de ne pas passer pour la sauvage asociale que dans le fond, elle est, « je peux faire quelque chose pour t’aider ? » Sa silhouette ainsi que son appareil, de son regard, détaillés.

Elle reste calme après ses quelques mots, dans l’attente de comprendre ce qu’il espère de celle qui parle la bonne langue mais n’a probablement pas les bonnes manières. Encore aujourd’hui, elle réalise qu’elle ne connait pas tous les codes, qu’elle ignore comment il tourne, parfois, le monde. Alors elle s’étonne lorsqu’il prend l’initiative de sortir son téléphone, elle sourcille sans comprendre, en vient à songer qu’il va peut-être lui demander son numéro, à s’y méprendre. « Navré si ça semble sortir de nul part, mais je t'ai remarqué en prenant des photos un peu plus loin. » L’expression toujours froncée, elle le trouve de plus en plus étrange, cet aparté. Ne sait pas si elle doit s’étonner ou si elle a des volontés de fuir et de se protéger.

Puis elle remarque ce petit mouvement afin de désigner ce qu’il porte autour du cou, comme un collier, qu’elle avait de prime abord regardé. « Je suis photographe de rue; je prends en photo les gens de tous les jours. » Alors les pièces du puzzle s’assemblent petit à petit, l’appareil photo et l’écran de son cellulaire… Elle est moins troublée lorsqu’elle pose ses prunelles sur les clichés, et naturellement, sur son visage, c’est un nouveau sourire qui vient de s’esquisser. En art, la jeune femme n’est pas calée, mais ici et maintenant, ce qu’elle contemple lui plaît, elle pourrait même lui dire en toute honnêteté, qu’il est doué. Cependant, elle ne voit pas en quoi elle pourrait l’aider, elle qui est mal à l’aise avec la technologie, elle ne saurait mettre une telle poésie dans une photographie. « Tu as une beauté naturelle. » Le compliment, elle le prend en plein visage, l’estime brut de décoffrage. Haiwee, elle n’est pas confiante, elle s’évalue banale, penchant finalement pour l’adjectif normale. Elle ne cherche pas les artifices, s’accepte telle quelle est, ne veut pas se changer, et souvent, elle s’interroge afin de savoir si c’est assez. Si elle était autre, peut-être que Sheng l’aimerait. Mais parce que son interlocuteur reprend, elle chasse cette pensée. « Et je ne pouvais pas repartir sans au moins te demander si je pouvais la capturer pour quelques clichés. » Elle ? C’est elle qu’il veut photographier ? « Je ne te force pas, tu peux tout à fait refuser, mais je devais te le demander. » Derechef, elle se revoit il y a quelques mois, quand elle s’est essayée à la publicité, à quel point elle ne savait pas ce qu’elle faisait.

D’un mouvement nerveux, elle écorche sa joue avant de mettre derrière son oreille une mèche de ses cheveux. Elle cherche ses mots, elle craint quelques secondes de le vexer, et voilà donc ce qui sort en premier « Sérieusement ? » parce que voilà, cette histoire, cette discussion, ça ne peut être qu’une blague, forcément. Si bien qu’elle détourne sa vision, à la recherche des personnes qui pourraient se tapir dans l’ombre, dans l’expectative de se moquer de la naïve Haiwee. L’amérindienne qui sort de sa forêt et qui ne sait pas survivre dans cette société. « T’es doué, » elle s’aventure tout de même à lui préciser, parce que même si c’est une plaisanterie, elles existent, ses photographies, « vraiment, c’est très beau ce que tu fais. » Elle les porte en anathèmes son honnêteté et sa douceur, et parce qu’elle ne désire pas qu’on abîme son cœur, elle pose de toute sa candeur, « T’es en train de te moquer de moi ? »

« Je te remercie. » Les mots la surprennent, c’est vrai, car pour la Haiwee, ce n’est pas utile de remercier lorsqu’on vient de recevoir une vérité. Lorsque c’est la sincérité qui guide l’envie de complimenter. Et si elle a pris la peine de le souligner, c’est évidemment qu’elle le pense et pensait. Elle se contente de lui sourire pour toute réponse, n’ayant pas la volonté de passer pour une fille un peu trop perdue dans ses délires si elle le faisait.

Alors après sa question, la colombe tente de lire sur son visage sa première réaction. Si c’est la surprise, le choc qui prime, ou le fait d’être à découvert… « Non, » de sa voix, elle jauge aussi le ton, « Non, pas du tout. » Mais il ne réalise pas combien elle a été, et est encore, brimée. Il ne sait pas les maux, les moqueries, les différences sur lesquelles les autres étudiants appuient. Elle n’aime pas y penser, Haiwee, elle fait toujours croire que sur ses plumes, les attaques ne savent que glisser.

Pour le coup, lorsqu’il vient s’asseoir dans le sable à ses côtés et décline, dans la foulée, son identité, avant de poursuivre sur sa lancée. « On ne se voit pas toujours de la même façon que les autres nous perçoivent. » Seulement la Haiwee a appris à voir le monde là où l’univers est aveuglé, si elle osait, elle lui dirait qu’il n’y a que dans le regard de Sheng qu’elle parvient à s’aviver. « Mais je t'assure que tu es magnifique. » à ses paroles, elle se sent gênée, détourne ses paupières afin de les poser sur l’immensité bleutée, « Tu as une force tranquille empreint de douceur, à mon sens, et je serais prêt à parier que je ne suis pas le seul à l'avoir remarqué. » ses lèvres s’arquent en un léger sourire, elle ignore si ça lui fait du bien ou si elle est à l’orée de souffrir, peut-être parce qu’elle désirerait être remarquée, de tous les choix d’un certain étudiant, être et rester le premier, « Et si ma proposition t'effraies, sache que tu n'as aucune obligation; je ne suis qu'un artiste qui a trouvé une perle d'inspiration sur la plage, tu peux refuser sans te sentir mal. » l’idée d’être une perle, ça la force à nouveau à le regarder, d’une œillade amusée, « Et si tu acceptes, mais qu'au final, tu n'aimes pas les clichés, tu me dis et j'effacerai le tout » Elle soupire lentement, non pas par lassitude juste de réflexion, elle se sent coupable de lui faire subir une telle hésitation.

L’ambrée de ses prunelles jonglent de l’océan à ses doigts, qu’elle tortille entre eux, le temps de cette réflexion qu’elle n’arrive pas à achever. En un sens, elle a envie de croire que ça ne coûte rien d’essayer, et de l’autre côté… Elle ne peut s’empêcher de se méfier. C’est ce qu’on n’arrête pas de lui répéter, d’à tout prix, se protéger. « Ca ne m’effraie pas, » elle précise d’une petite voix, « c’est simplement que c’est… peu commun. » C’est en prononçant cela qu’elle prend conscience d’un point des plus importants, elle aussi, elle est peu commune. Elle est de ceux qui croient être capables de parler à la Lune. « Bonjour Oliver, je m’appelle Haiwee, enchantée. » d’un regard de biais, elle arque la bordure de ses lèvres, creuse sur sa joue une fossette, pour lui demander, à présent, inquiète. « Je vais devoir poser ? » Elle ne l’a fait qu’une fois, enfin elle évoluait derrière une caméra, et si elle a aimé ça, la fille de l’air ne le sait toujours pas. « T'étais pas obligé de dire tout ça. » qu'elle est magnifique à la limite d'être unique.

Elle apprécie la teneur de son sourire, comme s’il était véritable sincère mais aussi vraiment soulagé du fait que la Haiwee ne soit pas terrorisée par son arrivée. Peut-être que si c’était arrivé il y a trois ans de ça, lorsqu’elle foulait les terres éloignées de la sienne pour la première fois… Ca aurait été le cas. Mais ici, elle est moins sauvage, ses émotions ne font plus naufrage. Seulement, sur cette pensée, il se met à rire, qui transforme ses certitudes en mirages. « Je te l'accorde; ce n'est pas tous les jours qu'on se fait aborder comme ça. » Non, et elle a beau aimer les instants qui sortent de l’ordinaire, elle en est encore au point de juger – malgré elle – du prénommé Oliver, les manières.

Chemin se faisant dans cette conversation hors du commun, à se présenter à son tour elle en vient, « Enchanté Haiwee. » une fois encore, elle dose son honnêteté, « Très joli nom. » elle n’y a jamais réfléchi, elle sait simplement que c’est celui que son père lui a donné, et qu’il espérait en la nommant colombe amener la paix. Sans se douter une seule seconde que c’est elle, qui allait les renier. « Merci… » à peine soufflé, pour lui sourire et le taquiner, « mais ce n’est pas moi qui l’aie choisi. » et l’arc de ses lèvres s’intensifie.

Puis elle l’interroge sur comment il compte procéder, si ça va être naturel ou si elle va devoir jouer celles qu’elle n’est pas. Une panoplie de mannequin qu’elle ne possède pas. « Un tout petit peu. » et il le montre avec ses doigts, peut-être pour que la brune en éprouve moins d’effroi. « Rien de bien compliqué et tu pourras probablement rester assise, si tu préfères. » Le problème, c’est que ce n’est pas à elle de décider, selon son point de vue, elle considère même que c’est lui qui doit la guider. C’est lui qui est venue la trouver. « Je n'ai dit que la vérité. » au sujet de sa beauté, elle en bat des paupières avant de planter ses prunelles dans les siennes. Le pire, c’est que le croire, elle pourrait.

Seulement on ne lui a pas appris à se soucier de ces choses-là, à se sentir jolie ou elle-ne-sait-quoi. Elle est bien loin de souffrir de vanité, quand on nous dit quoi faire, quoi penser, comment être… On n’a pas le temps avec ses futilités. Alors si elle est belle, elle se doit de lui confier, que le mot reste dans sa tête, un tantinet galvaudé. « Du coup… » elle reprend, un tantinet paumée, « je suis censée faire quoi ? » Bouger ? Rester assise ? Être docile ? Parler et raconter tout ce qui peut passer dans son esprit ? Mettre son âme un brin à nue ? Elle a besoin d’être guidée sous peine d’être perdue ? Doit-elle se contenter d’être naturelle tandis qu’il la rend éternelle ?