Parfois, elle a peur de s’y habituer, à ces réveils dans le même lit que celui de l’étudiant. Dans ses bras, à écouter dans le silence du matin sa respiration apaisée et de son cœur les battements. Le problème avec cette possible accoutumance, c’est qu’elle serait le parfait reflet de ce qu’elle désire pour le reste de son existence. Elle affectionne tellement ces moments passés dans leur écrin d’intimité, que souvent, elle oublie. Elle omet qu’elle n’est pas avec lui, qu’elle ne partage pas sa vie. Quand elle se réveille d’une nuit à ses côtés, tout se met sur pause, il n’y a que son cœur qui implose. C’est là qu’elle sait qu’elle ne pourra jamais s’arrêter de l’aimer. Quelques minutes de rêve éveillé au goût d’éternité.

Et s’ils ont étiré la nuit en matinée de repos, ou presque car elle a mis ce temps à profit pour apprécier un peu plus les reliefs de sa peau, ce n’est qu’en début d’après-midi qu’ils ont prévu de se retrouver afin de participer à l’une des journées programmées.
Elle n’a pas vraiment déjeuné, une fois qu’il l’a quitté, toute à ses questionnements et pensées. Torturée. Les autres sont-elles comme elle ? A désespérer de le voir abandonner sa liberté ? Est-ce qu’elles espèrent l’exclusivité ? Est-ce que toutes ont droit à des cadeaux ? Est-ce qu’il les effleure de la même façon, leurs peaux ? Est-ce qu’elles aussi noient sous la douche leurs maux ? Puis s'en vouloir d'y avoir songé et tenter de gommer les angoisses, car ils sont en vacances, alors elle devrait probablement ne pas réfléchir, considérer sa chance.

C'est sur le leitmotiv de cette volonté de légèreté et de son envie de ne plus se laisser perturber par les espoirs qu'elle ose ressentir, qui peuvent l’assaillir, qu'elle l’a rejoint, afin de réaliser cette expédition sous le thème du rhum et de sa fabrication. Et comme toujours, une fois avec lui, à l’intérieur d’elle, elle a tout enfoui, n’a gardé que la douceur de ses ressentis, que la force de son adoration. Jusqu’à en arriver au moment de la dégustation. Le rhum comme fil conducteur de sa future aliénation.
D’ailleurs, ses phalanges attrapent un nouveau verre, les portent naturellement à ses lèvres. L’amérindienne n’a jamais tenu l’alcool, c’est un fait qui n’est plus à prouver, pourtant, c’est le troisième qu’aujourd’hui elle essaie. En un sourire, elle affirme à l’étudiant à ses côtés. « Il a un goût de miel. » si peu sûre d'elle.

Si ça la perturbe d’être en symbiose avec lui la nuit, et de devoir jouer à la relation amicale la journée, elle ne s’aventure pas à le montrer, garde son affection pour elle, consciente qu’elle ne peut rien revendiquer, que leur histoire n’en est pas une d’amour, même si pour elle, ce serait si simple de la faire rimer avec le mot toujours. Alors plutôt que de se torturer, elle se fond dans ce rôle de touriste amusée, prête à se laisser enivrer par cette boisson locale, elle qui ne fait jamais d’excès quand pour d’autres étudiants c’est tout à fait normal.

Tandis qu’elle récupère du bout de la langue sur la pulpe de ses lèvres les vestiges de cette douceur citée, d’un regard il semble l’interroger, mais elle reste sans dire un mot de plus parce que le local s’occupe de lui servir un verre, pour qu’il puisse lui aussi y goûter. Seulement, elle se laisse un tantinet surprendre par la réaction de l’étudiant, « Un fond, seulement. » elle ne s’attendait pas à ce qu’il soit réticent. Elle en incline son visage, en une tentative pour mieux le comprendre, une fraction de seconde avant qu’il ne se justifie, « Je n’ai pas assez dormi…» derechef, l’amérindienne en sourit, puisqu’il est évident qu’elle en éprouve une certaine fierté d’être une des raisons qui l’a gardé éveillé. Galvanisée par cette idée, elle achève son verre d’un trait, esquissant une grimace après avoir avalé. De miel, peut-être, mais l’alcool n’en est pas amenuisé.

En un battement de paupières, elle balaie l’impression de chaleur qu’elle ressent pour se trouver une nouvelle confiance, tendant les phalanges à son intention, elle ne la voit même pas venir, la débâcle prochaine de ses émotions, qui sera forcément engendrée par le trop plein de rhum, « Si tu n’en veux pas, » elle peut le boire pour toi, et même si ses pensées parasites n'ont de cesse de la guetter, elle vient affirmer, « je me sens particulièrement en forme pour ma part. » Plus vivante que jamais, par ses caresses nocturne attisée, mais aussi comme c’est le cas à chaque fois qu’elle se trouve à ses côtés.

Dans l’expectative de son acceptation, la brune n’en démord pas, s’il ne veut pas y tremper ses lèvres, elle, elle le fera. Elle a des envies d’annihiler certaines de ses croyances et ressentiments. Ce qu’elle tait à la faveur de l’équilibre qu’ils se sont trouvés. Duquel elle doit se satisfaire, sans rechigner, sous peine de voir Sheng s’envoler. Malgré tout, elle ne peut ignorer le fait que leur relation a évolué, en tous les cas, elle le croit, et c’est aussi pour cela, qu’elle avale le rhum comme s’il ne la brûlait pas. Elle désire brouiller ses espoirs qui s’aiguisent au fils des mois, face à l’intensité renouvelée des instants qu’elle partage avec toi.

Alors à défaut de tendre à l’amérindienne le verre, il le récupère, annotant les paroles qu’elle vient d’articuler, « je prends note, » si bien que ses commissures s’arquent un tantinet à cette idée, cette promesse de langueur s’étirant sur de nombreuses heures.
Suspendue au moindre de ses mouvements, la Haiwee remarque son vacillation lorsqu’il envisage de porter l’alcool à sa bouche, mais parce qu’il est lui et qu’il ne saurait abandonner une bataille sans chercher à la gagner. Il boit finalement une gorgée. Elle en pince un sourire lorsqu’il toussote dans la foulée, s’essaie à maitriser la morsure qu’elle-même a du contrer, et parce qu’il apostrophe le temps d’un doigt relevé, elle ne fait aucun commentaire en attendant qu’il recouvre le sens de la parole malgré ses cordes vocales consumées. « Boire en pleine chaleur c’est autre chose qu’un simple verre dans un appart. » Elle ne peut le contredire, elle qui est en train de s’enflammer, qui sent le rouge aux joues lui monter.

Cependant, elle hoche le visage par la positive, maligne aussi bien que taquine à conserver son expression amusée, elle ose s’approcher de son partenaire, juste assez pour que les mots à connotation de provocation qu’elle s’apprête à articuler ne soient entendus que par lui, puisqu’en public, ils ne sont pas censés être plus que de simples amis, « Petit joueur… Je t’apprendrai. » A boire comme à aimer. Experte de rien, novice invétérée. En alcool comme en amour, pourtant pour le dernier elle aspire à le coupler au principe de toujours. « Alors… » elle repose son regard sur les différents conteneurs, décidée à en goûter encore quelques-uns, « peut-être un moins fort pour le prochain. »