Iris bleues rivées sur l’horizon sombre. Moteur de voiture vrombissant à mes oreilles. La route vide se dessinait faiblement devant moi. L’endroit n’était que faiblement éclairé. Espace reculé de la ville pour conserver la discrétion. Toute cette histoire était illégale. Ange qui n’avait pas prévu de finir comme ça ce soir. Ange qui n’avait guère envisagé que les choses pourraient se finir de cette manière. J’entendais le brouhaha des quelques spectateurs aux alentours. Fenêtres closes, je m’étais bien trop coupé du monde. Coupé de tout. Noyé dans mes propres démons. Noyé dans mon Enfer. Les règles étaient lancées. Encore et toujours les mêmes. Alors, je préférais l’ivresse. La bouteille d’alcool était portée à mes lèvres pour une gorgée bien trop grande. Ça brûlait les veines. Ça ravivait la flamme. Ange piétiné depuis bien trop longtemps. Ange qui avait besoin de reprendre le contrôle. Ange qui devait évincer les autres et vivre pour lui. Vivre pour le mari décédé. Vivre pour tenter de le rejoindre chaque jour. Le seul à avoir aimé le dégradé de couleur de l’Ange. Le seul à être capable de m’aimer. Le premier perdu de la trop longue liste. Ange qui portait la poisse. Ange qui n’était pas à fréquenter. Les doigts cherchaient fébrilement dans la veste pour en tirer un sachet de poudre magique. La poudre glissait dans ma main et les rails s’enfilaient. Un… Deux… Trois… Plus ? Allez savoir, je ne comptais même plus. Enfin, la libération débarquait. Les deux mains se posaient sur le volant. Le regard fixait la demoiselle qui donnait le départ. Et, le signal était donné. La voiture filait à toute vitesse. La voiture roulait bien trop rapidement et la vitesse ne cessait jamais d’augmenter. Ange qui allait gagner cette course. Ange bousillé qui appuyait encore plus fort sur la pédale. Je passais bien vite la ligne d’arrivée, mais je ne m’arrêtais pas. Je me fichais des célébrations ce soir. Je me fichais de l’enivrement qui pourrait venir dans ce groupement. Je m’enfonçais plus loin dans les rues de Boston. La vitesse de la voiture était toujours trop élevé. La drogue commençait lentement à faire effet. Le contrôle se perdait de plus en plus et les noms tournaient en boucle dans la tête. Ces gens perdus. Ces gens blessés. Ça sonnait trop fort. Ça braillait si intensément. Alors, le pied appuyait encore plus sur la pédale alors que l’espoir que tout se taise cognait. Pitié que tout s’arrête. Pitié que l’accident arrive. Pitié que je rejoigne le bien-aimé. Les supplications étaient murmurées à demi-mots dans l’habitacle. Et, soudainement, une silhouette au loin qui traversait la route. Une silhouette qui traversait alors que le feu était au vert. Le pied venait écraser brutalement le frein. Les mains bougeaient pour tourner le volant. La voiture se stoppait en travers de la route. La voiture s’arrêtait. La silhouette était toujours là à me fixer. Vivante. Et la personne se mettait à hurler. Les poings se serraient. Ne pas bouger. Rester dans la voiture. Attendre que la personne continue sa route. Ça braillait plus fort. Dedans. Dehors. Je ne bougeais pas. Il ne fallait pas. Les iris bleues se fermaient. J’attendais que le silence se fasse. Ça finissait par arriver. La silhouette avait disparue. Évaporée dans la nuit. Hallucinée par l'esprit. La rue semblait déserte. Alors, la voiture toujours en travers de la route, je me glissais hors de l’habitacle portant une cigarette à mes lèvres. Les mains tremblantes, la tête en vrac, je levais les yeux au ciel murmurant un « Pourquoi ? » qui resteraient sans réponse. Le corps venait s’appuyer contre la voiture. Et, je profitais du silence. Je profitais de la pause dans la course effrénée. Je profitais de l’instant pour fumer cette cigarette qui se consumait bien trop vite comme le Diable avait consumé ma vie.

Être perdu. Âme torturée. L’Ange avait glissé sur une pente qu’il s’était pourtant promis de ne plus jamais emprunter. Après le décès de mon mari, choisir de ne plus jamais m’attacher ou m’enticher avait été la décision la plus aisée du monde à prendre. Tenir cette résolution ne m’avait jamais posé de problème. Ça avait même été un peu trop facile pour moi. J’enchaînais les conquêtes sans jamais tomber dans le précipice des sentiments. Je cumulais les histoires sans jamais y laisser une part de moi. Et, dès lors que le risque d’un attachement s’invitait, je n’hésitais pas à lancer les dés pour choisir une nouvelle destination et fuir ce qui pourrait me faire sombrer. Je fuyais les autres. Je fuyais la chute. Ici, à Boston, tout était différent. J’avais trouvé une place un peu trop définie. J’avais trouvé une famille et des ami(e)s. J’avais retrouvé des gens. Et, petit à petit, les murailles s’étaient abaissées. J’avais senti la porte s’ouvrir. Mais, les dés avaient choisi de me faire rester et à présent j’étais broyé. Piétiné. Anéanti. Ange qui avait abaissé le bouclier uniquement pour se manger un coup d’épée en plein cœur. Ange qui, ce soir, cherchait l’échappatoire. Ce soir, je voulais la fin et la fuite. Ce soir, je tentais de m’évader de cet univers qui ne me correspondait guère. Ça n’allait pas à la vie d’avant avec le mari. Ça n’allait pas avec la vie d’après et la résolution. Le téléphone était coupé et abandonné à l’appartement. L’être était déchiqueté et prêt à s’abandonner au sort de la mort. L’alcool était descendu à une vitesse un peu trop folle faisant bouillir les veines. Les rails de poudre blanche s’enfilaient sans la moindre hésitation avec la hâte de ressentir la vibration de ses effets. Et le pied était posé à plat sur la pédale de cette voiture. Cette voiture qui filait beaucoup trop vite. Cette voiture qui remportait la course sans pour autant s’arrêter. Ce n’était pas cette victoire que j’attendais moi. Ce n’était guère cette victoire que je désirais. J’en voulais une autre alors je partais à sa recherche dans les rues de Boston. Les minutes ne faisaient qu’intensifier le désir. Les noms en boucle dans le crâne poussaient à appuyer encore plus fort et à prier pour que ça arrive. Que tout s’arrête bordel. Ce n’était pas compliqué. Je ne demandais pas grand-chose. Soudainement, la silhouette s’était dessinée m’obligeant à stopper la totalité de cette folie. Elle avait hurlé cette silhouette. Elle avait crié presque aussi fort que le faisait l’être. Et, perdu dans cette réalité, je m’étais contenté d’attendre. Attendre le silence. Attendre la solitude. Ça arrivait. Je me glissais hors de la voiture la tête bien trop en vrac. Les mains tremblantes, je parvenais tout de même à allumer et glisser une cigarette entre mes lèvres. Mon dos s’appuyait contre la voiture comme pour m’empêcher de sombrer plus bas. L’interrogation passait entre mes lèvres et la réponse ne venait pas. Elle ne viendrait jamais. Néanmoins, autre chose venait. Une voix s’élevait soudainement me poussant à sursauter en soufflant un « F*ck » alors que ma main venait se poser sur le cœur qui cognait bien trop fort. Pouvait-il s’arrêter soudainement ? Je le souhaitais tant. Me retournant lentement, les iris bleues cherchaient un bref instant. Ange qui n’avait pas prévu de croiser une âme ce soir. Ange qui n’avait pas prévu de faire la discussion cette nuit. Le silhouette se trouvait là. Elle sortait de l’obscurité. Cette fille étrangère qui restait à distance. Tirant sur ma cigarette, je l’observais un instant avant de répondre « Tu n’aurais pas la réponse alors à quoi bon te donner une réponse. » Ange qui refusait de donner des détails. Ange qui n’avait pas envie de faire entrer une nouvelle personne dans l’existence.