with @Haiwee Wind River
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the 03.08.2022 Marrakech ; Maroc ; SC 2022

Ca pouvait encore surprendre à ce stade de ma paternité, mais je ne me sentais toujours pas prêt à élever un enfant. Je ne me sentais pas prêt à assumer cette petite puce chaque jour de ma vie, à faire en sorte de la protéger, de l’aider à grandir, de lui donner autant d’amour que possible sans en être étouffant. Ce n’était que par la force des choses que j’avançais avec elle, parce que l’univers ne me laissait pas le choix. Bien sûr, je ne regrettais aucun de ces instants avec elle, à veiller sur son bien être, mais je sais, que si j’avais eu le choix dans certaines équations, les choses se seraient passées autrement. Ce voyage en était l’exemple même. Si Céleste n’avait pas été obligée de rentrer d’urgence à Boston, je sais que jamais je n’aurais gardé Anaé seul sur une si longue période. Je sais que je n’aurais pas non plus pris l’avion seul avec elle. Je l’aurais laissé à sa mère ou je me serais débrouillé pour prendre le même vols qu’elles, mais il y a beaucoup de choses sur lesquelles je n’aurais pas avancé. Pas par manque d’envie, ou d’intérêt, mais parce que j’étais encore inquiet de ne pas réussir à assurer, de faire n’importe quoi. Alors forcément, l’idée de faire un vol d’au moins une dizaine d’heure avec un si jeune bébé, c’était l’appréhension totale. Mais je n’avais pas bien le choix. Après tout, je ne pouvais pas rester éternellement ici avec elle. « Ouais, je sais, mais bon… Même pour elle, j’ai pas envie qu’elle passe tout le vol à pleurer parce que ça va pas sans réussir à la soulager. » Comme dans bien d’autres contextes, j’ai peur de ne pas réussir à savoir l’apaiser, peur de ne pas comprendre ses besoins. Des craintes que j’allais devoir affronter quoiqu’il arrive, que je le veuille ou non. « Mais de toute façon, on a pas d’autre moyen pour rentrer à Boston, alors faudra le faire. Et puis au moins, je suppose qu’en grandissant elle sera aussi plus à l’aise et que ça sera plus simple. » Je m’avance peut-être un peu, mais entre le pays d’origine de sa mère, le mien et Boston, je suppose que la demoiselle aurait rapidement un sacré compteur “temps passé dans un avion”.

Lorsqu’Haiwee me questionne sur la mère d’Anaé et la relation que j’entretiens avec elle, je me fais transparent. Nous ne sommes pas en couple, ni même amants. Notre histoire n’avait été que quelques nuits dans les nuées d’un été qui me semblait désormais très lointain. C’était ainsi, et on l’assumait parfaitement. Cependant, je suis un peu moins transparent sur ce que traverse la française et sur son retour précipité à Boston. Car ce que je ne dis pas à Haiwee - par respect pour Céleste même si les deux jeunes femmes ne se connaissent pas - c’est qu’elle a été hospitalisée en raison d’une infection pulmonaire qui a pris de l’ampleur. Un sujet qu’il ne valait d’ailleurs mieux pas aborder si je ne voulais pas devenir désagréable au sujet de la française. Mais ça, c’était une toute autre histoire. « Boston compte d’excellents médecins, elle sera vite remise. » C’est peut-être la seule chose qui me rassurait vis-à-vis de la santé de Céleste, savoir que d’excellents médecins pratiquaient en ville, et qu’avec la prise en charge adéquate, elle se remettrait vite sur pied, même si ce n’était pas toujours fun pour elle. Mais dans cet élan de confession, j’en profite tout de même pour partager avec Haiwee une autre information personnelle me concernant : ma relation, cette fois bien sérieuse avec un homme. « Visiblement, tu t’y attendais pas vraiment à celle-là. » Je souris, peu fier d’avoir réussi à la surprendre, surement bien plus qu’elle pouvait s’y attendre.

La bouée d’Anaé enfin prête, je demande à l’ancienne Currier de garder ma fille encore quelques secondes, le temps que je descende dans la piscine tranquillement, sans crainte de glisser avec Anaé dans les bras. La bouée déposée sur l’eau - et qui semble flotter correctement - je me tourne vers Haiwee qui a suivi, installée sur les marches, depuis lesquelles Anaé barbote déjà un peu. Je la récupère doucement et l’installe dans la bouée, que je ne lâche pas pendant les premières minutes, parce qu’on ne sait jamais. Au cas où. Vous savez, le père surprotecteur. Mais ça ne m’empêche pas de sourire à Haiwee et de prêter attention à ce qu’elle continue de me dire. « Ne t’excuse pas, tu n’as franchi aucune limite, et si ça avait été le cas… Et bien tu sais que je ne me serais pas gêné pour te le dire. » Si j’avais répondu aux questions de la jeune femme, c’était parce que j’acceptais d’en parler, et non pas parce que je me sentais forcé de le faire. Et finalement, je crois que c’est ce que je voulais, cette amitié sincère, sans faux semblant avec la jeune femme.

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Malgré le fait que j’assume de plus en plus ma paternité, il y a encore tout un tas de situations que j’appréhende encore avec Anaé. Tout un tas de situations que je ne me sens pas prêt à affronter, encore moins seul. Prendre l’avion aussi longtemps avec ce petit bout de chou en fait partie. Parce que j’ai peur de ne pas être à la hauteur, peur de ne pas être un bon père pour elle, et plus encore qu’on me le fasse remarquer. Après tout, les gens se gênaient rarement pour porter des jugements hâtifs dans ce genre de situation. Pourtant j’allais devoir m’y habituer moi aussi, à faire des vols si longs avec elle. Ses grand-parents se trouvant en France, Angleterre et Danemark la plupart du temps, les évènements familiaux qu’on ne pourrait pas manquer annonceraient de longs vols depuis Boston. Mais j’espérais au moins qu’en grandissant l’avion ne serait pas un frein pour elle pour aller découvrir le monde, si elle était un tant soit peu aventurière comme son père. Ou même sa mère, qui n’était jamais la dernière sur la liste pour s’amuser. Une mère absente, depuis quelques jours, en raison de son état de santé que je partage partiellement avec la jeune amérindienne et qui a pourtant de quoi m’angoisser pour les années à venir. Impossible de savoir si Anaé a hérité de la même pathologie, mais j’espérais sincèrement pour elle que non. Quand je voyais ce que cela pouvait causer à Céleste, je n’arrivais pas accepter que cela puisse aussi arriver à ma fille. Mais j’allais devoir faire preuve de patience avant d’être rassuré - ou non - sur le sujet.

Nous essayons de ne pas nous attarder sur le sujet, venant rapidement évoquer un autre aspect de ma vie, celui de ma relation avec Novel, que je ne nomme pas pour autant. Je vois bien la surprise marquée le visage de Haiwee, à qui je ne fais aucun reproche. Après tout, j’étais toujours très discret sur ma vie sentimentale, et rien ne pouvait laisser présager que je sorte avec un homme, encore moins quand j’annonçais, quelques minutes plutôt être le père de la petite fille qui barbote désormais tranquillement dans l’eau. « Mais au moins comme ça, tu savais tout de suite à qui tu avais à faire. Pas de mauvaise surprise en cours d’année. » Que j’affirme pour tenter de justifier mon mauvais caractère en début d’année, alors que la jeune femme appréhendait encore son nouvel environnement. Une année pendant laquelle il s’est passé bien des choses, pour elle comme pour moi. « Officiellement, depuis Avril. Mais on a commencé à se fréquenter en Septembre. » Une rencontre assez brutale avant que nos échanges s’adoucissent pour que le naturel et la tentation fassent le reste au fil de semaines loin d’être des plus calmes. « Je suppose que oui. Il ne la voit quasiment jamais, mais il demande de ses nouvelles occasionnellement, et il a même penser à la gâter la dernière fois qu’il l’a vu. Mais il est jeune, un peu plus que moi, et je pense qu’il n’est pas vraiment prêt à jouer les beaux-papa, alors il se tient à distance. Et puis il ne veut pas que je passe à côté des moments importants de la paternité. Dans tous les cas, c’est encore quelques ajustements, pour tout le monde. » L’arrivée d’Anaé avait été tellement inattendue qu’il nous fallait encore du temps pour nous adapter, trouver notre rythme vis-à-vis de certaines choses mais tout cela commençait à se mettre doucement en place. Que ce soit pour Céleste, Novel ou moi. Après tout, on était tous impacté par ce petit bout de chou qu’est Anaé. « Et toi ? Tu as quelqu’un dans ta vie ? » Que je demande par politesse, bien que la réponse attise une pointe de curiosité.

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Il est rare que je parle aussi ouvertement de ma relation avec Novel, même sans le nommer. Une relation qui n’appartient qu’à nous, n’ayant mis que peu de monde dans la confidence, et plus par la force des choses que par réelle volonté de notre part. Mais une relation qui me convenait. Je n’avais pas besoin de m’afficher avec le basketteur pour qu’on sache que je l’aime, tout comme je n’avais pas besoin qu’il s’affiche avec moi pour que je sache qu’il m’aime. Relation intime au possible qui prenait tout son sens quand nous étions que tous les deux, et c’était tout aussi appréciable. La seule frustration venait de ces gestes, pourtant si naturels entre nous, retenus, des mots parfois inexistants au moment opportun lorsque nous étions amenés à nous voir dans des lieux publics. En dehors de cela, ma relation avec Novel était ce qu’elle était, et je ne la changerais pour rien au monde. Pourtant, il fallait bien avouer que l’arrivée de bébé Anaé avait pas mal bousculé pas mal de choses. Déjà par l’officialisation même de notre relation mais aussi par ce nouveau rythme dans lequel j’avais l’impression d’être ou papa ou amant, mais rarement les deux à la fois. Mais impossible d’en vouloir à Novel de tenir à certaines distances vis-à-vis de cette vie de “famille” qu’il ne se sent pas prêt à vivre. Et je vois bien que ça chafouine légèrement Haiwee, alors que j’étais pourtant en paix avec cette décision. « J’ai appris qu’Anaé était ma fille deux mois après sa naissance, dans la foulée, je l’annonçais à mon copain, alors qu’il ne l’était pas encore. C’est un chamboulement pour tout le monde, et je ne peux lui demander d’assumer un rôle qui à l’origine n’est pas le sien s’il ne se sent pas prêt pour. » J’avais déjà eu du mal à assumer mon rôle à moi, alors je ne pouvais pas reprocher à Novel de ne pas se sentir prêt pour celui du beau-papa. Mais comme le souligne Haiwee, j’ai espoir que tout ira bien dans le futur et que tout le monde saura trouver sa place sereinement dans cette famille quelque peu atypique. « Je ne m’inquiète pas pour cela. Mon mec à deux nièces de six ans, et il s’en occupe à merveille. Je suis sûr qu’il en sera de même avec Anaé, et qu’il a juste besoin d’un peu de temps pour se faire à l’idée. » Et quand il serait prêt, il viendrait de lui-même faire le premier pas vers elle.

La question retournée à Haiwee, je reste un peu confus par tant d’hésitation de sa part. Un oui devenu un non en l’espace de quelques secondes avant de devenir une hésitation qui semble encore plus troubler la jeune femme. Je me rapproche un petit peu, emmenant Anaé avec moi, refusant de lâcher sa bouée, même pendant une seconde, comme si le courant pouvait l’emporter. Comme s’il pouvait y avoir du courant dans une piscine. Clairement, de nous deux elle était la plus sereine. « Ca sonne comme des sentiments dans une relation qui n’a pas été très définie. Voir pas du tout. » Et ça ne me semble pas complètement inconnu, étant passé par ce stade plus d’une fois. Celui où on l’on se sent proche d’une personne, lié à elle, sans pour autant savoir si on peut la qualifier de moitié, si les sentiments qu’on éprouve son réciproque, et quelles en sont les limites. Un flou relationnel que je n’ai jamais apprécié, bien trop souvent propice aux conflits et aux engueulades. « Ce n’est pas moi qui vais te dire le contraire. » Oh non, vraiment pas. « Et je suis loin d’être un professionnel de l’amour, mais si tu veux en parler, développer sur ce “j’sais pas”, t’as une oreille attentive juste en face de toi. Juste là. » Je pointe Anaé du doigt avant de rire un peu. « Non, je rigole. Quoique, en soit, elle ne te couperais pas la parole, par contre, il ne faut pas s’attendre à beaucoup de conseils de sa part. Mais plus sérieusement, si tu veux en parler, maintenant ou dans six mois, n’hésite pas. »

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J’en avais fait du chemin depuis le printemps, avec Novel, Céleste et Anaé. Trois personnes désormais liées à moi d’une façon que je n’aurais pas su imaginer. Sauf peut-être Novel, avec qui j’espérais bien une officialisation, mais pas dans ce contexte. Les derniers mois nous avaient donc forcés à nous adapter, les uns les autres. Plus rien ne me semblait pareil depuis l’arrivée d’Anaé, mais c’était ainsi. Le monde change, continuellement, mais certains de ces changements étaient plus marquants que d’autres. Anaé était ce changement marquant, par tout ce qu’elle avait apporté et enlevé dans ma vie. A défaut de pouvoir m’attarder sur ma relation avec la mère de ma fille, n’ayant pas grand chose à confier dessus, je m’attarde un peu plus sur celle avec mon petit-ami, que je ne nomme pas pour éviter toute fuite concernant un coming-out qui n’a pas été fait publiquement, et qui pourrait être mal reçu dans le domaine professionnel de ma moitié. L’homosexualité et le sport, ça n’avait jamais fait bon ménage. Mais malgré tout, Novel et moi avions réussi à trouver notre équilibre, quoiqu’un peu bouleversé par l’arrivée d’Anaé, mais ce n'était pas un problème. On s’était adapté à mes obligations paternelles, à cette volonté de vouloir me lier à ce petit bout de chou qui n’avait rien demandé à personne. Et même si Novel se refusait pour le moment à adopter ce rôle de beau-père qui pourrait lui tendre les bras, je n’étais tout de même pas inquiet qu’il sache parfaitement s’y faire avec Anaé quand il l’aurait décidé. « Je ne le force à rien, je sais très bien que ça ne serait pas la bonne façon de faire. Il sait très bien demander quand il veut de ses nouvelles et où aller s’il veut la voir. » Et puis il m’avait moi-même fallu du temps pour accepter l’idée d’être le père de cette petite puce, alors il aurait été hypocrite de ma part de lui reprocher d’être un peu distant quand on sait comment moi j’avais réagi. « C’est un peu ça… Et l’année est loin d’être finie. » A priori, pas de nouvelle annonce de paternité mais je ne savais pas non plus ce qui pouvait encore m’attendre d’ici la fin de l’année.

Ma relation avec Novel évoquée, je me rends compte que je ne sais pas grand chose de l'amérindienne en ce qui concerne sa vie sentimentale. De quoi me pousser à la questionner franchement. Au mieux, elle me répond, au pire, elle esquive les questions. Elle semble décidée à y répondre, malheureusement, l’hésitation est plus que présente dans sa voix, de quoi deviner un trouble sentimental, de sentiments présents mais dont on ne sait pas quoi faire. « A ce rythme, dans quelques mois, je suis coach de vie, tout simplement. » Je lui souris pleinement, jamais je n’en ais eut vocation, mais il était plutôt simple pour moi de discuter avec Haiwee - contrairement à ce que je pouvais laisser penser au début de notre relation - et si elle avait besoin d’une oreille attentive ou de quelques conseils, je pouvais être là pour elle. « La vie ne se préoccupe pas vraiment des schémas qu’on prépare. » J’en étais le parfait exemple, après tout, à aucun moment je n’avais prévu d’avoir un enfant avec une femme pour qui je n’avais aucun sentiment amoureux. « Mais je te l’accorde, c’est le bordel là dedans… - Je désigne le coeur d’un mouvement de la main - … et si tu veux que ça fonctionne, faut être honnête. Avec toi-même, avec la personne que tu aimes. Admettre que tu as des sentiments, quand bien même vous ne savez pas vraiment vous situer, quand bien même tu n’es pas sûre que ce soit réciproque. Parce que tu n’as pas beaucoup d'options à part souffrir d’une relation dans laquelle tu ne sais pas à quel point tu es engagée ou mettre les choses à plat et te donner la possibilité d’avancer, quand bien même ce n’était pas le chemin que tu avais envisagé. » Mais l’incertitude était quelque chose de destructeur.