La semaine passée avait été étrange. Tous les matins, Tex jouait avec son téléphone, lui adressait des sourires, écrivait de longs messages, au point que son colocataire en était venu à lui demander franchement si il y avait quelqu’un de nouveau dans sa vie. Non pas que ça l’aurait dérangé... il était plutôt du genre à dire : mais voyons, présente-moi ! Et à récupérer la personne en question dans son propre lit, en fait, c’était assez souvent arrivé pour que Tex le voie venir à des kilomètres. Il ne lui en voulait pas, d’ailleurs. Il trouvait plus sain pour Tabby de fréquenter des personnes de son entourage actuel, que des anciens cercles qu’avait fréquentés le gangster. Ça valait mieux pour eux deux.

Enfin, il l’avait rassuré : il ne s’agissait que d’un projet scolaire. Un étudiant auquel il avait confié du matériel important. Il n’avait pas développé davantage. Le jeu vidéo qu’il préparait devait être une surprise.

Le cours du lundi matin se terminait à onze heures. Après une longue conversation avec la première de la classe qui voulait se faire mousser, Tex se trouvait seul et s’apprêtait à passer sa pause de midi dans ses locaux, entouré d’écrans en veille. Il s’était installé à un bureau, sa bouteille d’eau à ses côtés, son casque sur les oreilles, et il pianotait tranquillement en oubliant le reste du monde. Il était absorbé très loin d’ici, dans une recherche au sujet d’un personnage dont il allait adopter le déguisement pour une fête costumée. C’était très sérieux.

Il était plongé dans la recherche d’images, mais les harponneurs ordinaires que proposait son moteur de recherche ne faisaient pas du tout l’affaire. Il n’était pas du tout enclin à s’habiller en cliché sur pattes, torse nu et pour le reste, couvert d’anachronismes. Il visait une image en particulier et il ne la trouvait pas. Alors, il faisait dériver les résultats de recherche, en fixant tour à tour chaque costume de marin plus ou moins approximatif. Un soupir gonfla sa poitrine ; sur l’onglet voisin, l’unique portrait connu de celui qu’il espérait incarner, dans son âge avancé, alors qu’il s’était mis à la politique. Une barbe épaisse, une tenue respectable, un air fatigué. Comment réconcilier ces deux univers ?

Avec un sourire, il aperçut quelques images qu’il avait utilisées pour modéliser les personnages de son jeu vidéo. Ces tatouages complexes lui avaient donné bien du travail… d’autant qu’ils n’étaient qu’une base dont sa composition créative s’était finalement beaucoup éloignée. Et puis, il y avait la question de l’adéquation culturelle, qui lui avait causé des recherches à n’en plus finir. Il tomba sur quelques dessins où des petits malins s’amusaient à représenter des histoires d’amour entre les personnages principaux, secoua la tête et « zappa » rapidement à la page suivante, gêné. S’il avait pu, il aurait rougi. Quelle idée, vraiment. Quelle drôle de façon de représenter des créations littéraires. Les jeunes ne savaient vraiment plus quoi inventer.

Amazing what you'll find, face to face

Sometimes quiet people really do
have a lot to say. They're juste being
careful about who they open up to.

@Tex Douglas & @Jeremy Sadusky


Vacances de dingue! Et premières à l'extérieur de la ville. Tout seul qui plus est. Ça avait fait étrange, mais j'avais réussi à calmer mon esprit en me disant que ce n'était pas plus mal que lorsque j'étais en compétition. Et après tout, personne n'était tout seul, sauf moi. Étrangement, j'avais moins de craintes pour moi-même en étant à l'étranger. La frontière m'avait apporté une certaine paix d'esprit aussi simple et stupide que ça puisse paraître. Les simples textos échangés un peu n'importe quand au cours de la semaine m'avaient permis de relaxer, de profiter du paysage. Rien d'étonnant sur ce point, j'avais passé les vacances entièrement à l'eau, ou presque. Piscines, mer, jeux d'eau… me trouver n'avait probablement été si compliqué si on me connaissait moindrement. Peut-être que j'aurais dû sortir un peu plus de mes habitudes, mais après, ça m'avait assuré le sourire aux lèvres durant la totalité du voyage… Alors est-ce que c'était vraiment mal de ma part de faire ce que j'appréciais. Qui plus est, avec une caméra submersible en main, j'avais appris à voir le tout sous un autre angle. Je m'étais amusé à essayer de trouver des trucs bien pour les références de Mr. Douglas, à quelque part entre ses demandes et mon envie de montrer mon élément préféré.

Les comptes-rendus réguliers avaient fait partie des semaines sans me déranger. J'avais facilement pris l'habitude de les écrire avec un premier café ou parfois en prenant le petit déjeuner ici ou là. Je n'étais pas nécessairement au même rythme que les autres, me réveillant probablement plus tôt que la moitié d'entre eux, mais pour l'envoi d'un courriel, ça ne dérangeait pas grand chose. Et puis, Mr. Douglas semblait suivre un horaire commençant assez tôt également pour ce que je pouvais voir de l'heure de réponse.

Je n'avais pas pensé que je me retrouverais à discuter ainsi avec lui, mais les kilomètres de distance et même seulement l'écran entre les deux avaient sans doute facilité les choses. Y'avait qu'à voir avec Angèle… elle savait plus que la plupart des gens que je croisais tous les jours et la moitié des trucs avaient probablement été dit par messagerie. Pour Mr. Douglas, ça avait été un peu différent. Certaines explications avaient dû être données, parce que je l'avais inquiété. Et quelque part, il était peut-être un peu plus sensible à mon sort que n'importe quel autre membre de l'équipe professoral. …alors que je ne suis pas pour autant dans sa filière. Mais voilà, je n'avais pas été capable de simplement brosser l'argument comme j'aurais pu le faire avec un autre enseignant. Parce qu'il faut bien être honnête, je n'avais jamais échangé autant de courriel avec un autre prof. Ou pour sûr rien d'aussi long et développer. Au final, il est peut-être plus sympa que certains le disent. Et maintenant que les championnat sont passés et que j'ai un peu plus de temps à mon agenda, l'idée de le trainer à l'extérieur pour un café au moins et en remerciement des souvenirs qu'il m'a permis d'avoir et de montrer à ma famille, est plus que tentante.

- Et vous vous inquiétiez de ce qui allait se dirent si vous veniez voir les entraînements de natation? Le questionnais-je, légèrement penché en sa direction alors qu'il ferme un onglet de recherche.

C'est qu'une taquinerie, mais je n'ai pas pu m'en empêcher. Tout comme je n'ai pas pu m'empêcher d'entrer dans son local après avoir toqué et qu'il n'aie pas répondu, semblant totalement perdu dans ce qu'il faisait.

•

HJ:

Tétanisé d’entendre soudain une voix par-dessus son épaule, le professeur sursauta ; il pensait vraiment être livré à lui-même pour le temps de sa pause de midi. Ses moments en tête à tête avec un écran étaient en règle générale de vrais moments de solitude, presque de méditation. Et c’était le monde extérieur dans toute son exubérance qui y faisait irruption sans prévenir. Pendant une seconde, entre l’écran où apparaissait un de ces classiques marins tatoués, et le jeune homme (tout aussi marin, quoique par affinité naturelle et non par profession, et tout aussi tatoué) qui se tenait près de son siège… Tex se sentit comme piégé, pris entre deux feux.

Ce n’était que la surprise, et il se reprit aussitôt tandis qu’un mélange d’émotions contraires se carambolait dans ses prunelles comme une file de petites voitures en déroute. Il était heureux de voir Jeremy debout sur ses jambes, c’était le sentiment qui dominait. Et il était conscient que ce devait être une sorte de plaisanterie et qu’il convenait d’y répondre sur le ton de l’humour. Serait-ce perceptible, sans smiley ?

« Bonjour, Jeremy, » dit-il simplement pour gagner du temps.

Inutile de chercher à éteindre précipitamment l’écran laissé en plan ; ce serait encore plus ridicule. Mais il pivote sur un onglet plus acceptable, celui qui détaille la tenue historique des politiciens du dix-neuvième siècle, tendance vestimentaire par tendance vestimentaire. L’esprit libre de cette recherche qui n’a rien de professionnelle, il se lève par politesse pour serrer la main de son visiteur. Ils sont associés, n’est-ce pas ? C’est la salutation qui convient.

« Je... »

Une sorte d’embarras s’empara de lui, tout à coup, à voir ce jeune homme en face de lui avec sa main dans la sienne et la sympathie naturelle qui circulait entre eux, avec la régularité apaisante d’un courant alternatif. Il n’avait pourtant rien fait de mal, mais il ne savait plus où se mettre. Quelques paramètres à recalibrer.

« Je cherche un déguisement pour une fête. Bref. Comment vas-tu ? »

Difficile de ne pas charger cette question anodine de tout ce qu’ils avaient discuté pendant ce voyage, de ne pas la poser sur un ton grave, alors qu’il aurait tant voulu afficher lui aussi un grand sourire et une expression pétillante d’énergie vitale, comme savaient si bien le faire les autres. Son psy était pro dans ce domaine-là, et décidément Jeremy l’égalait sur bien des plans. Et lui, sorte de mante religieuse pacifiste à lunettes au milieu de cette bande de joyeux marins tatoués, se sentait tout sauf à sa place. Un petit rire nerveux lui monta aux lèvres, qu'il bloqua aussitôt.

« C'est drôle, à l'écrit j'étais tellement bavard... Tu m'as surpris, c'est tout. »

Spoiler: