J'ai mon avion demain à quinze heures. Un retour précipité suite à un dossier qui ne peut pas attendre la semaine prochaine. Avec le travail que j'ai, c'est difficile de décrocher réellement et de mettre une distance entre mes clientes et moi. Toutes ces vacances, j'ai lu mes emails, répondus aux plus urgents, à ceux dont la tristesse et détresse transpiraient par chaque lettre. Le coeur lourd, l'envie de rester ici mais l'engagement qui me ramène à la maison, à Boston, plus tôt que prévu. Alors, pour cette dernière soirée, j'ai décidé de sortir, d'aller faire la fête avec un groupe hétéroclyte de bostonien. Y en a pour tous les goûts. Ça va de la première année timide au citoyen fêtard en passant par le studieux troisième année qui décide de souffler pour un soir et un soir seulement. La musique à fond, les shots de Tequila qui s'enchaînent, je bois plus que je devrais parce que je vais passer ma matinée à dormir, à décuver et à me préparer à rentrer. Mais je me fiche bien de tout cela. Aujourd'hui - ce soir, même, pour être plus précise - je ne pense qu'à moi, qu'à m'amuser, qu'à profiter avant de retourner à cette vie sérieuse que j'aime pourtant à mille pour cent. Je ne sais pas trop comment je rentre jusqu'à l'hôtel mais j'y suis. Talons en mains, je ne marche plus vraiment droit jusqu'à ma chambre, enfin ce que je crois être ma chambre. Ma carte passée devant la poignée de porte magnétique, je peste, incapable d'ouvrir la porte. Mais c'est pas possible ! 483. Voilà le numéro de ma chambre. Je le sais. Ou alors c'est 384. 834 ? Tout se mélange et cette putain de porte ne s'ouvre pas, ce qui m'agace fortement. Une espagnole qui perd sa patience, attention...


HJ : personne qu'elle connait, qu'elle ne connait pas, avec qui elle a fait la fête à un moment ou à un autre (ce soir-là ou pas), tout est possible.. merci d'avance

J’ai tellement profité de ces dix jours ici, au Mexique, que l’idée de rentrer me brise le coeur. Je n’ai pas envie de retrouver Boston, la grisaille et tout ce qui va avec. Ici, il fait beau, il fait chaud, je peux me reposer, bronzer, me baigner et parler avec les locaux dans ma langue maternelle. C’est quelque chose qui me manque, quelque chose que j’ai réellement apprécié ici, presque autant que les cocktails que j’ai pu boire depuis mon arrivée. Mais aujourd’hui, l’alcool cheap, les shots de Tequila enchaînés, j’ai retrouvé l’une des facettes de ma vie que j’ai longtemps laissé de côté. Les soirées, c’est bien mais lorsqu’il faut assumer le lendemain, c’est autre chose. Et je risque vraiment de regretter tout cela demain mais ce n’est pas bien grave. Oh que non. On ne vit qu’une fois, n’est-ce pas ? Je le répète assez à mon frère, ce n’est pas pour être au lit à vingt-deux heures. Je ne suis pas une grand-mère ! La trentaine est presque là mais pas encore. En tout cas, mon incapacité à ouvrir ma porte me fait pourtant clairement comprendre que j’aurais dû rentrer plus tôt. Je vais finir par défoncer la porte ou bien dormir adossée à cette dernière. Je n’ai pas envie d’abandonner, sûre de moi, du fait que le numéro sur la porte est le mien et quand une grande blonde vient m’ouvrir, j’arque un sourcil. Ma carte en main, je fronce les sourcils et lance On se connaît ? Son visage ne me dit rien et je suis pourtant plutôt physionomique. Et qu’est-ce que tu fais dans MA chambre ? L’index pointé dans sa direction, accusateur. Forcément, c’est elle qui squatte ma chambre, pas moi qui fait un bruit monstre à la porte de la sienne. Ça coule de source.

Je n’ai pas envie de rentrer mais le devoir m’appelle. Voilà comme je baptise cette dernière journée au Mexique. Le devoir m’appelle. Et la migraine de demain matin frappe déjà à la porte. Ou alors c’est moi qui s’acharne sur cette porte, je ne sais pas. Je ne sais plus. Je suis perdue. Perdue dans mes pensées, dans mon propre jeu, dans ces rires qui m’ont porté toute la soirée. Ces dérives, elles m’arrivent très peu souvent pour ne pas dire jamais. Je suis toujours dans le contrôle mais ce soir, il est parti en vacances, le contrôle de la situation. Lui aussi a besoin de se reposer… Trois cent soixante quatre jours par an, il est au plus haut point alors bon, je fais avec. Et demain, je passerai par la boutique de l’hôtel pour m’enfiler deux efferalgans. L’idée de la pressurisation de la cabine me fait déjà flipper mais c’est un problème pour demain. Là, je m’acharne sur cette porte - qui finit enfin par s’ouvrir - et déplace mon incompréhension sur la blonde face à moi. Si j’étais mal élevée, c’est ce doigt là que je te montrerais. Et bien évidemment, le geste s’allie à la parole et c’est mon index que je lève, lui offrant aussi mon plus beau sourire, derrière mes yeux qui ont du mal à rester droits et fixés sur son visage. Mais bien sûr que je vais vérifier ! Et fais pas la maligne ma grande parce que je sais me défendre et je suis avocate ! Comme si ça allait changer quelque chose à l’équation. Là, je serais incapable de me souvenir de la loi la plus basique qui soit. Je la dépasse et entre dans la chambre. La vue est la même depuis le balcon mais j’ai l’impression que je vois un peu moins bien l’océan de la baie vitrée. J’en sais trop rien. J’ai trop bu, la perception des distances est peut-être différente ? J’ai laissé mon bullet journal dans la table de chevet ! Que je dis à voix haute, me tournant vers le carré blanc laqué que j’ouvre sans ménagement. Puisqu’être accroupie relève de la mission de l’année, je me mets à genoux et commence à sortir les magasines, télécommandes et tout ce qui traîne. Ah non ! Sous le matelas ! Parce que c’est forcément ça, pas moi qui déraille complètement. T’as mis où mes affaires ? Que je crache, les deux bras entre le matelas et le sommier.

Si t’étais innocente, tu serais pas dans MA chambre ! Tiens, voilà où tu peux te la mettre ta présomption d’innocence à la con. Elle ne vaut rien quand on est coupable. Et puis, au tribunal Adriana Escamilla, on est forcément coupable parce que le jugement n’arrive que lorsque les preuves sont accablantes. Elle doit aussi être plutôt douée en informatique pour avoir réussi à désactiver la carte qui me permet l’accès à ma chambre. Quelle meilleure option que de s’approprier le logis de quelqu’un, désactivant ses droits et accès ? Le crime du siècle ! Dans un hôtel au Mexique, en pleine période de Spring Break. Bien sûr. Tout me semble complètement logique alors que ce n’est pas vraiment le cas, je le sais bien. Et quand je pars à la recherche de mon bullet journal, je lève les yeux à sa réflexion. Bah… oui ? N’a-t-elle pas cet outil artistique qui me permet d’être carrément organisée et de ne rien oublier ou manquer ? J’ai besoin de noter mon heure de retour, de vérifier les horaires de mes vols et… non, c’est juste mon point d’ancrage avec la réalité et j’ai vraiment besoin de cela maintenant. Pourquoi ? Parce que je commence à paniquer. Est-ce que je suis vraiment dans la mauvaise pièce en train d’harceler cette pauvre fille qui n’a rien demandé ? Je le crois bien et vraiment, mes tripes se retournent, souhaitant me convaincre que tout va bien. Je lève le visage vers elle et lorsqu’un verre d’eau froide se déverse sur ma tête, je fais un bon, me redressant rapidement. Puta ! Que je beugle , sentant l’eau couler le long de mon cou mais surtout de mon dos, chose que je déteste au plus haut point. Je la dévisage et frissonne alors que l’eau coule toujours plus bas et humidifie mes vêtements. En tout cas, c’est un léger réveil, un callback, aussi fort qu’une claque. Essayes même pas de me toucher parce que ça va pas bien se passer pour toi ma grande. Je retrouve presque mes esprits et ça ne va pas être beau à voir. Cela fait longtemps que je ne me suis pas battue, mon père n’aimerait pas cela mais là, je me fous bien de tout cela. Bon, tu m’expliques ce que tu fous dans ma chambre, à vider des verres sur ma tronche ? Et après un nouveau frisson, je retire mon haut, ne supportant pas le contact du tissu mouillé sur ma peau chaude.

Cela me semble impensable que je sois au mauvais endroit pourtant, tout me montre que c’est moi qui suis en tort et elle qui a raison. Seulement voilà, je ne suis pas quelqu’un qui fait des erreurs alors je refuse de me rendre à l’évidence que je suis une intruse ici et que je dois passer pour une nana complètement hystérique. L’alcool me pousse à continuer mon petit cinéma, à chercher mon bullet journal sans lequel je ne voyage jamais mais je ne le trouve pas. C’est le destin et rien d’autre. J’ai du le mettre ailleurs parce que Matian connaît mes cachettes mais je suis incapable de me souvenir quel est ce lieu. Olala, ça va être la galère pour demain. Le trouver, finir mes valises qui… Où sont mes valises ?! Elle est forte la blonde ! Elle a réussi à tout planquer pour que l’illusion soit parfaite. Il faudrait que je lui demande comment elle a pu penser à tout cela. Est-ce qu’elle a, elle aussi, un journal où elle coche les étapes à ne pas oublier ? Est-ce que l’on se ressemble plus que ce que je pouvais imaginer ? Non. Quand le verre d’eau se vide sur mes cheveux, je peux dire que non. Je ne supporte pas ce manque de respect. Si j’avais envie de me faire bâcher de la sorte, j’aurais appelé mon père et il se serait occupé de me passer un savon. Sa fille, ivre ?! Quelle honte ! Et toi t’es une criminelle alors franchement, verse le contenu du seau et moi, j’te balance le seau ! Bien sûr Adriana, tu as raison, donnes le contenu total de ton plan à ton agresseuse comme ça, elle pourra tout défier avant même que tes neurones communiquent entre eux. Sa réflexion me fait rouler des yeux, ce qui me fait mal au crâne, et me concentre sur elle, sur ma tenue et sur le fait que tout tourne autour de moi. La chemise balancée sur le siège un peu plus loin, je pose les mains sur mes hanches et soupire fortement. 483. Vous connaissez l’album Zimmer 483 de Tokio Hotel ? Bah c’est le  même numéro ! Et c’est comme ça que je m’en souviens, grande folle fan de ce groupe allemand. Et c’est clairement où je suis. Que je lance rapidement, passant une main dans mes cheveux, dégoutée de l’eau qui s’y trouve. Toi je suppose que t’as pas de chambre et ton but c’est de squatter toutes les chambres vides ! Accusatrice, une fois encore. Pour une avocate, la présomption d’innocence semble être bien loin de moi. Tu m’espionnes, c’est ça ? T’as regardé le moindre de mes faits et gestes pour savoir que j’étais pas là ?? Creepy!!