Je ne peux pas m’en empêcher. Lorsqu’elle me demande si je suis chez moi, après que je lui ai confié à demi-mots que nos ébats me manquent, j’ai cette petite lueur d’espoir dans le regard. J’ai approximativement quinze secondes pour l’imaginer passer la porte et se dévêtir, avant que la réalité me rattrape et que je tombe de haut. Il n’est en aucun cas question de se rejoindre pour se retrouver, mais bien pour oublier parce que sa sœur est occupée à vivre un cauchemar. Et égoïstement, je ne peux m’empêcher d’être déçu. Grand naïf, Casper Valentin. J’en soupire, avant de répondre que je me mets en route pour la rejoindre.
Vingt minutes plus tard, le uber me dépose devant le queer lips dont j’observe l’entrée, septique. C’est vraiment dans un bar gay, qu’elle a choisi de noyer sa peine ? Je ne m’attarde pas sur la question et pénètre à l’intérieur, mon regard balayant machinalement la salle pour la trouver assise à une table, seule. « Hey. » Je souffle, une fois à sa hauteur, et écrase un baiser sur sa tempe avant de prendre place en face d’elle. Ma veste ôtée, je tends le bras sur la table pour trouver sa main que je serre entre mes doigts. « Comment elle va ? » Question con, vu le topo qu’elle m’a dressé par message. J’arrête le serveur et passe commande, avant de reporter mon attention sur la brune dont je n’ai pas lâché la main.

probablement la deuxième bière déjà entamée. ou la troisième. t'as arrêté de compter. quelle importance ? l'attente demeure insupportable. nullement réputée pour ta patience. l'inquiétude seule qui guide tes pensées. pensées assombries à mesure que les minutes défilent. l'esprit qui s'égare, empruntant un chemin obscur alors que tu te mets à imaginer la scène. celle où tu retrouverai l'enfoiré qui avait osé poignarder ta soeur. celle où tes poings haineux s'abattraient sur ce visage déformé par la violence. envie démordante de frapper quelqu'un. ou quelque chose. n'importe quoi. le sang chaud qui circule dans tes veines et qui augmente considérablement ton rythme cardiaque. un seul regard de travers et tu partais au quart de tour. tant pis pour la victime. états d'âmes qui s'apaisent dès lors que sa voix te parvient. le laissant venir t'embrasser et se placer face à toi. — heeey... bof les médecins ne savent pas encore... on pouvait pas aller la voir de toute façon et j'avais pas envie de rester à l'hôpital. souffle contrarié qui filtre tes lippes, les opales attristées qui se plantent dans les siennes. ta main devenue désormais otage des siennes. contact qui t'adoucit, instantanément. — encore désolée de t'être fait déplacer... c'est moi qui t'invite d'ailleurs t'ajoutes précipitamment, tendre sourire qui étire tes lèvres, le serveur qui faisait déjà demi tour.

D’habitude, c’est elle qui vient apaiser mes tourments. Celle qui m’aide à noyer mes peines ailleurs que dans l’alcool. Aujourd’hui, les rôles s’inversent et j’espère que Jade est consciente que je ne suis pas la meilleure personne si elle espère quelqu’un qui la freine un peu dans sa consomation. Au mieux, je peux l’accompagner et la mettre dans un taxi si je suis encore sain d’esprit au moment de quitter les lieux. Mais je pense que c’est présicément pour cette raison que c’est vers moi qu’elle s’est tournée. Peut-être, aussi, parce que la jeune femme savait que je n’aurais pas mieux à faire. Plus de carrière, plus de femme, très peu de potes à déclarer… Mes soirées, comme mes journées, sont rarement chargées.« Je vois. Quand est-ce que tu en sauras plus ? » Parce que ce serait dommage de se pointer à l’hôpital complètement bourrée, alors que sa soeur sort de salle d’op’. Je soupire, contrarié de la voir dans cet état, et hausse les épaules lorsqu’elle me présente ses excuses. N’importe quoi.  « Tu plaisantes ? Tu veux compter le nombre de fois où c’est toi qui est sortie pour m’accompagner ou venir me repêcher quelque part ? » Plus d’une, alors Jade n’a vraiment aucun remerciement à me faire parce qu’elle est celle des deux qui a besoin d’une bouée de sauvetage, pour une fois. « On sait qui lui a fait ça et pourquoi ? » Je demande et sort ma carte de crédit sur la table en lui faisant un signe négatif de la tête, avant même qu’elle râle.

plongée dans tes réminiscences, les souvenirs confus que tu tentes de remettre en place. évènements que tu retraces en boucle dans ton cerveau éreinté. les pensées s'assombrissent à mesure que le nombre de grammes alcoolisés qui circule dans ton corps grimpe. ton corps las et fatigué de ces nombreux rebondissements de la semaine. quand aurais-tu enfin le temps de te reposer ? — pas ce soir. on m'a dit de repasser demain... du coup j'ai prévu de passer ma nuit ici, sympa comme programme non ? le visage relevé pour appuyer ton regard amusé. avant de baiser les yeux sur ce geste qu'il t'offrait. ses doigts entrelacés dans les tiens. douce caresse qui anesthésiait tes sens. étanchant ta colère et ta frustration. murmures au loin inaudibles, inintéressants. seul son visage t'importait. seule sa présence méritait considération. — et je suis en train de faillir à ma mission. parce que je vais sûrement te demander de m'accompagner dans ma descente. je m'excuse d'avance si mon moi bourrée le fait. j'ose croire que tu seras suffisamment fort pour me dire non... sourire taquin qui se distingue sur tes lèvres. rictus qui s'efface instinctivement lorsqu'il évoque un potentiel coupable. — si je le savais, je ne serai pas ici... mais je compte bien le retrouver et lui faire regretter d'avoir touché à ma famille... image réjouissante de tes poings qui s'abattent sur ce visage dont tu ne connaissais pas encore les traits. image qui n'attend qu'à se concrétiser. — je paye le prochain verre alors. merci d'être venu casper... ça compte que tu sois là...

« Elle va avoir besoin de toi, en forme. » Dis-je dans un murmure, ne souhaitant pas non plus lui dire clairement de rentrer chez elle se reposer. Ce n’est pas moi qui vais l’empêcher de noyer sa peine mais je ne souhaite pas non plus laisser Jade se pointer dans un état lamentable à l’hôpital. « T’es pas ma mère, t’en fais pas pour ça. » La brune a beau veiller sur moi trop souvent, il n’y a pas de contrat. Rien qui l’oblige à être ma bonne étoile, alors que je ne fais aucun effort de mon côté. Mes doigts serrent doucement les siens lorsqu’elle me dit croire en moi et ma capacité à dire non, alors que nous savons tous les deux que ça ne risque pas d’arriver. C’est une manière de m’excuser, en avance, de ne pas pouvoir le faire mais je reste persuadé que c’est précisément pour cette raison que Jade a fait appel à moi. « Il y a la police pour ça, Jade. Ne va pas te mettre en danger inutilement. » Je peux comprendre sa rage contre l’inconnu en question - en espérant que ça en soit un et non quelqu’un qu’elles connaissent - mais faire justice seul ne paye jamais. Sa sœur est sur un lit d’hôpital et je refuse qu’elle soit la suivante. « Tu sais que je le serai toujours. » Là, pour elle. Nos ébats ont beau avoir pris fin il y a quelques semaines, Jade n’en reste pas moins une des personnes les plus importantes à mes yeux, pour qui je répondrai toujours présent. « Encore plus lorsque tu payes les tournées. » J'ajoute avec un sourire amusé pour tenter d'alléger un peu l'atmosphère.