Un incendie en centre ville, nécessitant l'enquête approfondie de son service, et Dwayne s'retrouve au milieu des décombres carbonisés, à chercher un indice sur la voie d'la vérité. Soixante minutes sur place, quelques échantillons prélevés; et déjà, l'intime conviction que l'origine n'est pas accidentelle. A Boston, la chasse au pyromane suit son cours; mais c'jeu du chat et d'la souris commence sérieusement à l'agacer. Frustré, en totale perte de patience, le blond rejoint son véhicule et s'empresse de jeter la sacoche sur la banquette arrière; chassant de plus sombres pensées tout en claquant la portière. Un soupir, la paume de main s'écrase sur la carrosserie et l'pompier finit par s'asseoir, paupières closes pour mieux réfléchir. Et c'est là qu'il l'entend, ce son quasi-imperceptible pour quiconque ne tendrait pas l'oreille; ce bruit étrange auquel il n'aurait prêté attention, s'il n'avait pas posé son cul sur l'trottoir. La tête pivote, les yeux scrutent les alentours mais Dwayne ne repère rien d'anormal; rien qui ne puisse expliquer c'qu'il vient d'entendre. Ca l'intrigue, suffisamment pour qu'il ne laisse pas tomber; sourcils froncés alors qu'il tente de suivre l'écho, si lointain qu'il ne peut en déceler l'origine. Le lien n'aurait sans doute jamais été fait, si ses rangers n'avaient pas accroché l'rebord métallique de cette plaque d'égout. Sursaut d'lucidité et Dwayne s'allonge sur la chaussée, oreille plaquée contre les rainures; attention focalisée sur l'souterrain. Ca cancane là-dessous.  

T'y crois toi ? Que j'me retrouve dans une situation pareille, encore une fois. Ces derniers temps, j'dois dire que ça en devient lassant. J'ai perdu l'sommeil, déserté les temps d'repos, j'me concentre corps et âme dans une quête qui n'en finit pas. J'me perds un peu plus, pas à pas. Ca s'voit pas vraiment, parce que mon sourire a l'pouvoir de berner les gens; mais j'suis en perdition. Sur l'point de m'effondrer. Au point d'me rattacher à un bruit suspect, rien de foncièrement avéré. J'me raccroche à c'que je peux, à c'que je trouve; tu comprends ? Même s'il s'agit d'un animal blessé au fin fond d'une canalisation. Je reste actif, j'refuse de fermer les yeux. Souffler, ça en devient douloureux. Et j'ai l'air stupide, j'le sais bien; allongé sur le goudron, sans aucune apparente raison. Mais j'suis persuadé qu'il y a quelque chose là-dessous, un truc pas clair dans les égouts. Pas d'chance pour toi, d'être la première à m'trouver ainsi. J'ai besoin d'aide, c'est clair. Mais pas dans l'sens que tu imagines.
" Amenez moi la barre halligan, à l'arrière de mon véhicule. " tu peux pas l'rater, c'est l'seul qui possède des gyrophares sur le toit. La barre en fer s'trouve au pied d'la banquette arrière; elle non plus, tu peux pas la manquer. Aucune formule de politesse, j'passe clairement pour un con sans manières; et peut-être que c'est l'image qui me correspond le mieux, finalement. " On dirait des canards. " que j'ajoute, sans savoir si j'le dis comme ça ou si je m'adresse plutôt à toi. Peut-être que j'hallucine, que j'me trouve une excuse pour pas rentrer chez moi. Mais c'qui est certain, c'est que j'veux en avoir le coeur net; sans ça, je sais que je ne partirais pas.  

Les canards ne vivent pas dans les égouts. J'le sais, et j'imagine que c'est, également, ton cas. Pourtant, ils y sont, en c'moment même. Sans que je n'comprenne pourquoi. Ni comment ils sont arrivés là. C'est comme un signe, envoyé par je ne sais qui. Mettre en évidence ma détresse, le ridicule de mon existence. M'faire comprendre qu'à ma vie, il manque quelque chose. De fondamental. Une femme, peut-être. Une raison d'poursuivre le chemin. A ce stade, j'en sais trop rien. J'suis aussi perdu qu'ces canards, ça en deviendrait presque amusant. Enfin, pas pour toi, visiblement. " Oui, des canards. " je répète, à en perdre patience. J'suis pas dans un bon jour, c'est pas contre toi. Mais j'ai besoin qu'ça bouge, qu'on fasse quelque chose. J'dois occuper mes mains, autant qu'mon esprit, en allant secourir.. Des animaux, des gens; dans l'fond, peu importe.

T'es lente à la réaction, qu'on s'le dise franchement. Heureusement qu'on s'connait pas, et qu'tu passes seulement par hasard. Dans une autre configuration, j'aurais poussé une soufflante. Tu finis ton café, alors que je m'acharne à faire bouger cette plaque, en passant mes doigts dans les rainures. J'tire comme un fou, mais l'acier n'bouge pas d'un poil. Et ça m'gonfle, de pas aller plus vite. Il faut qu'j'aille voir, tu comprends ça ? Ca m'prend aux tripes, c'est un besoin. Finalement, j'me rends compte que je t'ai même pas entendue partir. C'est l'son d'la barre au sol, qui me ramène au présent. Mon regard se relève, j'sais pas trop de quoi j'ai l'air, mais ça doit être moche à voir. Des océanes sans vagues, un coeur sans flamme; tu parles d'un homme. J'fais pâle figure. " Vous l'savez très bien. " je comprends même pas cette question, pour être honnête. Tu connais déjà la suite, tu vas peut-être même jouer dedans. Barre entre mes mains, extrêmité coincée dans une rainure; un mouvement d'levier et la plaque saute hors de son emplacement, sur la chaussée. " Vous entendez ? " j'commence à douter de mon propre jugement. Je n'perçois plus aucun son venant d'en bas. Comme si j'avais tout inventé. Comme s'il ne s'agissait que d'une plaisanterie, un mensonge créé par mon esprit. Enfin, j'ai le loisir de t'observer. J'avais pas pris l'temps jusque là, d'faire attention à ta personne. J'devine sans mal que tu dois être charmante, en version plus souriante. Tu m'semble être une femme de caractère, mais je n'suis personne pour juger, et surtout pas en fonction d'une apparence. " Si vous venez.. J'vous paie un café. Un vrai, pas d'la vulgaire lavasse. " j'ai rien d'autre à proposer. Ton gobelet sur le goudron, m'a sauté aux yeux. J'peux pas faire mieux, j'ai pas vraiment d'argument en ma faveur. " C'est ma meilleure offre.. Pour l'instant. " j'suis pas en position de force, ça se voit. J'te demande juste une chance, de pas m'prendre pour un taré. J'fais au mieux, mais en c'moment, c'est compliqué.

C'est une descente aux enfers, ni plus ni moins. C'te situation n'est qu'une métaphore de ma propre vie. J'ai sûrement abusé sur la caféine, abusé d'la nicotine, abusé de l'insomnie et des pilules magiques, pour n'pas fermer les yeux. Mais l'constat m'explose au nez: c'est pas franchement mieux. Non, c'est même pire. J'ai plus envie d'réfléchir, plus envie d'me poser de questions, j'suis à côté d'la plaque, au sens littéral et figuré. Mon cerveau m'fait probablement entendre quelque chose qui n'existe pas. Ouais, j'débloque, c'est l'mot. Mais j'sais pas faire autrement. A part m'abrutir sur l'travail, passer des heures interminables au bureau, j'sais plus quoi faire. La journée est terminée, j'devrais rentrer voir mon fils. J'devrais profiter d'ces moments avec lui, parce qu'il m'reste plus grand chose d'autre. Mais non. J'suis là, comme un con.

J'vois bien, dans ton regard, dans ta façon d'te comporter, que tu m'prends pour un type en train d'halluciner. T'as raison, mais j'peux pas l'admettre. J'ai besoin d'y croire, besoin d'trouver quelque chose pour avancer. Je tombe, ça s'voit pas ? J'veux dire, c'est pas évident ? Non, peut-être pas. Mais ça va pas tarder. Mes attaches s'effondrent les unes après les autres, j'crois même que tes réactions y sont pour quelque chose. T'es qu'une putain d'inconnue, mais j'attends quelque chose de ta part. Un signe, j'en sais rien. Une nouvelle illusion, une voix pour m'dire que tout ira bien. " Une blague.. " je répète, comme pour intégrer. Et j'ai ce sourire, stupide, comme si c'était censé. La conversation, la rencontre; le bordel dans ma tête. J'hésite, entre l'envie d'rire et celle de pleurer. Dans tous les cas, ça risque de t'faire fuir. Si toi tu pars... J'me demande: qui restera ? " Je n'vous veux aucun mal. " c'est pas un piège, sauf pour moi. Et j'crois qu'à cet instant, mon corps a voulu t'faire entendre raison. T'permettre de comprendre que chez moi, ça n'tourne pas rond. Une goutte. Puis une deuxième. Du sang, bien évidemment. La barre halligan m'échappe des doigts, et réflexe, j'porte ma main à mon nez, comme pour m'essuyer. " Ca déconne putain. " à l'intérieur. J'suis épuisé, autant de corps que d'esprit; sauf que cette fois, l'cran d'arrêt a été enclenché. " Je m'appelle Dwayne. " les informations sortent pas dans l'bon sens, mais j'maîtrise pas. D'ailleurs, j'me fiche bien de repeindre l'asphalte. J'en ai rien à foutre de rien, j'voudrais simplement obtenir la paix.

Il fallait qu'ça tombe sur toi. J'en suis désolé, tu sais, que tout explose aujourd'hui, à tes pieds. J'ai jamais demandé à qui qu'ce soit la moindre assistance, d'ailleurs j'le fais pas vraiment non plus aujourd'hui. C'est mon corps; c'est seulement lui, qui me trahit. Parce que là-haut, dans ma tête, j'continue mon manège, à m'répéter que tout va bien, que c'est simplement.. Normal ? Mais j'suis en lambeaux; voilà la vérité. Mes proches peuvent pas m'aider, alors peut-être qu'une inconnue... Tu parles, c'est marqué sur ta tête, qu'tu peux rien pour moi; j'suis foutrement seul, tu vas pas bouger, ne serait-ce qu'le petit doigt. Je sais pas c'que j'espérais, à faire mon cirque au milieu d'la chaussée; peut-être qu'on remarque que j'suis mal en point, que j'vis clairement entre parenthèses depuis des années.

J'aimerais me relever, trouver la force d'avancer avec fierté; mais à dire vrai, la vengeance n'est pas un motif suffisant pour qu'le coeur poursuivre sa symphonie. Deux secondes durant, j'imagine qu'tu vas me sourire, prononcer les mots que j'souhaite entendre; d'une certaine manière, peut-être même, m'comprendre. Sauf qu'on y est pas, c'est pas un conte de fées avec des formules magiques; t'es bien réelle et t'as probablement d'autres chats à fouetter. Taylor; j'devine qu'il s'agit de ton prénom, ou du moins, j'imagine. J'esquisse un mince sourire, équivaut à un remerciement silencieux, pour c'mouchoir que tu m'offres; geste pratiquement anodin, que je relève tout d'même; déjà mieux que rien. " Non. C'est juste que.. J'fuis mes responsabilités. J'arrive même plus à rentrer chez moi. " tu le vois, l'problème ? Il est là. J'assume même pas d'être papa, quand bien même Jared est un fils génial. " J'avais besoin d'un prétexte.. Vous comprenez ? " pour travailler, rester actif, ne pas dormir. Eviter les sourires d'mon fils. Mais j'puise dans les réserves du possible, et mon corps en a marre de charger. Alors, d'un regard plus assuré, j'te fais savoir combien j'peux être reconnaissant; que tu m'aies empêché d'finir là-dessous, parce qu'à coup sur, je serais jamais remonté.