Un simple contrôle de routine. Affalé dans son siège dans la salle d’attente des urgences du Massachussetts General Hospital, Austin guette l’arrivée de l’infirmière qui s’occupera de lui. Bras croisés, il regarde sans intérêt l’émission diffusée sur l’une des télés de salle. Il lève les yeux au ciel lorsque l’un de ses voisins se met à geindre – dieu ce qu’il déteste les hôpitaux. Les urgences accueillaient des phénomènes qu’il regrette déjà de côtoyer. Au fond, attendre ici était plus pénible pour lui que la blessure qu’il s’était infligée pendant l’été. L’accident bête alors qu’il transportait des colis pour le compte d’un client ; plus de peurs que de mal. Austin s’en serait voulu si sa blessure l’empêchait de faire du basket, parce que ce sport, c’était sa vie.

Lorsqu’une secrétaire appelle son numéro, il se lève d’un bond. Les hôpitaux l’angoissent et plus vite il sera sorti d’ici, plus vite il retrouvera sa liberté. Dans sa chambre, on lui dit d’attendre – encore. Alors Austin, il s’ennuie. Pire encore, il s’emmerde. Les secondes passent comme des heures. Il s’allonge dans le lit, s’étale et fait comme chez lui ; à deux doigts de mettre les pieds sur la table et de régler la petite télé sur un match de la NBA. Il sort son téléphone, navigue sur des réseaux sociaux où il n’a aucun ami, seulement des conquêtes.

Après d’in-ter-mi-nables minutes, une infirmière se présente, Austin la dévisage, restant confortablement installé dans le lit qu’il s’est approprié. « ‘Jour ». Enfin. Quelqu’un. Il la regarde de bas en haut. Si toutes les infirmières étaient aussi canon pensa-t-il, il comprenait pourquoi la salle d’attente de l’hôpital débordait de monde.

« Ouais », fait-il simplement sans prendre la peine de se redresser ou de regarder l’infirmière, trop occupé à montrer qu’il s’ennuie. Détestable alors qu’il n’a prononcé qu’un seul mot, Austin est l’archétype de ces hommes persuadés que le monde leur appartient, presque fiers de paraître aussi détachés de tout si ce n’est d’eux-mêmes. Il hausse un sourcil, avant de pivoter vers la jeune femme. Il la dévisage de bas en haut. « Non. J’m'en serai souvenu je pense » ajoute le jeune homme, se retenant de pas afficher un sourire carnassier. Parce que lui, il n’avait pas la mémoire des visages non. Il avait plutôt le souvenir des corps et des tissus, des formes qu’on lui donnait à voir ou qu’il croyait deviner. « Enfin on s’est p’t’être croisés il y a un mois quand j’suis venu », à cause de sa blessure. Austin hausse les épaules, « mais comme je vous ai dit, j’me serai rappelé de vous je pense ».  Austin continue son inspection ; il détaille le visage de l’infirmière, de la couleur de ses iris jusqu’aux reflets de sa crinière blonde. « Pourquoi ? J’ai une tête qui vous revient ? ». demande-t-il curieux.

Il se lève ensuite. Habitué des contrôles de routine, il connait la procédure autant que son infirmière. « Alors. Ça va mieux. Je n’ai plus aucunes douleurs », commence Austin en anticipant les éventuelles questions de la blonde, énumérant chacune de ses réponses à la manière d’une liste. « j’ai r’commencé à porter des trucs, à faire de l’exercice. J’pense qu’on a fait le tour ? ». Il la toise, espère qu’elle a prit en compte ses remarques pour ne pas avoir à se répéter. « Je suppose que j’peux y aller ou alors faut que j’vous retire mon t-shrit ? » ajoute le gamin sans la quitter des yeux. Rictus provocateur aux coins des lèvres, il porte sur son visage cet air de « petit con » qu’il semble porter sans mal.

Les remarques de la blonde fusent sans atteindre l’oreille distraite d’Austin. Hagard face aux remarques et aux sermons, il est devenu maître dans l’art d’entendre uniquement ce qui l’intéresse. « Pourtant j’pense que j’me serai aussi souvenu de votre visage », parce que certes, la plastique des femmes l’intéressait au plus haut point, mais il aimait également les jolis visages.

Sans se faire prier, Austin retire son t-shirt, exhibant avec fierté un torse que le sport et les tatouages ont sculpté. Pourtant, contrairement à ces coqs qui bombent le torse dès lors qu’une femme s’approche de trop près, Austin se contente d’attendre. Parce qu’il n’en est pas rendu là, parce qu’il garde ses puérilités pour celles qu’il peut mettre dans ses draps. Pourtant avec son infirmière, le courant ne passe pas et Austin n’a pas besoin d’être devin pour deviner qu’ils ne finiront nulle part ensemble. « J’sais que ça a l’air d’aller, c’est ce que j’vous dis » rabache-t-il en levant les yeux au ciel. Après tout, il est le mieux placer pour dresser son propre diagnostic. Qui d’autre que lui ne le connait aussi bien ? Les mains froides de l’infirmière continuent leur œuvre sur son corps. Il se surprend à frissonner. « Vous avez les mains froides … », constat inutile pour se faire entendre, pour avoir quelque chose à dire alors qu’il peut se taire, tout simplement. Son regard qui erre aux alentours, qui scrute des détails inintéressants autour d’eux ; signe d’un ennui conséquent alors qu’il a l’impression de perdre son temps. « Bon si tout va bien, y’a rien qui m’retient ici non ? » Il va pour se relever, attrapant au passage son t-shirt qu’il enfile. « Après j’en sais rien, c’est vous la pro ». Il hausse les épaules avec dédain.

Une énième fois, Austin hausse les épaules. Médecin non, mais il connaissait son corps, et il avait déjà vu des vidéos YouTube sur « les plus grandes blessures du sport » donc forcément, il s’y connaissait un peu. « J’ai pas le choix d’être là », parce sans cette visite de routine, il ne peut récupérer le document qui certifie qu’il est de nouveau apte à pratiquer le basket. Or ce sport, c’était toute sa vie. Une véritable drogue qui le rendrait addict. Grâce à elle, il s’accrochait ; à ses rêves, à ce qui le faisait maintenir la tête hors de l’eau ; à ces instants hors du temps où sont esprit n’était pas accaparé par la survie. Il serre la mâchoire, fulmine contre un système définitivement pas fait pour lui.

Les mirettes du garçon captées par le bout du papier qu’elle soulève, comme pour le narguer alors qu’elle le sait déjà à cran. Austin le regarde avec envie avant de froncer les sourcils. « C’est quoi ça, vot’ numéro de téléphone ? » qu’il lance, sévère, incapable de rester sérieux deux secondes. Non, il préfère se cacher derrière des piques et des vannes, comme effrayé à l’idée d’affronter quelque chose d’un tant soit peu sérieux comme une blessure par exemple. Son regard s’assombrit mais il se lève, l’air las. Il enfile son t-shirt sans demander son reste, il prend le papier et s’en va. Enfin libre.