Lundi 7 Juin - Après-midi

Je ne sais pas pourquoi je l’avais prévenu. J’aurais du fermer ma gueule, ne pas envoyer de message et le laisser découvrir mon état ce soir, lorsque je serais rentré. Au lieu de cela, j’avais paniqué. Le contrecoup de l’accident, de l’adrénaline et tout ce que cela pouvait entrainer dans mon quotidien. L’angoisse avait suivi, la peur qu’il soit dehors, qu’il puisse lui arriver quelque chose, celle de ne pas être capable d’intervenir à temps, de vivre une nouvelle fois loin de lui, rongé par la culpabilité d’avoir échoué. Mais finalement, il était sorti, à cause de moi. C’est clair que je n’allais pas m’en remettre s’il lui arrivait quelque chose maintenant. Je guette mon téléphone, chacun de ses messages. C’est tout ce qui me retient de céder à la panique totale, c’est tout ce qui repousse la crise d’angoisse qui me tends les bras, tord déjà une partie de mon esprit. Dernier message reçu, je remercie Olivia, récupère mes affaires et quitte l’appartement. Elle s’aurait se débrouiller avec la petite boule de poil désormais. Même si je n’allais pas oublier de lui redemander des nouvelles. Je descends les marches quatre à quatre, bien trop pressé de retrouver Petit Prince, de savoir qu’il va bien, alors que je devrais plutôt m’inquiéter pour moi, de ce que j’avais subis, mais ça n’était pas ma priorité. Si ça l’avait été, je ne me serais jamais vautré. Lorsque je l'aperçois enfin, je l'attrape par les bras, le détaille. « Ca va, tu n'as rien ? »

@Johan de Monpezat

Donc moi, je me fais engueuler quand je file sans rien dire mais lui par contre, il se vautre avec sa moto et faudrait que je reste sagement chez moi. Je pense qu'il ne me connait vraiment mal. Ou il continue de rester dans le déni. Dans tous les cas, j'avais dû lui cracher le morceau et la colère entremêlée d'une réelle quiétude s'était nichée dans les entrailles. Je n'avais pas perdu de temps. Manteau enfilé, adresse obtenue, un taxi, qui semblait encore plus long et difficile à obtenir. Je ne sais pas dans quel état, j'allais le récupérer. Était-il en sang ? Devions nous aller à l'hôpital ? Enfin j'arrive à l'adresse indiquée. Je saute presque de la voiture donnant le pourboire. Et je crois que j'entre dans une nouvelle dimension. C'est l'accidenté qui m'ausculte. Tu te fous de ma gueule And' ? Je le repousse gentiment. Ce n'est pas moi qui suis tombé en moto alors cesse tes conneries. La peur dans le gosier. Il s'est passé quoi ? Tu pensais à quoi ? Merde Anders, t'es couillon ou quoi ? Je le regarde et me fait violence pour ne pas le prendre dans mes bras. N'exprimer aucune marque d'affection. La moindre photo pourrait enflammer tout le Danemark. Et j'ai pas envie qu'il finisse comme feu Diana. Ou viré au plus simple. Faut aller à l'hôpital ?

Il n'a pas l'air d'aller mal, en tout cas, pas physiquement. Pour le reste, cela semble plus difficile à discerner dans mon état. Je me fais repousser avant d'être accablé de reproches. Pourquoi ? J'ai dû mal à le comprendre sur le moment, à comprendre que le privé a pris le dessus sur le professionnel, y compris de son côté. Certes j'étais tombé, mais j'allais bien - en tout cas j'avais connu pire - et j'avais encore un tant soit peu de lucidité, alors que lui, il s'était mis inutilement en danger pour me rejoindre. D'accord, ça me touchait, dans mon coeur, mais dans ma tête, ça créait un chaos que je n'étais pas en état de gérer. Je le sens aux tremblements qui commencent à apparaître dans mes mains, traduisant l'état de nervosité dans lequel j'étais. « Je suis juste tombé Johan. J'ai pas fais le con. » Ce qui pouvait être le plus surprenant. « Il... Y a un jeune chien qui s'est jeté sous mes roues... Il fallait que je l'esquive. » Ca pouvait paraître bête comme ça, mais je ne voulais pas me dire que j'avais à nouveau causé la mort d'un autre être vivant. Je ne pouvais plus. Je le regarde, hausse légèrement les épaules. J'avais un peu mal partout, mais je ne crois pas que j'avais quoique ce soit de cassé. « Non, je pense que ce soit utile. Une douche et quelques pansements, ça devrait aller. »

L'excuse est valable. Même si ça me surprenait de lui. Depuis quand était-il sensible à la cause animale ? Y'a des jours où je ne le connais vraiment pas. L'avais-je connu en vérité ? Je ne sais pas. Ou m'étais-je efforcé de tout oublié le concernant ? Il m'assure et insiste pour me dire qu'il va bien. Eh bien, tu sais quoi, on va aller vérifier sous la douche. Je siffle pour attraper un taxi, direction l'atelier. Hésité entre l'appartement ou la currier. Mais l'envie d'être entre nous - discrétion oblige - s'était imposé dans l'esprit. Pourquoi tu étais dans les parages ? Y'a un vétérinaire ici ? Dans le taxi, je ne peux m'empêcher de le détailler, posant ma main sur sa cuisse avant de la retirer aussitôt. En public, jamais. On arrive enfin après, quelques minutes. Escaliers grimpés, aussi vite que mon binôme le peut et une fois la porte refermée, c'est un baiser qui l'accueille. Empli d'une véritable peur et d'un soulagement de le savoir sauf. Plus jamais tu me refais pas, ou je t'étrangle. A la douche.

Inquiétude palpable dans l’intonation de sa voix, malgré la pointe de colère qui en ressort également, je prie intérieurement pour ne pas avoir de mauvaise surprise sous la douche car il n’allait pas me louper. Je le laisse interpeller un taxi pour nous ramener, à ma grande surprise, à l’atelier, pas à la maison. Mais je laisse faire. Aucune envie de débattre sur la destination tant que je pouvais prendre une douche et dormir une heure ou deux. Je m’y installe difficilement, mes côtes me faisant pas mal souffrir, expliquant la raison de ma présence dans le quartier.  « Ouais. Enfin, je connais une étudiante vétérinaire dans le coin. Je lui ai amené le chien. Elle saura s’en occuper. » Tête contre la vitre, sa main quelques instant sur ma cuisse, qui aussitôt enlevé, laisse ma jambe tressauter de nervosité, j’essaye de lutter contre le coup de émotions. Tout va bien. Johan va bien. Que je me répète. Arrivé à l’atelier, je le laisse m’accueillir dans une autre ambiance, plus douce que nous permet l’intimité. « J’suis désolé Johan. Mais tu sais quand même que si j’avais pu éviter de me vautrer, je l’aurais fait ? » Front collé au sien quelques secondes, je me recule pour obéir à sa demande. « J’y vais. » Je me retiens de rouler des yeux et l’entraine avec moi jusqu’à la salle de bain où je me déshabille sans pudeur pour constater les dégâts. Bien sûr, il y avait déjà ma lèvre fendue, mes côtes douloureuses, mon bras et ma cuisse légèrement éraflées. « Pas trop moche à regarder pour le moment ? »

Je le fixe, incrédule. Qu’est-ce que j’en savais de ce qu’il aurait fait ? Depuis que nous etions devenus intimes, j’avais la sensation - agreable ? - de redécouvrir une autre personne. Moi qui n’avait de cesse de le fuir, entremêlés d’amour et de rancune, il avait presque campé comme un inconnu jusqu’à un certain temps. Alors non, je ne peux anticiper ses actes. Pas encore. Je me contente juste de hausser les epaules, loupant le vol de baiser quand il s’eloigne. Appetit feroce qui pulse dans les veines quand les orbes détaillent sa nudité. Il me faut de longues secondes avant que sa question soit traitée par mon cerveau. Alors que le second s’erige en sang. « Heu .. Non.. Tu es parfait .. J’ai envie de te mordre et bien plus » Je n’ose pas m’approcher, surtout quand je constate des bleus. « Lave toi puis on mettra de la glace. On s’occupera de ta levre ensuite. » Je détourne le regard pour paraître civilisé et non affamé dessiné par le froc tendu. « Tu as besoin d’autres choses ? »

Je n’arrive pas à voir l’étendu des dégâts sur mon corps par moi-même. Bien sûr, je soupçonne certaines blessures, à la douleur que j’éprouve dans les muscles, à la façon dont ma peau me brûle par endroit. Et puis il y toujours le sang grossièrement essuyé sous ma mâchoire, laissant des traces rouges au niveau de mon cou. Alors c’est sans pudeur que je demande à Johan d’énoncer certaines choses que j’aurais pu ne pas remarquer. De la même façon que je ne remarque pas combien il est sincère dans son compliment. Parce que dans ma tête, j’étais à mille lieux de ça. « C’est pas beau de mentir. Même si c’est gentil de vouloir me rassurer. » Parce qu’il était inconcevable pour moi de réussir à faire naître autre chose qu’un sentiment de pitié quand j’étais couvert de poussière, de sang et d’hématomes. « Non, ça va aller merci. » Je glisse sous la douche, ouvre le jet pour laisser l’eau sur ma peau et déjà nettoyer une partie de mon cœur. Eau qui se teinte légèrement, prouvant à quel point c'était nécessaire, je m’autorise le luxe de traîner un peu, pour laisser mon esprit lui aussi retrouver un peu de clarté, maintenant que le stress de l’accident - et celui de savoir Johan seul en ville - redescendait. C’est après de longues minutes que je me représente devant Johan, propre, et seulement couvert par mon pantalon. « Bon, à part ma lèvre, je crois que tout le reste est vraiment superficiel. Je devrais pas avoir trop de mal à m’en remettre. Mais je veux bien un peu de glace si tu as. » Je me laisse tomber dans le canapé en lui demandant, n’osant pas fouiller pour quoique ce soit ici. Je savais que c’était un endroit spécial pour lui, et je ne voulais pas lui retirer cette intimité.