Premier été à Boston. Il avait une saveur particulière, à la fois douce et amère. Ça avait été une drôle d'année, riche en rebondissements. La vie américaine, Harvard, Petit Prince. Tout ce que je connaissais, ou pensais connaître, avait été doucement chamboulé. La plupart pour le meilleur. Mais c'était seulement le début de mes vacances et elles me paraissaient déjà bien trop longues. L'ombre du tableau qui se dessinait doucement, cette sensation d'avoir été puni par Petit Prince. Deux semaines, ça aurait été raisonnable, juste pour changer un peu d'air, profiter un peu des destinations paradisiaques du Summer Camp. Faire quelques rencontres, m'amuser, rentrer. Mais le plan avait changé, avant cela, j'avais désormais deux semaines de vacances supplémentaires. Deux semaines qui, même si elles étaient un peu longues, étaient finalement moins difficiles à vivre que je l'imaginais. Parce que j'avais encore la possibilité de voir Petit Prince, contrairement à ce qui avait été prévu initialement. Alors je profitais l'esprit plus tranquille, moins angoissé à l'idée qu'il lui arrive quelque chose. Moins angoissé à l'idée qu'un mois loin de lui puisse exploser à nouveau notre amitié. Je profite donc de ces beaux jours pour sortir, prendre l'air, m'essayer à de nouvelles activités, entre deux excuses à trouver pour justifier auprès de ma famille que je ne rentrerais ni au Danemark ni en Angleterre, si ce n'était pour remplir mes obligations auprès de Petit Prince. Les discussions sur le sujet avaient pourtant été nombreuses, mais je ne me voyais pas passer plusieurs jours avec pour seule compagnie mes parents et mes sœurs. Même si j'allais sûrement devoir me faire une raison et accepter de faire un effort dans les prochains mois. Surtout après un si long silence de ma part. Mais je ne suis pas le seul à ne pas savoir donner des nouvelles régulièrement visiblement. Téléphone qui vibre dans l'après-midi à la réception d'un message, envoyé par un fantôme. Ou presque. Rendez-vous pris pour ce soir, en voilà une que je ne pensais pas revoir avant mon départ au Summer Camp.

J'attends la dernière minute pour me mettre en route, une glacière pleine de bières dans le coffre. En retard, mon téléphone ne tarde pas à sonner. J'aurais pu répondre avec l'option de la voiture, mais l'entendre rager sur ma messagerie à une saveur particulière. Une amitié vache, conflictuelle d'apparence, mais j'avoue, il y a un truc qui la rend différente des autres femmes que je fréquente. Et cette fois, ça n'a rien de physique ou sexuel. C'est autre chose. Mais ce quelque chose ne m’empêchera sûrement jamais de la faire chier. En tout cas je l'espère. Arrivé à proximité du Drink, je ralenti l'allure de la voiture, guette le trottoir sur lequel, je suppose, elle m'attend rageusement. Identifiée parmi les différentes silhouettes qui se dessinent à la lumière de la lune et des néons, je m’arrête à quelques mètres. Toujours soigner son entrée, surtout avec une personne comme elle. J'ai à peine le temps de me garer qu'un groupe d'hommes la détaille comme du gibier et se regroupe autour d'elle. Ce qui va me permettre de soigner encore plus mon entrée. Je m'approche, l'attire contre moi et passe un bras autour de ses épaules en déposant une bise sur sa joue sous les regards ahuris de ses prétendants. « Désolé pour le retard ma belle. » Grand sourire sur les lèvres j'attends que le groupe se dissipe, me laissant seul avec la jeune femme. « Décidément, qu'est ce que tu ferais sans moi ! » J'en fais peut-être un poil trop, mais je dois admettre que c'est tellement grisant. « Alors j't'ai manqué ? »

Plaisir non dissimulé à jouer les chevaliers servant alors que c’est mon retard qui l’a foutu dans la merde en premier lieu. Ca exaspère la jeune femme alors que moi ça me fait intérieurement rire. J’affiche un sourire à ses propos alors que je hoche la tête. Je savais très bien qu’elle n’avait pas besoin de moi pour régler ce genre de problème. Elle était capable de le faire seule, je l’avais déjà vu à l’oeuvre, mais bon, fallait bien que je l’emmerde un petit peu, avec les moyens du bord. Le groupe de charognard commence à s’éloigner, me laissant seul avec la jeune femme, ce qui aurait dû être le cas dès le départ. Mon bras relâche ses épaules alors que je m’apprête à tourner les talons pour retourner à la voiture, mais elle me retient, m’attrape par le col. Son clin d'œil me fout le doute. Elle comptait m’embrasser ou me foutre un coup de boule là ? Mes mains sur les siennes, je tente de la faire lâcher prise, mais son visage est déjà proche du mien. Trop proche à mon goût, mais finalement, aucune des options que j’avais imaginé ne se dessine. Non, elle se contente d’approcher ses lèvres de mon oreille pour me menacer. Ce qui est soit, était justifié. Je me détends et souris à mon tour en la voyant se reculer. « J’ai attendu des nouvelles pendant deux mois. Tu pouvais bien m’attendre cinq minutes non ? » Provocation peut-être un poil injuste, car j’étais certain qu’il y avait quelque chose de louche derrière ces absences, quelque chose du même style que celle que j’avais connu, et moi-même imposé à mes proches. « Ca va, fait pas ta diva, personne ne t’a agressé ou demander tes tarifs, donc tout va bien non ? » Je dédramatise ses propos, mais effectivement, être une femme pouvait parfois se révéler être dangereux, surtout quand on s’habillait court.

« Bon, on y va ? » Sans vraiment attendre de réponse, je tourne les talons, et retourne vers la voiture dans laquelle je m’installe, attendant que la jeune femme fasse de même. Moteur qui se met doucement à ronronner quand je mets le contact, je boucle ma ceinture et tourne la tête vers la jeune femme, sourire aux lèvres. « On va te chercher à manger puis plage ? Ou directement plage ? Tu préfères quoi ? » Parce que même si j’avais longtemps plaisanter sur la possibilité de la noyer ce soir, j’étais en réalité loin de vouloir qu’elle me fasse un malaise entre les bras.