Journée chargée, boule de nerfs, travailler jusqu'à tard dans la soirée, nuque qui tire, muscles endolories. Lidiya froisse énergiquement le papier alors qu'elle fronce les sourcils. Elle n'arrive pas à mettre le doigt sur la solution à ce problème. Et elle ne supporte pas cela, elle a horreur lorsque quelque chose lui résiste. Machinalement elle porte le verre à ses lèvres alors qu'elle ne se rend même pas compte du liquide, provenant tout droit du robinet, hydratant son palet. Elle est tout simplement perdue dans ses pensées. Un SMS de sa mère à 22H09 la tire de ses réflexions et elle se fait rapidement quelque chose à manger. Le classique lorsqu'elle est en train de bosser sur un projet important: sandwich au jambon, rien de bien excitant. Elle pousse un soupire, bien trop exaspérée; elle balaye le loft dans lequel elle vit du regard. On peut y trouver quelques formules ça et là, cliché parfait de la scientifique qu'elle est. Elle retourne lentement à son bureau, petit renfoncement qu'on ne remarque pas forcément, mais clairement la pièce qu'elle préfère ici, acharnée du travail qu'elle est... Elle s'assoie, tel un pantin, ayant beaucoup trop l'habitude de s'accouder à ce bureau. Après seulement quelques minutes, elle réalise qu'elle n'arrivera à rien ainsi. Elle regarde de nouveau son téléphone portable. Il est 22H37. Nouveau soupire, elle passe un main dans ses longs cheveux blonds et s'étire. Une douche, oui ça l'aidera certainement à retrouver ses esprits et à résoudre ce fichu problème. Elle longe un mur et monte quelques escaliers avant de se dévêtir à l'extérieur même de la pièce convoitée. Elle jette ses vêtements dans un panier à linge non loin de la chambre à coucher. Elle entre dans la salle de bain, attache ses cheveux à l'aide d'une pince qui laisse échapper quelques mèches blondes, les rendant presque automatiquement humides lorsqu'elle enclanche l'eau de la douche à l'italienne. Elle laisse l'eau chaude ruisseler sur son corps pendant de longues minutes. Parfois elle veux juste tout oublier. Nouveau soupir, pointe de désespoir qui vient soudainement envahir son esprit et nouer sa gorge. Elle coupe l'eau, enfile son short et débardeur de nuit. Puis elle repasse la chaine qui ne quitte pas son cou, celle où se trouve son alliance, reste d'un bonheur passé, d'une relation ruinée par une décision bien trop hâtive, sa propre décision... Sauf que depuis quelques mois, la bague n'est plus la seule à pendre au bout de la longue chaine en argent. Depuis quelques mois, c'est un autre objet qui a rejoint l'anneau dorée. Un objet aux couleurs bien plus vives. Lui... Les pupilles de la russe se dilatent légèrement lorsqu'elle y pense. Serait-ce sous la colère ou aux souvenirs des brefs moments charnels qu'ils ont pu passer ensembles? Elle ne saurait le dire... Ou peut-être un peu des deux... Les deux objets viennent se cacher sous le tissu du débardeur, se faisant ainsi invisibles. Elle enfile une petite veste d'intérieure et retourne à son bureau.

Pendant un long moment, elle va de nouveau gribouiller des formules qui n'ont ni queue ni tête, traçant des lignes endiablées, soupirant ça et là, comme à son habitude, tapant du poing, excédée par ses échecs. Et puis finalement, sa tête se fait lourde et elle ne se rend même pas compte qu'elle sombre dans les ténèbres. Elle ferme les yeux, les paupières si lourdes, sa joue vient rencontrer le papier à moitié usé. Elle s'endort. Sommeil sans rêve et de courte durée, Lidiya sursaute; elle est persuadée d'avoir entendu un bruit. Elle révèle l'heure sur son téléphone; il est bien trop tard pour des visites de courtoisie. Et puis elle est persuadée que le bruit provient bien de l'intérieur du loft. Depuis le cambriolage en Russie, elle est toujours très alerte et ne prend aucun risque. Sans bruit, elle se lève et compose le 911 sur son téléphone, en dernier recours. Elle le glisse dans la poche de sa veste et se lève. Elle n'a pas besoin de lumière, elle connait l'endroit par coeur et de toutes les façons, elle sait qu'une faible lumière est restée allumée dans le salon. Elle se rend le plus vite possible à la cuisine et attrape le large rouleau à pâtisserie que sa grand-mère lui a offert. Pourquoi pas un couteau me diriez-vous? Sachant qu'elle pense avoir un intrus chez elle... Tout simplement car elle ne veut pas prendre de risque de pouvoir blesser mortellement l'individu. Encore faut-il croire qu'elle puisse être capable d'un tel exploit. Armée seulement de son fameux rouleau (et de son petit short), elle sait que si elle l'abat sur une tête ou un genou, la personne en face aura mal. Puis elle n'aura aucun scrupule à se servir de ses poings également. Mais là encore, elle veut éviter toutes vagues avec une quelconque autorité supérieure. D'ailleurs, le 911 c'est vraiment en dernier recours. Très irresponsable tout cela, non ?! Peut-être bien... Cependant c'est ainsi que Lidiya a décidé d'aborder le problème. Et puis si ça se trouve, ce n'est rien, juste un bruit extérieur. C'est au moins où elle pense cela qu'un autre craquement, faible de se fait entendre. Nouveau froncement de sourcils alors que sur son visage se mêlent agacement et légère peur. La russe à l'impression que cela vient de sa chambre; elle s'y dirige en faisant le moins de bruit possible, comme si elle marchait sur des braises encore chaudes. Elle lève son rouleau, l'air bien idiote, alors qu'elle pénètre dans la pièce. BINGO. Elle ne s'est pas trompé alors qu'elle voit la haute silhouette. Elle plisse les yeux et... S'arrête net. Alors que la lune filtre par la fenêtre, elle a assez de temps pour que le visage de l'inconnu soit brièvement révélée de sa pénombre. Elle baisse totalement le rouleau qui vient rencontrer l'encadrement du lit, faisant retentir un bruit sourd et net dans tout le loft avant de prononcer d'une voix détachée:

- Non mais c'est une blague, tu te fous de ma tronche ou quoi ?

En face d'elle se trouve Sheng. Ce fameux collègue à qui elle a dérobé un bien précieux; mais ce n'est que pure partie remise, une simple vengeance alors qu'il a lui même en sa possession un objet qui lui est des plus précieux, offert par son père. Rien qui semble extraordinaire à première vue, un bracelet en corde, simplement ornée d'un rune nordique. La rune du courage, pour qu'elle n'oublie jamais ce qu'elle vaut. Et ça, elle ne risque pas de l'oublier. Elle fronce les sourcils un énième fois pour continuer:

- Mais qu'est-ce que tu fiches là ? Sympa la violation de domicile !

Question peut-être idiote car au fond, elle se doute de ce qu'il est venu chercher, ce qu'il veut; il veut exactement la même chose qu'elle.

Sheng... Automatiquement les muscles de la blonde se tendent. De la haine ? Peut-être... Autre chose ? Peut-être aussi... Et c'est ainsi depuis un petit moment entre eux, dès qu'ils se croisent à l'université. Tant de joutes endiablées alors qu'il aurait peut-être pu en être autrement. Mais c'est lui qui a commencé, elle le sait, c'est lui qui détient son précieux bien. Lorsqu'il se retourne  vers elle, Lidiya manque d'air c'est fou ce que sa tronche a tendance à l'énerver. Les pupilles se dilatent alors qu'elle lui sauterait bien à la gorge; mais elle le sait, il est certainement plus fort qu'elle. La russe a un bon niveau en boxe mais elle se dit qu'il doit en savoir bien plus qu'elle, vous voyez le cliché, n'est-ce pas ? Alors elle se contente d'enfouir cette envie de lui filer quelques coups bien placés. Elle ne veut pas d'un scandale. Déjà que certains voisins sont bien chiants, il ne manquerait plus qu'ils viennent se plaindre pour tapage nocturne ou autre. Elle pousse un soupire, clairement exaspérée.
Sa bouche finit par s'entrouvrir, et un voile de surprise vient passer le temps de quelques secondes sur son visage alors qu'il prononce les mots suivants: « Mais… tu m’as invité. » Bordel... Avec la pénombre elle espère qu'il n'a pas perçu cela; cependant elle le connait. Oui malgré les "vacheries", comme il dit, qu'ils peuvent se lancer, quelque part, d'une façon très tordue, elle a fini par le connaitre sous un certain angle. Et un jour, elle en est tristement venue à la conclusion suivante: caché au plus profond d'elle-même, elle arrivait presque à apprécier ces "vacheries" quasi quotidiennes. Nouveau soupir, mais cette fois c'est une sorte d'énervement dirigé contre elle. « Avoues. T’en crèves d’envie. », ajoute-t-il. Bah tiens voilà autre chose ! Ce genre de phrases étaient courantes entre eux. Lidiya savait s'en servir à outrance et ne s'en cachait pas. Elle sait ce qu'elle est ainsi que les "avantages" que cela peut inclure sur la gente masculine. Oui on pouvait dire qu'elle l'avait bien chercher. Elle se contente d'hausser les épaules dans un premier temps. Elle ne lui donnerait pas ce plaisir, elle ne lui montrerait pas ce qu'il (ou elle ?). Elle décide enfin de prendre la parole, un petit sourire étirant ses lèvres roses:

- Mmmm..., alors qu'elle fait semblant de réfléchir.Je ne me souviens pas de ce passage. Les vacheries, je veux bien plaider coupable, mais quelque part, c'est un peu notre spécialité tu ne crois pas ? Par contre... T'inviter ? Je crois que tu prends un peu trop tes rêves pour la réalité !

Là ! Elle ne comptait pas se laisser faire. Elle affiche un moue faussement contrariée en ce qui concerne son "Avoues. T'en crèves d'envie." S'il faisait bien référence à ce qu'elle pense (et le connaissant, c'est certainement le cas), elle devait lui couper l'herbe sous les pieds. Ou alors, peut-être qu'il avait raison et qu'elle ne voulait simplement pas l'admettre. Car dans sa tête ce serait perdre la partie. Et il y avait bien un chose que Lidiya n'appréciait pas, c'était perdre.

- On sait tous les deux comment cela s'est terminé la dernière fois... Si c'est pour que tu prennes encore quelque chose, autant sauter ce passage et il me suffit de t'orienter vers ce qui a le moins d'importance pour moi...

Elle sort cette phrase d'un ton amer alors qu'elle se frotte machinalement le poignet, là ou ce qu'il lui a pris se trouvait avant... Avant qu'elle ne s'abandonne une seconde fois, avant qu'il s'en empare. Puis, il lui fait remarquer que le rouleau qu'elle tient ne lui servira à rien. Second sourire de la part de la russe. Oooh, elle le sait bien, maintenant qu'elle a conscience de l'identité de l'intrus. Mais elle peut toujours faire passer un message... Elle lève le bras et le rouleau quitte sa main pour filer dans les airs. C'est délibérément qu'elle le rate et que l'objet vient s'écraser sur le mur. Cependant il n'est pas passé loin de la tête de Sheng. Oui ça aussi c'est fait exprès... Elle s'avance lentement vers lui, réduisant la distance qui les séparent alors que les traits de son visage se durcissent.

- Je sais... Je ne me risquerais pas dans ce genre de corps à corps avec toi...

La dernière partie de sa phrase, elle l'a murmurée, mais elle sait qu'il a entendu et c'est bien son intention. Il voulait la tester, la tenter. Ainsi fera-t-elle de même. Manier les mots, appuyer là où cela fait "mal", elle aussi, elle sait faire.

- Si t'es bien là pour ce que je pense, tu ne le trouveras pas ici...

Elle lui laisse entendre que peut-être ce n'est pas elle qui détient ce qu'il cherche, peut-être qu'il l'a perdu. Alors qu'ils connaissent tous deux la vérité. Mais cela ne coute rien d'essayer. Après tout, qui ne tente rien n'a rien...