Samedi 15 Mai 2021

Dans un bar à l’ambiance chaleureuse, Orson se frayait difficilement un chemin entre les autres clients. Il aurait bien joué des coudes ou bousculé quelques personnes pour s’imposer mais il portait deux verres, et leur contenu avait plus d’importance que le temps qu’il mettrait à rejoindre sa table. « Le monde … C’est un parcours du combattant pour aller chercher à boire » dit-il en s’asseyant face à @Elizabeth McCarthy. Voilà presque vingt quatre heures que les élèves du professeur de musique étaient libérés de leurs partiels, cela voulait dire qu’Orson était lui aussi libéré. Il devrait bien sûr se rendre à Boston pour délibérer sur les copies et les notes et pour effectuer son travail de recherche ; peut-être même qu’il publiera un ou deux articles pendant l’Été. « Sûrement à cause du match » dit-il pour souligner ce qu’elle avait déjà sûrement deviné d’elle-même. Un indice ? Le match que diffusait une télé à écran plat dans un coin du bar. Un autre ? La foule de supporters, tous vêtus aux couleurs de leur équipe favorite. Mais Orson avait bu, et ce qui était si évident ne l’était pas dans ce genre de situation. Il eut un mouvement vague de la main, comme pour écarter le voile que l’alcool allait tenter de dresser devant ses yeux. « Tu me disais quoi avant que je me lève pour nous resservir ? » demanda Orson à Elizabeth, faisant glisser vers elle le verre qu’elle lui avait demandé d’apporter. Il s’approcha alors, pour mieux entendre. D’un geste vif, il jeta un coup d’œil au timer du match en cours, puis soupira. Le match approchait de son terme et bientôt – du moins c’est ce qu’Orson espérait – ils auraient un peu plus de calme, lorsque la ferveur du moment présent aura cédé sa place à une fatigue euphorique du côté des supporters. Orson savait pertinemment que cette soirée allait tôt ou tard se transformer en interrogatoire, en discussion où le sergent McCarthy l’assaillirait de questions sur sa nouvelle fréquentation, Dolly. D’ailleurs, comme si le simple fait de penser à elle suffisait à l’invoquer, l’écran du téléphone du musicien s’alluma ; il venait de recevoir un sms de sa rousse.

Une fois à table, Orson porte son verre à ses lèvres ; une bière amplement méritée quand on regardait le parcours du combattant qui menait jusqu’au comptoir. « Mais dans les bars posés, on est plus tranquilles » , et ça n’avait pas de prix. Pépère en devenir, le musique devenait maître dans l’art du pantouflage au fur et à mesure qu’il prenait de l’âge. « Et on pourrait parler sans avoir à hausser la voix aussi » , parce qu’il ne voulait pas que tous les clients du bar soient au courant de l’idylle qu’il vivait avec Dolly. « Alors », il reprend une gorgée, comme pour s’hydrater avant un discours. « Je ne t’avais pas déjà tout dit par sms ? » , Orson hausse les épaules. « C’est une femme que j’ai rencontré à la mairie de Boston et … » , il n’allait pas lui parler de leurs ébats dans les bureaux de la municipalité. « Ça a tout de suite été intense, très intense. On s’est revus la semaine d’après, alors que je jouais avec mon groupe » . Le musicien marque une pause pendant que les supporteurs célèbrent un but de leur attaquant phare. En attendant, il boit de nouvelles gorgées, lorgnant sur l’indicateur de notifications de son téléphone en pensant à tous les sms de Dolly qu’il est en train de rater ; Orson est accro. « Puis elle est passée me voir à mon bureau à Harvard. Demain soir, on a prévu d’aller voir un film au cinéma » . Orson parlait avec la même excitation que les adolescents lors de leurs premiers émois amoureux. Pourtant, il n’en était pas à son coup d’essai, mais ce qu’il vivait avec Dolly était tellement intense. Orson plonge son regard dans celui de son amie. « J’étais sûr que t’allais voir à quoi elle ressemblait » répondit-il à la jeune femme en imitant son sourire. « Mais voilà. Ca doit faire à peine deux semaines qu’on se connait, mais j’ai l’impression que ça dure depuis plus longtemps » .