Sombre connard. C’est tout ce qui me tourne dans la tête quand je remballe mes affaires. Dernier coup d’œil jeter à la boite métallique sur le bureau, non, non, elle, reste ici. Capable de ne rien montrer, comment c’est possible ? Comment il fait pour tout renfermer, rien ressentir ? Il ne veut pas me l'apprendre ? S’engueuler, s’insulter, ça ne dure jamais bien longtemps, presque un quotidien une blague de merde et on oublie tout, mais là, encore une fois il est allé trop loin. Je ferme les yeux la plupart du temps, parce que je n’ai pas envie d’épiloguer. Les paroles qu’il a sorti aujourd’hui, non, il est allé trop loin et même s'il s'est excusé, me faire du mal délibérément... j’ai du mal à avaler la pilule. L’asphalte pour seul compagnie, la vitesse pour seule alliée, je roule pendant des heures en hésitant à me barrer, quitter Boston, oublier tout le monde. Fuir. Je finis par me rendre au lieu habituel, quelques tête connus que je salue. Une course, puis deux et je finis par me garer et me poser un moment assis sur le capot de la voiture. Je dois avoir une tête de déterré, je range mon téléphone après ma conversation avec l’autre idiot, m’allume une clope et passe la main sur mon visage en soupirant. Vie de merde.

Choix déraisonnable au possible, et pourtant, j'avais cédé à mes démons. Stress qui grimpait en flèche, colère, tension, rage, un mélange explosif qui n'allait pas tarder à sauter à la gueule de quelqu'un si je ne faisais rien pour me calmer. Et vu les derniers jours que j'avais passé, on savait très bien à la gueule de qui ça allait explorer... Petit Prince. Il était, en plus des révisions et des examens, une des sources de cette tension. Son envie de m'en mettre plein la gueule pour me faire payer mes erreurs - que je payais déjà par d'autres moyens - n'était en ce moment pas compatible avec le stress des révisions et des examens. Il m'en restait encore quelques uns à passer, et pourtant, ce soir j'avais décidé de faire l'impasse sur la soirée responsable et raisonnable qui conviendrait normalement à une veille d'examen. La nuit était déjà tombée quand j'avais attrapé mon casque, un peu de fric, mon téléphone et mes clés pour sortir me vider la tête.

Moto chevauchée, flèche du compteur de vitesse qui ne cesse de grimper, je m'éloigne des beaux quartiers de Cambridge, de ceux de Boston, guidé par de mauvaises habitudes et un besoin de ressentir quelque chose de plus intense que ma rage. Extérieurs où tous ne s'aventureraient pas, je rejoins une zone occupée par des personnes comme moi, en quête d'adrénaline ou de quoi se défouler. Je salue quelques personnes quand je descends de ma bécane, cherche un adversaire, impatient. Mais quelqu'un attire finalement mon attention. Suffisamment pour que je ne le quitte pas des yeux, mais pas assez pour me faire oublier mon objectif premier. Je finalise mon échange avec celui qui viendrait regretter sa défaire dans quelques minutes avant de me diriger vers l'autre homme, lui tendant la main avant de m'appuyer sur le capot de sa voiture. « Ca faisait un moment qu'on s'était pas croisé ici... T'as une sale tête. Toi aussi t'as passé une semaine de merde ? »

@Eros K. Delrio

Ressasser encore et toujours, je n’étais pas venu ici ce soir pour ça et pourtant c’est tout ce que mon cerveau était capable de faire à cet instant. Je n’aurais jamais dû rallumer mon téléphone, le laisser dans l’angoisse ça lui aurait peut-être servis de leçons, mais je me serais pris une rafale le lendemain, pas motivé pour ça. Tiré de ma rêverie par une voix je relève la tête vers mon interlocuteur, tente le sourire, un peu forcé, mais quand même là après tout lui, n’y était pour rien. Cigarette enfilée entre mes lèvres alors que je lui serre la main, récupère ma clope et souffler la fumée, je soupire “Les semaines se suivent et se ressemble j’ai l’impression” je regarde autour de nous, fallait que je reprenne la route, mettre mon cerveau sur off. “Comment tu vas ? Raconte-moi tes problèmes stp ça me fera oublier les miens”

Visiblement, je n'étais pas le seul à être dans le mal. Peut-être que ce n'était pas tout à fait le même type qui nous rongeait, mais le résultat était le même. On était au même endroit, pour faire le même type de connerie, malgré les risques que cela comportait. « Comme toi, j'ai connu des jours meilleurs. » Il n'avait pas besoin de me le dire pour que je le devine. Ca se voyait à sa tête, à l'aura qui émanait de lui. Je pose doucement mon casque sur son capot, le gardant à proximité, pour quand on allait m'appeler pour rejoindre la ligne de départ. « Les révisions, les examens, le stress. Et par dessus ça tu rajoutes mon meilleur pote qui a décidé de m'en foutre plein la gueule pour de vieilles conneries, et t'as moi, à deux doigts d'aller exploser la gueule à quelqu'un si je fais pas quelque chose pour me défouler. » Finalement, même si les courses n'étaient pas la solution la plus intelligente, c'était encore celle qui ferait le moins de dégâts.

Je tourne la tête vers lui, tirant sur ma clope pour me bousiller encore plus les poumons. L’ombre de moi-même, ce soir le démon avait pris place en moi et je ne savais pas comment faire pour qu’il se taise, avant enfin y’a quelques jours j’aurais simplement pris une ligne et j’aurais été bien pendant vingt, trente minutes et après ? Après c’était pire. J’effaçais ça de ma tête, pas le moment que j’y pense, pas quand j’étais en roue libre. Je tilt sur un mot dans sa phrase, clairement pas les mêmes problèmes, mais lié en partie à la même personne “Les meilleurs potes c’est plus ce que c’était” une dernière taff et je jette ma clope plus loin, pollueur. “Y’a moyen que ça s’arrange ton histoire ?” Je tourne la tête, regarde son casque, puis regarde sa moto “T’arrive à rouler avec ça” dis-je en voulant le charrier un peu, tenter de rire.  

« Ouais, là-dessus t’as pas tort. » Pourtant, c’était loin d’être si simple. Petit Prince avait beau agir comme un con, j’étais toujours là, à essayer de réparer les choses. A ce demander si ce n’était pas moi le plus con des deux, à essayer de sauver quelque chose qui ne pouvait peut-être pas l’être. « Je sais pas. » Je hausse doucement les épaules. « Les révisions et les examens, ouais, dans quelques jours c’est fini... Mon pote par contre, c’est pas dit... » J’allais encore devoir le supporter un moment. J’avais envie de le supporter malgré tout, alors qui sait combien de temps j’allais morfler encore. « Y a besoin que je te mette une raclée pour t’empêcher de dire des conneries comme ça ? »  Ego piqué, je fronce le regard lorsque je tourne la tête vers lui, malgré le léger sourire amusé sur mes lèvres. « Quand tu veux je te prends sur la ligne de départ. On verra qui traine à la fin. »

Je pense au mien, à cet idiot qui parle trop, trop vite, qui abuse des mots pour se sortir d’une situation qu’il le met mal à l’aise. Je ne comprends pas comment il peut me sortir des choses pareils sans aucune once de regret et je ne comprends pas comment je peux être accros à un abruti pareil, le cœur à ses raisons. “Pas facile de gérer leurs états d’âmes n’est-ce pas ?” je parle comme si il pouvait comprendre ma situation, mais je doute qu’il soit dans la même avec son meilleur ami, y’a que deux idiots comme Aaron et moi pour foirer ou améliorer... une relation comme la nôtre, je soupire sans m’en rendre compte. Focalise rsur son casque, la moto, changer de sujet avant que je m’effondre “Une raclée ? Je ne suis pas contre, ça me remettrait les idées en place, mais rien ne dit que c’est toi qui vas m’allonger en premier” Comment énerver un mec, titiller son égo, le faire partir au quart de tours. J’aurais réagi comme lui. Je ris, m'appuie avec mes mains en arrière “J’ai une course dans cinq minutes, après je suis tout à toi. Tu me montreras l’étendus de tes talents avec ta bicyclette”

« J'en suis à un stade où rien que de lui parler, ça n'a rien de facile. » Parce que visiblement, le dialogue était rompu depuis bien trop longtemps pour lui, et que désormais, m'écouter, c'était hors de question. J'aurais beau demander pardon mille fois qu'il continuerait de m'en foutre plein la gueule. Ce sale petit con têtu... Tout comme quand il a voulu venir ici, à Harvard. Difficile de lui faire oublier une idée quand il l'a en tête. Je ne peux m'empêcher de rire quand il prétend pouvoir m'étaler au sol. S'il savait l'entrainement que j'avais reçu... A l'armée, au palais... Ca ne me rendait pas invincible, loin de là, mais ça me permettait de pouvoir mettre au sol un certain nombre de frappes, petites ou non, qui se prenaient pour des caïds. « Je peux te faire bouffer le sol avant même que t'arrive à m'en mettre une. » Même s'il se défendait bien, je n'admettrais jamais pouvoir perdre contre lui, ou un autre, après tout les entrainements que j'avais enduré, subis même pour certain. J'étais bien trop fier. « J'en ais une aussi dans quelques minutes. Tu vas pouvoir voir ce qui t'attends. Par contre, faudra te faire consoler par un autre que moi quand t'auras perdu. » Provocation puérile, mais c'était aussi un excellent moyen de dominer son adversaire, d'appuyer sur des points sensibles, de faire monter la pression par quelques piques, pour le pousser à la faute. Et ici, c'était bien connu.

"Je suis désolé pour toi, j’espère que ça s’arrangeras. Depuis quand communiquer avec quelqu’un s’est devenus hyper compliqué comme ça ?” C’est la situation qu’il le voulait aussi, les différences de caractère, ne pas avoir eu la même vie, les mêmes évènements qui nous ont conduit là où on est aujourd’hui. Je ris de bon cœur à sa menace, je le regarde de haut en bas, moyen peut être de confirmer ses dires de l’analyser. Je pourrais me défendre, enfin je crois, je sais plus à l’heure actuelle en fait, je me la joue un peu, rentre dans le jeu, juste pour la blague, mais je ne suis pas sûr que je ne paniquerais pas s’il vient vraiment à me sauter dessus. Trop de séquelles des agressions en prison, les images qui me reviennent à chaque fois que je ferme les yeux. Rapidement je sors de nouveau mon paquet de clope, en sors une que j’allume aussitôt avant de ranger de nouveau le poison dans ma poche. Une longue taff pour éloigner les images, un moyen peut être aussi d’effacer l’envie qui commençais à pointer le bout de son nez, pas sûr que j’ai eu l’idée du siècle en sortant ce soir, seul. Je garde la face, souris de nouveau à la provocation “Hâte de te voir à l’œuvre alors !” je secoue la tête en riant “Si y’a bien un domaine que je maitrise dans ma vie, c’est mon volant. Ne sois pas trop sûr de toi tu veux” regards en coin, j’aime ce petit jeu de qui as le plus gros égo “Je suis sympas, je te laisserais pleurer sur mon épaule quand tu avoueras ta défaite”

Je hausse doucement les épaules. Je n'étais pas sûr que ça s'arrange. Entre le sale caractère de Johan et le mien… Et puis ça faisait des mois qu'on était au point mort, qu'on se tolérait plus qu'on ne parlait. De son côté en tout cas, car du mien, j’espérais retrouver mon ami. « Je sais pas quand c'est devenu difficile pour tout le monde, mais chez moi, dès mes huit ans ça a commencé à devenir compliqué. » Du jour où on m'avait enlevé Lucia, forcé à quitter la Suisse et tout ce que je connaissais. Du jour où j'avais été forcé de vivre avec ces inconnus avec qui je n'arrivais pas à me lier, que je n'arrivais pas à comprendre. Ouais, déjà à l'époque, c'était compliqué. Et si le temps m'avait permis de faire des progrès avec certaines personnes, il y en avait d'autres avec qui la difficulté serait toujours présente. Apparemment, Petit Prince en faisait partie, de ces autres avec qui les choses ne seraient jamais simples.

Je regarde Eros sortir une clope, s'empoisonner les poumons, mais ne dit rien. Il était suffisamment grand pour savoir ce qu'il faisait. Je me contente de sourire à ses provocations, son assurance. « Tu peux avoir toute la maîtrise que tu veux, à partir du moment où j'en ais plus que toi, tu perds quand même. » Et il allait perdre, parce que je refusais que ce soit moi. « Anders ! » Je tourne la tête alors qu'un homme m'interpelle, me pointant la ligne de départ.  « Ouais mais pas moi. Profite donc de ma course pour te trouver des mouchoirs. » Je le bouscule légèrement avant de récupérer mon casque et d'aller m'aligner sur la ligne de départ, attendant le signal pour mettre les gaz. Environ 1km avant de faire demi-tour, indiqué par un drapeau planté dans le sol. Virage que je prends très serré, m'inclinant fortement pour me stabiliser avec la vitesse avant de repartir dans la direction opposée et de franchir à nouveau la ligne de départ avant mon adversaire. Adrénaline et sentiment de satisfaction, je suis loin de bouder ma victoire, et c'est grand sourire aux lèvres que je rejoins Eros. « J'espère que t'en as profité mentalement pour te préparer à la défaite. »