J’avais eu un mal fou à me décider à sortir, mais finalement, je l’avais fait. Des jours que j’étais enfermé chez moi, seul la plupart du temps, à déprimer, à angoisser, à tourner en rond suite aux derniers évènements du Lord Hobo. Beaucoup de peur, beaucoup de larmes, et un immense sentiment d’insécurité qui me prenait aux tripes depuis. Sans parler de l’incompréhension générale et de l’inquiétude sur l’état de Neal. Ces derniers jours avaient été éprouvants, et ça se voyait sur mon visage. La mine tirée, le visage pâle et un peu plus creusé que d’habitude, j’avais vraiment l’air d’un zombie. A tout cela s’ajoutait en plus la colère de Dahlia, qui me reprochait d’avoir manqué de me faire tuer alors qu’elle m’avait répété mille fois que le Lord Hobo n’était pas un endroit convenable pour moi. Peut-être avait-elle raison, mais certaines choses, certaines personnes me poussaient à vouloir y rester. Même encore aujourd’hui. Bien sûr, ça allait demander du temps pour que le bar puisse rouvrir, et pour que chacun d’entre nous puisse se reconstruire, mais on allait réussir. En tout cas, je priais pour.

Et c’était pour aller prier que j’avais décidé de sortir, prenant mon courage à deux mains alors que je franchissais la porte de l’appartement. Palpitant sous tension, je me fais bien plus attentif que d’habitude à mon environnement, limite paranoïaque.  Mais j'y vais, j'avance. Pas à pas, entre deux battements loupés. Le chemin est donc long mais je finis par y arriver. J'y reste assez longtemps, me sentant en sécurité ici. Même si c'était aussi le cas au Lord Hobo, mais je m'efforce de ne pas y penser. Bien que je pense à Neal et prie pour sa guérison. J'y reste un petit moment, le temps que j'ai le sentiment que ma prière ait été suffisamment entendue. Lorsque je sors, le ciel est gris, les nuages sont bas. Parapluie en main, je me mets rapidement en route pour rentrer avant que la pluie ne tombe malgré tout. Malheureusement pour moi, je ne fais que quelques mètres avant de sentir les premières gouttes sur mon visage. Je me stoppe sur le trottoir pour ouvrir le parapluie mais un coup de klaxonne me fait sursauter et lâcher l'objet, emporté par une bourrasque. « Merde ! » Je cours sur quelques mètres pour essayer de le rattraper, bousculant quelques passants avant de m'arrêter net devant l'un d'entre eux, mon parapluie entre ces mains après l'avoir heurté. « Pardon, je suis désolé. Il m'a échappé des mains. J'espère que vous n'avez pas trop mal, je suis désolé. » Je parle vite, très vite, les yeux humides, honteux et désolé, le cœur battant plus vite que nécessaire. Tout semblait me mettre mentalement à l'épreuve désormais, même les banalités du quotidien.

@A. Léo de Liechtenstein

Je regarde le jeune homme face à moi, mon parapluie entre ses mains, avant de baisser la tête à cause de la gêne et la culpabilité. D’autant plus que je le sais, ce n’est qu’une question de temps avant que je ne craque émotionnellement et me mette à pleurer. C’était ridicule, mais depuis quelques temps, tout relevait de l’épreuve, et la moindre contrariété suffisait à me mettre à bout. Je ne sais pas si c’était ça que ressentaient les personnes hypersensibles ou les femmes enceintes, mais c’était épuisant. Et partiellement gênant. Surtout en public. Alors je m’excuse, rapidement, à la limite de me perdre mon souffle, en espérant récupérer mon parapluie au plus vite et continuer ma route, priant en plus pour ne pas me faire engueuler par le jeune homme. Mais ça n’a pas l’air d’être d’être son genre. Il semble même prendre cela avec bien plus de légèreté que moi, alors que c’est lui qui a été agressé par mon parapluie. Je le saisis doucement lorsqu’il me le tend, avant de resserrer mes doigts sur le manche pour ne pas faire la même bêtise deux fois. « Merci. » C’est timidement que je rouvre la bouche, ayant peur d’en faire à nouveau trop, chacune de mes réactions semblant disproportionnée par rapport à la situation, comme lorsqu’il me demande si je vais bien. Un simple oui ou non aurait pu suffire, mais ce n’était pas ce que mon corps avait décidé de faire. « Non. Enfin si. Mais. Je... » Quelques balbutiements et voilà que je fonds en larme, à bout de nerfs, de la façon la plus ridicule qui soit, en pleine rue, face à un inconnu. Je me sentais vraiment stupide.

@A. Léo de Liechtenstein

Sensibilité renforcée ces derniers jours, je craque en quelques secondes. J’avais toujours été sensible, empathique, avenant, mais là, c’était bien au-delà de ça. J’étais en plus terrorisé, abattu par la violence, triste pour toutes celles et ceux qui, comme moi, avaient subi cette soirée. Une soirée dont je n’arrivais pas à oublier les conséquences désastreuses. Une soirée qui avait implanté tant de choses néfastes en moi, dont je n’arrivais plus à me débarrasser. Tout ce que je voulais, c’était oublier et reprendre ma vie comme avant. Mais il faudrait encore quelques semaines, ne serait-ce que pour que le Lord Hobo puisse ouvrir. Et d’ici là, le temps risquait de me paraître long. Très long. Et le quotidien terrifiant.

Pourtant, malgré le maelstrom d’émotions qui tourbillonnait en moi, je n’étais pas plus effrayé que cela par l’inconnu. Et heureusement qu’il ne semblait être quelqu’un d'agressif ou de malfaisant, parce que j’aurais fait une victime idéale, à montrer de si grosses failles après seulement deux phrases échangées. Je relève timidement la tête essuyant disgracieusement mes yeux de la paume de mes mains alors que je me calme tout doucement. « Je suis désolé. Vous avez sûrement mieux à faire que de m’écouter, je ne veux pas vous déranger. » Mon parapluie l’avait déjà agressé, je ne voulais pas en plus lui faire perdre du temps à écouter mes tristes histoires. Pourtant, je n’avais pas su dire non. A croire qu’au fond de moi, j’avais besoin plus que jamais de compagnie.


@A. Léo de Liechtenstein

L'inconnu insiste, continue de me dire de dire que ça ne le dérange pas. J'hésite encore un instant, ne voulant pas déranger, mais en même temps, je pense que j'avais besoin plus que jamais de compagnie, de parler avec quelqu'un, de ne pas me retrouver à nouveau seul. Les jours enfermés chez moi n'avaient pas seulement été durs à cause du traumatisme, ils l’avaient été parce que je m’étais retrouvé seul la majorité du temps, et que je ne supportais pas cela. Je passe une dernière fois mes mains sur le haut de mes joues, avec une grande inspiration. « Merci. C’est vraiment gentil de votre part. » J’ose enfin le regarder dans les yeux pour le remercier, trouvant un peu plus de confiance à ses côtés. « Je m’appelle Gael. » Me présenter me paraît être le minimum que je puisse faire, surtout dans une telle situation. Je regarde la direction qu’il pointe du doigt, en réalité, je ne connaissais pas suffisamment le quartier pour savoir où se trouvaient de bons cafés, mais dans une ville comme celle-ci, ce n’était pas ça qui manquait quoiqu’il arrive. « Je vous suis alors. » Je me rapproche de lui, place mon parapluie entre nous pour essayer de nous protéger tous les deux de l’averse qui gagnait en intensité. Ce n’était pas une si mauvaise idée que de vouloir se mettre à l'abri avec une boisson pendant plusieurs minutes. « Je suis encore désolé. Il m’a échappé des mains avec le vent. J’espère que vous n’avez vraiment pas eu mal. » Que je lui redemande cette fois, avec plus de calme et moins de sanglots, avançant au même rythme que lui en direction du café.


@A. Léo de Liechtenstein