Le côté irrationnel de la chose me fait clairement paniquer. Je ne sais pas ce qu’il se passe avec Taylor, pourquoi elle agit comme ça mais ça me fait peur. J’ai été sacrément prise ces derniers temps alors je me demande si je n’ai pas loupé quelque chose, si je ne suis pas passée à côté de quelque chose d’énorme, de plus fort et important qu’elle et moi. Est-ce que d’avoir ajouté l’amour à ma vie déjà bien compliquée ne m’a pas fait louper un énorme point de la vie de Tay ? C’est la personne la plus importante à mes yeux alors, forcément, je m’en veux. Et même quand elle me rassure sur la nature de cette union, je n’arrive pas à me ressaisir, à me calmer et à comprendre. Je la regarde et l’écoute, une chouille plus détendue mais rien de fou non plus, qu’on ne s’y méprène pas. Oui mais si tu as besoin de moi... Je suis là. Voilà ce que ça veut dire Taylor. Je suis là pour toi, même pour les plus folles de tes idées. Mais je ne sais pas trop pourquoi elle aurait besoin de moi, de fiançailles. Elle est américaine alors il n’y a aucun soucis de visa ou je ne sais pas trop quoi. Sans compter qu’avec son internat, il y a forcément de quoi sponsoriser son visa, si c’était le cas. Enfin, il faut que je la laisse m’expliquer, discuter, me parler de tout cela. Pas facile mais je vais le faire. Et je crois que je comprends. Grâce à Snow, qu’elle ne cesse de mentionner et de ramener sur le tapis de la discussion. C’est de la folie, tu le sais ? Que je souffle en la regardant droit dans les yeux. Elle sait comme je suis, toujours à réfléchir à tout, à penser à tout, à tout anticiper au maximum. Pas déçue de ne pas appeler les flics parce qu’elle a le pire d’entre eux face à elle. Et s’ils décidaient de te muter avec lui, dès que tu as fini ton année ? Un internat dans un hôpital plus ou moins miteux, à des années lumières de Boston et de moi ? Je ne sais pas comment ça fonctionne tous ces trucs étranges. Y a-t-il de tels risques ? Du coup, y a aucun sentiment en jeu là dedans ? Et Jasper ? Que je demande rapidement, étant au courant des rapprochements entre l’américain et ma meilleure amie. Ce n’est pas que le sujet ne m’intéresse pas mais j’ai peur de ses répercussions sur le bonheur de Taylor. Alors, je préfère en discuter avec elle, lui ouvrir les yeux, en quelque sorte.

Je serai toujours là pour elle et s’il faut que j’enfonce - littéralement - mon index dans son crâne pour qu’elle le comprenne, je le ferais. Mais plus tard. Parce que là, je suis bien installée sur le fauteuil de jardin de ce Trent et je compte bien en profiter. Ah, si seulement je pouvais lui voler pour la maison, ce serait génial… Mais c’est un peu trop gros pour passer inaperçu. Il doit forcément avoir des caméras partout alors, même si ma meilleure amie pourrait faire semblant de ne rien voir, lui, il me verrait. Et bien que tout ça ne soit qu’une mascarade, il pourrait rester longtemps dans la vie de Taylor et s’il le faut, on pourra se faire des double rendez-vous, histoire de rendre la chose encore plus crédible. Un ami pour Snow, je suis sûre qu’il va adorer. Ça le changera de Dutch que je n’ai toujours pas rencontré. Léger coup d’oeil sur la demoiselle, des questions soufflés, je souris quand je l’entends dire qu’elle ne va nulle part. J’attrape sa main et la serre doucement. J’espère bien... Si j’étais seule, j’aurais bien dit que je l’aurais suivi au bout du monde s’il le fallait mais ce n’est pas possible. Il y a Snow et puis toute ma famille. Les garçons, les filles, mes deux monstres que je ne me vois pas déraciner. Alors, je suis bien contente qu’elle reste dans le Massachusetts et, plus précisément, sur Boston. Mais, tout ce petit plan, bien qu’agréable vu les bénéfices, risque de l’enquiquiner plus qu’autre chose je pense. Et puisque je n’ai jamais eu ma langue dans ma poche, me voilà à balancer un pavé dans la marre. Je me demande d’ailleurs s’il y a une marre avec des canards ou des poissons quelque part sur ce domaine. Ça serait bien joli, je ne peux pas le nier. J’en souris et me reconcentre sur ma meilleure amie quand j’entends sa voix. Le prénom de l’américain - enfin, je ne lui connais aucune origine - prononcé à deux reprises, je la regarde et souris à ses mots. Taylor. Ma Taylor. Je suis désormais sûre qu’elle n’a pas été lobotomisée. Un chantier, mais le plus beau d’entre eux. Je comprends. Et je suis presque déçue pour elle, je ne peux pas le nier. Elle la mérite, sa putain d’histoire d’amour, sa grande histoire où dès que son téléphone vibre, un sourire s’affiche en pensant à l’être aimé. Elle mérite son histoire de coeur, de princesse, un truc bien cocooning qui fait autant de bien à l’âme qu’à la tête. Tu es paumée pour quoi ? Que je demande rapidement. Toujours Joshua dans les parages ? Le militaire a laissé un champ de bataille plein de mines en partant. Et je regrette presque de lui avoir ouvert ma porte. Mais elle se sentait bien et moi, tout ce que je veux, c’est son bonheur. Ce que tu attends de lui, c’est une chose. Mais est-ce que tu sais au moins ce que tu veux avec lui ? Une petite amourette, un truc pour s’amuser et oublier ou une belle histoire ? Elle peut prendre son temps, bien sûr. Mais on a pas vraiment de temps à perdre, n’est-ce pas ? Le côté sérieux de cette conversation risquerait de la braquer mais elle n’est pas comme ça avec moi alors nous sommes sauvées.

L’effet de surprise est passé mais je suis toujours autant inquiète au sujet de ma meilleure amie. Peur qu’elle fasse n’importe quoi, qu’elle passe à côté de sa vie et de l’amour parce qu’elle est perdue, parce qu’elle enchaîne bêtise après bêtise. Je ne veux plus la retrouver comme en janvier, perdue, le regard vide, stressée et complètement paumée. Pourtant, j’ai l’impression que l’on s’y dirige petit à petit et je ferais tout pour la remettre sur le droit chemin - comme si ça existait - pour lui ouvrir les yeux et lui laisser le loisir de prendre des décisions pour elle, pour sa vie. Il bat, c’est déjà ça. Que je dis, un léger sourire sur le visage, rapidement accompagné par un clin d’oeil. C’est plus que bien. Tout le reste est superflu. Quand ça m’arrive, je me demande où est-ce que je me vois dans trois ans. Et ça aide souvent. Si mon cerveau n’a pas l’imagination nécessaire, le coeur ne suivra pas et ça, je le sais. Beaucoup de gens disent dix ans mais c’est beaucoup trop, trois c’est bien. Ça permet de changer de vie, de prendre à 90° si c’est ce qui est souhaité. Et des fois, c’est tout ce dont j’ai besoin pour me rassurer, pour consolider mes choix et dire à mon coeur qu’elle est là, ma solution. Aussi facile que ça et bien moins cher qu’un psychologue. Pas forcément la meilleure des solutions mais je fais avec ce que j’ai sous le bras, en quelque sorte. Je l’écoute et pince mes lèvres, une mine légèrement triste quand je l’entends. Alors, c’est l’histoire passagère de plusieurs nuits. Et si tout le monde est d’accord, c’est gérable. Mais ça veut aussi dire en discuter, mettre quelques règles en place et ne pas laisser la possessivité, la jalousie et les sentiments se développer… Pas facile. Et quand il y a un changement sur ces points, il faut en discuter, mettre les cartes sur la table et voir, aviser, dire adieu ou recommencer et évoluer. Tellement d’options et de possibilités. Ce n’est pas un désastre, c’est la vie. Il y a des rencontres qui sont faites pour durer et d’autres absolument pas, c’est ainsi. Peut-être que si on s’était rencontré quelques années après notre rencontre initiale, nous n’aurions pas prêté d’attention l’une à l’autre. Tout aurait pu être différent. Un battement d’aile de papillon - sur le monsieur tout nu - et tout est changé à jamais. Et face à sa question, j’éclate de rire Il en a mais alors, y en a aucun qui soit pour la vie. Et je préfère la prévenir là dessus. Ceci dit… Je n’en connais aucun. Tu crois que c’est louche ? Il est en colocation et je n’ai jamais vu cette personne. Qui est pourtant un ami d’enfance et - je crois - son meilleur ami. Merde. C’est louche. Est-ce que je suis la nana qu’on cache ou il a honte d’eux ? Mais je mènerai mon enquête pour toi. Les double date de folie que l’on se ferait ! Le rêve. Et en cas de rupture amoureuse ou amicale, la fin du monde. Mais bon, ça c’est un souci, une possibilité à laquelle je refuse de penser. Ma main attrape celle de Taylor et je souffle Ça va ? Comment tu vas. Genre réellement. Voilà ce qui m’intéresse.

Mes yeux sur ma meilleure amie, j’attends sa réponse. Où est-ce qu’elle se voit dans trois ans ? Avec qui ? Dans quelle composition ? Chacun son rêve, chacun son envie et je ne vois pas pourquoi mes rêves seraient plus forts, plus logiques, meilleurs que les siens. On vit tous différemment, on a tous des envies bien divergentes et je sais que nous ne sommes pas sur la même longueur d’onde sur bien des sujets mais ce n’est pas grave. Ses rêves sont tout aussi valables que les miens alors, forcément, quand elle se décrit comme une cause perdue, je ne peux m’empêcher de lever les yeux au ciel et de me retenir de répondre que la seule cause qui sera perdue, dans trois ans, c’est si elle a le même esprit critique envers elle même. Aime toi Taylor. Aime toi pour que les gens puissent t’aimer à ta juste valeur. Et surtout, bats toi pour ce que tu veux. Et si c’est le travaille, comme ce qu’elle me confirme, tant mieux. Eh bien, ce n’est pas être une cause perdue. Ça veut juste dire que tu n’as pas rencontré ta moitié. Ou que ses prétendants ne lui donnent pas envie de plus et c’est ainsi. Peut-être que les choses changeront sous peu ou peut-être qu’elles resteront les mêmes. Je ne peux pas le prévoir pour elle, même si j’aimerais pouvoir lui apporter un peu plus de lumière, c’est sur. Au moins, tu auras dix sur dix pour la case emploi et c’est souvent la plus difficile qui soit. Trouver sa moitié - comme si on avait tous besoin d’être complété, quelle connerie - et savoir tout ce que l’on souhaite d’un côté personnel est une chose mais du point de vue professionnel, c’est le plus difficile. Alors elle doit garder cette chance de son côté et se concentrer sur le reste. La confiance en son avenir professionnel pourrait attirer du monde, du beau monde. Pas dans les potes de Snow, je pense que ce n’est pas ce qu’ils cherchent. Ajouter un peu de piment et de drames pourrait lui porter préjudice et ça, je le refuse. Un point pour toi. Mais c’est que c’est déjà difficile de l’avoir que pour moi et que Taylor, bah je n’aime pas la partager. Bien sûr, elle rencontrera Snow, elle pourra l’examiner autant qu’elle veut mais pour le moment… Je ne sais pas. Ce n’est pas que je doute de lui - loin de là - mais je me dis que s’il a passé les tests de mes frères, il devrait s’en sortir à merveille. Ouai. Et puis, je suis vieille. Maman, tout ça alors forcément, ça coince un peu. Je pense qu’aucune mère ne peut dire qu’elle n’a pas été mise de côté à cause de son statut. Il y a toujours une réticence et puis… Peut-être qu’il me protège des réflexions cons et de tout ce qui va avec. Snow a su me charmer, bien entendu, mais il n’a rien de l’homme qui m’intéresse normalement. Quoi que… Cultivé, il l’est. Professionnel aussi. Sa carrière lui importe et ça, c’est important pour moi. Mais il a ce côté enfantin, presque gamin, qui me fait craquer parce que c’est lui mais qui m’hérisse le poil chez n’importe quel autre humain. Je n’ai pas pu vivre mon adolescence et le début de ma vie d’adulte comme n'importe qui alors, forcément, ça m’irrite de voir des adultes toujours agir de cette façon. Mais Snow… C’est différent. Bordel. Et puis, j’essaye de ne pas y penser. Peut-être qu’il traîne avec des types tout aussi classe que lui, avec des blagues un peu moins douteuses que les siennes. Le rigolo de la bande, c’est peut-être lui. Et ça me donne des idées. Mes yeux sur elle, le changement sur son visage se voit à des milliers d’années et ça me fait tout bizarre. La question est posée et la réponse ne tarde pas à suivre. Je la regarde, l’écoute, lui souris et souffle Tu n’as qu’un mot à dire et je te sors de tout ça, je te sors d’ici. Mais il faut qu’elle le veuille. Et je ne pense pas que ce soit le cas. La détresse est là. Mais l’envie de s’en sortir, un peu moins. Ça peut se comprendre. Des fois, nier, s’attendre à du mieux, ça permet de s’économiser du temps, de se reposer, de rêver. T’es pas toute seule, d’accord ? Des fiançailles ça se rompt. Et un mariage ça se casse. Nous n’aurons aucun souci avec ça. Tu mérites mieux que tout ça, tu le sais hein ? Que je souffle en captant son regard. Je veux qu’elle me le dise, qu’elle le dise à voix haute. Ça aide toujours pour se rendre responsable aussi, en quelque sorte. En tout cas, je ne m’attendais pas à ça en venant ici et ça me fait mal au coeur autant que ça me surprend. Les histoires amoureuses hautes en couleur, je pensais qu’elle en avait fini mais semblerait-il que non.