TW : grossesse et avortement

Chacune de ces femmes était la protagoniste de sa propre histoire. Sous les nombreuses couches de vêtements s'écrivaient les lignes d'un conte aux multiples finalités. Leurs ventres plats ou rebondis, leurs sourires ravis ou effacés recelaient des secrets qu'elles conservaient jalousement à la manière d'un trésor. Certaines s'extasiaient à l'entente de leur nom dans l'interphone, d'autres se levaient péniblement, l'âme torturée d'une douleur lancinante, alors qu'elles se dirigeaient, en trainant du pied, vers le couloir de la mort.

Son histoire était à la fois belle et tragique. Nara, la fleur magnifique qui s'extirpe du bourgeon, la fleur qui pousse même en hiver. Dans le chaos, elle brillait encore, la poupée. Lorsque tout s'effondrait, il lui aurait suffit de lever la tête pour y repérer les étoiles guider son chemin assombri.

En attente de son tour, elle les observait, une à une. Il y a de ces silences qui marquent l'âme, épousent le coeur. Silence allié, à se taire dans le plus grand des respects pour ne pas piétiner le bonheur de l'autre ou empiéter sur le deuil à venir. Mais le silence, l'attente et la solitude l'angoissaient, poitrine qui se soulevait au rythme désormais irrégulier de sa respiration. Panique encombrante qui lui comprimait douloureusement les poumons. Prisonnière d'un corps, d'un coeur, d'une âme, muselée par la honte qui la prenait d'assaut soudainement et par la peur qui lui glaçait le sang. Elle n'y arriverait pas seule.      

Il aurait dû être là. Et pourtant, lorsqu'elle fermait les yeux, ce n'est désormais plus que le sourire effacé qui se dessinait quelque part parmi les songes mélancoliques,, bien vite chassé par la toile qui recouvrait son visage, figé dans l'éternité, avant que ses traits, autrefois rieurs et malicieux, ne prennent la poussière des oubliettes. C'est le souvenir de cet instant précis qui ravivait une douleur qu'elle croyait pourtant avoir enfouie quelque part entre le coeur et un coin égaré de la tête. Plutôt que de se manifester à travers une crise de larmes, c'est la panique qui tord le ventre, remue les tripes, s'installe non loin de la cage thoracique, menaçant d'y faire des ravages dévastateurs.

Coups d'oeil expéditifs jetés à la montre ornant son poignet, le temps semble s'être figé, les minutes ne défilent plus, l'aiguille s'est arrêtée entre deux points de repère. Boussole déréglée, elle en vient à taper du pied si vite qu'elle s'attire quelques regards énervés, inquiets ou curieux. Porte close, le regard nerveux alterne sans cesse entre le bureau de la psychologue et la porte de sortie. Il était encore temps de s'échapper, de fuir la réalité, mais le ventre rebondi ralentirait son ascension vers la liberté. Panique grandissante, le thorax se compresse sous le poids, étau qui se referme et compresse le coeur, coupe le souffle.

C'est une main qui la retient, qui l'empêche de prendre la fuite. Geste doux, compatissant. Étreinte bienveillante, geste qui lui fait expulser l'air en trop de ses poumons. Soulagement immédiat, ou peut-être illusoire, mais l'étau libère (enfin) sa poitrine de son emprise douloureuse. Espère-t-elle croiser le regard de sa bienfaitrice en tournant la tête dans sa direction, les doigts se resserrent instinctivement entre les siens pour lui signifier le soulagement qu'elle éprouve à ce contact inattendu. Et dans ses yeux, la poupée se surprend à rédiger les lignes de l'histoire de la jeune femme dans sa tête, à dessiner le portrait de sa peine, cherchant à s'expliquer ce qui peut bien l'emmener ici, elle. Du bout des lèvres, elle mime un thank you empreint de sincérité, le son s'étouffant quelque part au fond de la gorge.