Aujourd'hui il pleut. Beaucoup. Comme si le Déluge divin venait s'abattre sur Boston. Heureusement pour moi, je crois pas en Dieu. La religion n'est pour moi qu'un optimisme mal placé, cruel et sans pitié avec les différences. Une cage pour ma liberté. Enfin bref, je vais pas traîner longtemps sous un temps pareil. Je sors mon parapluie, noir évidemment, de mon casier avant de me diriger vers la sortie du lycée. La façade du lycée, bien qu'impressionnante, me donne surtout l'impression de pas être à ma place. J'ai les meilleures notes dans bien des matières, mais le problème n'est pas là. Cette école semble accueillir plus de riches qu'autre chose et que je ne devrais pas côtoyer ces gens là. Faut dire, je ne les côtoie pas vraiment. Ils m'ont tout de suite considéré comme une paria, et je m'en plains pas. Ça me permet de pas avoir à écouter leurs discussions puériles sur la dernière vidéo qui fait le buzz ou sur les nouvelles tendances à la mode. Moi, mon truc c'est les livres. Alors maintenant, direction la bibliothèque. Je viens de finir le traité de tolérance de Voltaire et je n'ai plus rien à lire.

Je fais un détour pour aller me prendre un café bien fort pour me maintenir éveillée, j'ai beaucoup de lecture à faire et peu d'heures de sommeil derrière moi. Je m'allume une clope après avoir récupéré mon café, histoire de se réchauffer sous cette pluie qui semble vouloir séjourner à Boston.

Sur la route vers la bibliothèque, le vent se met à souffler. Décidément, les éléments se déchainent. Au point d'en lâcher mon parapluie, et de me retrouver trempée en quelques instants. Malheureusement pour moi, ma veste en cuir ne protège ni mes jambes, ni ma tête. Je me mets à le chercher désespérément, en croisant les doigts pour qu'il ne soit pas cassé. Je m'abrite comme je peux, ne souhaitant pas tomber malade. Soupir, quelle maladroite je fais. Je cherche dans toutes les directions avant de me rendre compte qu'il vient d'atterrir sur la tête d'une jeune femme, qui passait par là. Un petit cri sort de ma bouche, sous l'effet de la surprise. - Putain ! je m'écrie pour moi-même. Je m'approche en trottinant, mon sac au dessus de la tête pour me protéger, de cette femme qui vient de se prendre un coup de parapluie par ma faute. - Excusez moi ! Je suis vraiment désolée ! Je lui sors en panique. Vous n'avez rien ? Manquerait plus que ça. Blesser quelqu'un à coup de parapluie, ce serait le comble.

Encore une fois, ma voiture semblait m'avoir lâchée. Je n'avais pas réussi à la redémarrer sur le parking du SunRock alors que j'y étais passé récupérer mon chargeur de portable oublié la veille au soir. Et je m'étais retrouvée coincée comme une idiote là-bas, à cause des trombes d'eau qui s'abattent sur la ville. J’aurais pu appeler quelqu’un, qu’on vienne me chercher à l’autre bout de la ville, mais je ne voulais déranger personne, déjà que mon entourage était suffisamment présent pour moi au quotidien. Alors il ne me restait qu’à rentrer à pied, qu’à affronter la pluie, parce que je ne pouvais savoir quand ça allait cesser.

Après avoir enlevé mes appareils pour qu'ils ne prennent pas l'eau, je sortais sous cette pluie battante, serrant mon blouson contre moi, qui ne résisterait pas à la pluie. Déjà, l’eau froide me transperçait les os, me glaçait et mes cheveux tombaient sur mon visage, collant à ma peau sans que je puisse y faire quoique ce soit. Une bonne douche chaude serait sûrement nécessaire lorsque j’arriverais à la Currier mais j’en étais encore bien loin pour l’instant, puisque ça faisait seulement 10 minutes à peine que j'affrontais ces trombes d'eau glacées. Je serre un peu plus mon maigre blouson contre moi alors que j'accélère le pas, passant devant plusieurs grands bâtiments, que ce soit des immeubles d'habitation ou des locaux commerciaux. Pourtant, je n'entendais pas le bruit de la pluie s'écrasant contre le bitume, je n'entendais pas le bruit des voitures passant au milieu des flaques d'eau, éclaboussant tout sur leur passage. J'étais dans un silence apaisant, et bien que trempée, je m'arrêtais un instant pour profiter de ce calme intérieur, au milieu de ce déluge, fermant les yeux et prenant une grande inspiration, secouée par ces bourrasques presque violentes qui s'acharnent sur Boston.

Je sens quelque chose me heurter, au niveau de la tête, et rouvre les yeux brusquement, cherchant d'où ça vient. Je frotte l'arrière de mon crâne, pour dissiper la douleur, alors que j'ai été plus surprise qu'autre chose. Je vois finalement un parapluie un peu plus loin, grand ouvert et qui tourne sous l'effet du vent. Je m'en approche et le ferme rapidement, avant qu'il ne blesse vraiment quelqu'un. En me retournant, pour reprendre mon chemin, je constate qu'une fille court vers moi, aussi trempée que moi. Et elle se met à me parler, tellement vite, que je peine à saisir le mouvement de ses lèvres. Je fronce les sourcils, ne parvenant pas à identifier le moindre mot. Je lui lançais un regard de panique, signant rapidement, "Je suis sourde… " Pour accompagner mes gestes je lui montrais le parapluie replié et elle, avec un air interrogatif. Et bien sûr avec la pluie, je ne pouvais ni sortir mon portable, ni un calepin.

Encore paniquée par cet incident improbable, je ne me rends pas compte de ce que cette magnifique jeune femme me dit, ou plutôt, me montre. Persuadée que je vais me faire gronder comme une enfant, je préfère détourner le regard, et j'aperçois le parapluie. Je le récupère, elle a gentiment pris soin de refermer, l'ouvre à nouveau et nous abrite en dessous. C'est la moindre des choses après tout.
Me tournant vers elle, je remarque qu'aucune remarque n'est venue de sa part. Interloquée, je lui demande à nouveau, un peu plus calmement cette fois "Vous allez bien ?". Je commence à croire qu'elle a une commotion à cause de moi. "Vous voulez que j'appelle les secours ?" je lui demande, à nouveau paniquée. Je ne comprends pas ce qui m'arrive,moi qui suis d'habitude calme et sérieuse, je panique face à elle. Je perds tous mes moyens. La pluie qui continue de s'abattre sur nous devient dérisoire, maintenant qu'un parapluie nous protège toutes les deux.

Je me voyais passer l'après-midi au chaud à la bibliothèque, mais je crois que je vais oublier. Soudain, alors que je suis toujours aussi paniquée et que je prête encore peu d'attention aux réponses, ou à leur absence, de mon interlocutrice, je finis par me rendre compte un peu tard qu'elle n'a toujours rien dit pour les secours. J'allais lui proposer d'aller boire un café, pour me faire pardonner et pour s'abriter, mais son absence de réponse me fait revenir à la réalité. Je m'approche alors un peu plus d'elle, et lui demande, droit dans les yeux "Je vous ai fait peur?". Oubliant toute autre possibilité, je me mortifie d'avoir pu être si paniquée qu'elle ait trop peur de répondre à mes propos.