C'était une évidence. Je n'étais pas une femme comme les autres...  Je ne l'avais jamais été. Je n'avais jamais été à l'école. J'avais appris à écrire que très tard. J'avais été sur le marché du travail plus tôt que prévu grâce à des faux papiers... Rien ne faisait de moi une personne normal. Et mes relations ne faisaient pas exception à la règle... Je ne pouvais pas me permettre d'avoir quelqu'un dans ma vie. C'était trop dangereux.

J'avais essayé à une époque... Quand j'étais bien plus jeune. Je l'avais aimé... Comme je n'avais jamais aimé personne. Mais je n'avais pas été capable de lui dire la vérité à mon propos. Et aucune relation solide ne se crée sur les fondations du mensonge.... Alors je l'avais éloignée. De la manière la plus blessante que j'avais pu trouver. Lui expliquer la situation n'aurait probablement pas suffit. Il aurait peut être essayé de me retenir et je savais que je n'avais pas la force d'aller contre ce courant. Non il fallait une rupture aussi brutale que blessante...

L'eau avait coulé sous les ponts et mon cœur s'était enveloppé d'une armure de glace. J'aimais les gens mais je ne laissais plus personne s'approcher de cet endroit. Pour mon propre bien... Et peut être un peu le leur.

Ma vie était différente depuis cette époque... J'avais appris à me défendre. A défendre les plus faibles. Ceux dont personne ne veut s'occuper... Et cela passait par de nombreux moyens. Les sports de combats était l'un d'eux.

Faisant mes étirements avant de rentrer dans le cœur du sujet, une voix d'un autre temps me sortie de mes pensées. Avais-je bien entendu ? Relevant la tête, je vis le visage d'un homme que je ne pensais jamais revoir. Pourtant il était bien là devant moi... Kassim. L'espace d'un instant mon regard trahit mes émotions, comme si les vingt dernière années n'avaient été qu'un mauvais rêve. Reprenant rapidement contenance, je secouais la tête avant de me relever. Je connaissais la haine qu'il y avait dans son regard. Et même si ça me blessait profondément, j'avais fait ce qu'il fallait.

- Tes yeux sont plus éloquents que tes paroles, Kass... Tes poings le sont autant ?

J'étais curieuse de voir à quel point sa rancœur envers moi avait pu le faire changer.

Je suis un homme éloquent de la tête aux pieds. Mais certaines personnes ne me verront jamais à l’œuvre. Genre Elle. Elle qui m’a plongé dans une tourmente. Une torpeur. Des années pour m’en remettre. Elle qui m’a conditionné à haïr ce sentiment. Aimer autrui qui me semble si insurmontable. Elle ne mérite rien que du mépris. Et même ressentir des émotions pour sa personne est de trop, je trouve.  Tu t’es perdue ici ? Je ne me rappelais pas que la ville était si étroite pour te voir ici. Je devrais bouger mon cul d’ici mais mes jambes ne bougent pas. Je crois que j’étais en train de la tuer trois quatre par des missiles imaginaires. J’étais pathétique. Vingt ans de passé mais j’avais toujours cette haine - mêlée à la peine tapie dans l’ombre - à son encontre.

Puis on me bouscule et ça me sort de ma torpeur. Je me racle la gorge. Tu veux quelle machine ? Si tu es dans les parages, c’est pour te dépenser après tout. Je deviens con, je perds mes moyens. Je l’ai imaginé tant de fois de la croiser. Et j’étais bien plus badass comme disent les jeunes que maintenant, à jouer les puceaux. Et débile que je suis, je grimpe sur un vélo. Ce que je ne fais jamais. Et je pédale. Dans la semoule. Soyons honnête. Parce que je ne voulais pas être le rageux d’ex qui n’est pas passé à autre chose.

Quand bien même, elle était à l’origine d’un cœur qui peine à renaitre, je m’étais éclaté avec tant de femmes et d’hommes. Dans mon mal-être, je ne me suis jamais senti aussi libre pour explorer toutes mes envies, assouvir tous mes désirs. Un mal pour bien, elle en est la personnification, je ne peux pas le nier. Elle grimpe sur un autre vélo. Et merde. Quoi de neuf ? Je la questionne, avec un air détaché. J’étais ridicule. J’ai envie de quitter mon corps. Maintenant. Tout de suite.  

Plus je l'observe, plus mon passé me revient en mémoire. Moi qui me vantait de vivre sans regret, je me voilais totalement la face. Un léger sourire vient se nicher dans le coin de mes lèvres, je secouais négativement la tête. Il pouvait être éloquent lorsqu'il le voulait mais ce n'était clairement pas le cas dans l'immédiat. Cela avait même quelque chose d'assez amusant.

J'arrivais à lire en lui comme dans un livre ouvert. La rancœur dans ses yeux, la haine dans sa voix mais également ma trace sur son cœur. Une marque au fer rouge, indélébile et douloureuse. Mais l'inverse était également vraie... J'avais laissé derrière moi des choses que je n’espérais plus retrouver.  

- Je suis inscrite ici...

Tu ne pensais tout de même pas que j'étais venue ici en touriste parce que j'avais aperçu ta personne derrière les vitres. Le monde est petit lorsqu'on en connait les rues, à se demander comment je n'avais pas pu tomber sur lui auparavant.

Je l'observais encore un moment, m'amusant à me rappeler son visage, ses traits, ses habitudes... Une époque révolue qui semblait me manquer plus que je ne voulais y croire. L'index devant la bouche, un souffle ressemblant à un rire s'échappa de mes lippes à sa question, qui étrangement, était très cordiale.

Plaçant ma serviette sur le vélo qui était à côté de lui, je montais sur la selle avant de me mettre à pédaler. Je commençais toujours par les jambes pour m'échauffer. Mon regard se perdait parfois sur le côté, des souvenirs violents me revint en mémoires. De pourquoi j'étais tombée amoureuse de cet homme à l'époque. Est-ce qu'il pourrait me pardonner s'il savait la vérité ? Est-ce que cela avait encore réellement de l'importance ? L'eau avait coulé sous les ponts depuis...

- Je ne t'ai jamais dit pourquoi j'ai fait ce qu'il y avait à faire... Ça t’intéresse de le savoir ?

Tournant franchement la tête dans sa direction pour planter mon regard dans le sien.

Je pédale. Et ressasse en boucle les propos de l’époque. Comme si c’était hier. Juste gentil. Il fait passer le temps. J’entends encore le son de sa voix. De moi, perdant la mienne tellement je ne m’y attendais pas. Elle fut une des raisons à vouloir m’en sortir. Contribuer à un belle avenir. Mais non, fin du spectacle. Heure de débâcle. Devenu haineux avec les femmes. M’amusant à briser des cœurs. Que chacun subisse le même sort que le mien. Mais jamais la bonne cible. Miracle de se croiser presque vingt ans plus tard. Heureusement au fil des ans, j’étais devenu plus respectueux envers la genre féminin. Préférant annoncer mon infidélité à la monogamie. Pas pour moi. Jusqu’à rencontrer ma petite brune. Je soupire puis sa question me fait froncer le regard. Non. Oui. Je sais pas. Aux dernières nouvelles parce que j’etais fade. Ca a changé entre deux ? Je suis toute ouie. Sarcasme quand tu nous tiens.