@Eben Wolford & @Victoria Lahey
(28.01.2021)

Assise sur l'accoudoir du canapé, j'observe les murs qui sont à présent les miens pour une durée indéfinie mais que j'ose espérer plutôt longue. Après quelques mois instables, j'ai sincèrement besoin de ce re-nouveau. L'appartement, bientôt une nouvelle aventure professionnelle et des amis avec qui je renoue doucement mais surement. J'ai l'impression d'enfin remettre ma vie sur les rails après l'annulation du mariage et la perte de mon emploi à l'hôpital. Si ces cinq mois passés en Bolivie furent une expérience que je n'oublierai jamais, ils avaient surtout pour but de m'autoriser à fuir la réalité, qu'il est grand temps d'affronter. Je n'irais pas jusqu'à dire que j'ai hâte de voir ce que l'avenir me réserve, mais je me sens enfin prête à prendre les choses en mains et retrouver un certain contrôle sur les événements.
Se retrouver ici est pour l'instant très étrange, l'endroit ne m'est pas familier mais il le deviendra avec le temps. Je n'ai pour l'instant amené qu'une très petite partie de mes affaires, principalement des vêtements, quand le reste repose toujours dans un hangar, ce qui n'aide pas à me sentir "à la maison". Ne commençant ma formation à la caserne que la semaine prochaine, je vais avoir quelques jours devant moi pour tout amener petit-à-petit sans l'aide de personne. Je prends le temps d'envoyer un petit selfie sur le balcon à Jonah, le remercie une nouvelle fois de m'avoir proposé de récupérer sa chambre suite à son déménagement à l'étranger, puis me rends à la cuisine. Je ne suis une piètre cuisinière, mais j'ai bien envie de m'essayer à préparer un petit truc afin de célébrer notre nouvelle colocation. J'abandonne cependant vite l'idée lorsque je découvre le peu d'aliments présents dans le frigo et je ne peux m'en prendre qu'à moi-même - faire les courses n'était pas sur la liste de mes priorités aujourd'hui, je n'y ai même pas pensé. Tant pis, pizzas, ça ira très bien aussi.
Je sors de la salle de bain, vêtue de vêtements confortables - trop pour mettre le nez dehors - lorsque Eben passe la porte de l'appartement après sa journée de cours. " Salut, coloc. " Dis-je en lui adressant un large sourire. C'est un peu étrange de me trouver dans l'appartement avant Eben, j'ai l'impression d'être chez lui, mais c'est l'histoire de quelques jours afin de m'habituer. Je ne dis pas un mot de plus pour lui laisser le temps de rentrer, se poser, ignorant quel genre de personne il est à la fin de sa journée. Peut-être qu'il fait partie de ceux qui aiment être tranquilles, ce serait con de partir du mauvais pied tous les deux parce que je lui saute dessus. " Si ça te tente, on pourrait commander des pizzas pour ce soir ? J'aurais bien aimé cuisiner mais je n'ai pas trop eut le temps de faire des courses. " Des pizzas et du soda, j'ai bien retenu qu'il n'aime pas forcément boire, et mon foie l'en remercie déjà!

« Prends ton temps. » Je lui adresse un sourire, le laisse s'éclipser dans sa chambre et m'approche quant-à-moi de la baie vitrée pour observer Boston doucement être plongée dans le noir. On est assez haut pour avoir une vue assez époustouflante, même si la ville n'a rien à envier à la grosse pomme. Peut-être que c'est là bas que j'aurais du prendre ce nouveau départ... Retrouver mes racines, mes parents, et laisser derrière moi tout ce qui compose ma vie depuis douze années. L'idée m'effleure l'esprit mais n'a pas le temps d'aller plus loin, alors que je détourne mon attention de la fenêtre pour la porter sur Eben qui m'a rejoint. Non. C'est ici qu'est ma place et beaucoup de mes espoirs reposent sur cette colocation, et cet homme qui ne me connait pas comme " Victoria la chirurgienne, bientôt mariée " mais juste Victoria. La femme paumée qui a tout perdu mais ne se laisse pas abattre pour autant. « Ça marche. » Dis-je, en allant m'installer dans le fauteuil, tout en sortant le téléphone de ma poche pour ouvrir uber eats. Je fais défiler nos options sur l'écran et relève les yeux de ce dernier pour me saisir du verre qu'Eben me tend. « Merci. » Quelqu'un qui ne boit pas, ça va aussi me changer. Sans avoir un problème avec l'alcool, j'ai tendance à tout fêter (ou anesthésié) avec une bouteille de vin ou de Tequila dernièrement. Le fait de ne plus avoir aucune responsabilité professionnelle n'aide pas vraiment à freiner ma consommation, n'ayant pas mieux à faire de mes journées que flâner, mais tout ceci va bientôt changer. Pour le mieux. « Un peu, j'ai l'impression d'être chez toi mais  c'est juste le temps de m'habituer. » Bientôt mon petit bordel serait partout dans ma chambre et m'aiderait à me sentir un peu plus à la maison. « Pas trop bizarre pour toi ? Ça va te changer de Jonah. » Pour avoir vécut en colocation pratiquement toute ma vie, je sais que partager les lieux avec un homme ou une femme est totalement différent, je ne suis pas la seule à devoir s'adapter à cette nouvelle situation. Il y a quelques années, Eben m'aurait à peine croisée, trop prise pas mes études puis des gardes interminables à l'hôpital, mais seules 45 petites heures figurent à présent sur mon contrat d'ambulancière. Je sélectionne une pizza peperroni avant de lui tendre mon portable pour qu'il puisse faire son choix à son tour. Je ne sais pas lui mais après avoir passer la journée à faire des allers-retours avec mes affaires et tout déballer, je suis exténuée mais surtout affamée.

Je souris et réalise que de mon côté, je ne sais pas ce qu'est la solitude. Lorsque j'ai bougé de chez mes parents, c'était pour m'installer sur le campus pour ma première année et partager ma chambre avec quelqu'un de ma faculté. Je suis ensuite passée en colocation puis à la vie de couple, pour repartir en colocation avant d'emménager avec Beth. Ma vie n'est qu'une boucle sans fin, j'ai un peu l'impression d'être un hamster qui tourne dans sa roue sans jamais s'arrêter, répétant les mêmes erreurs encore et encore. Triste constatation. « Je n'ai jamais vécut seule et je pense que je ne suis pas prête à essayer. Comme tu le dis, ça fait plaisir de rentrer et d'avoir une présence. » Même si j'ai aussi des moments où je désire juste être seule dans ma chambre. L'avantage de la colocation est de pouvoir faire les deux, selon nos humeurs, raison pour laquelle j'espère vraiment que ça va bien se passer entre Eben et moi. « T'as de la chance, j'étais enfant unique. » Nul doute que c'est de là que vient mon petit côté capricieux, pourrie gâtée par papa maman parce qu'ils n'avaient que moi.
Je récupère le téléphone que je pose sur le meuble, écran contre ce dernier afin de ne pas être tentée de vérifier mes notifications durant notre conversation. Je dois bien avouer passer un peu trop de temps sur les réseaux sociaux, alors que je suis la première personne à râler quand quelqu'un a les yeux sur son téléphone alors que je lui parle, j'essaye donc de faire des efforts à ce niveau. « Non, pas tout de suite. Le déménagement m'a surtout épuisé physiquement mais je vais tenir au moins deux petites heures pour ne pas être levé aux aurores demain. » Je suis bien trop habituée aux courtes nuits, si je me mets au lit avant 22H, c'est certain que je serai prête pour ma journée à 4 heures du matin ! « J'avais mis une bonne partie de mes affaires dans un entrepôt, je n'ai apporter que l'essentiel pour l'instant. Je continuerai petit à petit cette semaine. » Je lui explique et lui adresse un sourire, avant de me diriger à nouveau vers la baie vitrée. « Je pense que la vue est ce que je préfère dans l'appart. » Bon c'est un peu tôt pour le dire mais vraiment, j'ai hâte de voir l'été arriver pour flâner sur le balcon et voir le soleil se coucher sur Boston.

Je hoche la tête, sans cherche à contre-argumenter, n'ayant aucune idée de ce que c'est de devoir partager mes jouets, mes parents, ou me battre pour le choix du programme télévision. J'imagine que ça peut vite être épuisant et compétitif d'avoir des frères et sœurs, mais ça m'a tout de même manqué toute mon enfance. J'ignore si mes parents étaient arrêté sur la décision de n'en avoir qu'un, ou s'ils ne sont juste pas parvenu à en avoir un deuxième et je ne leur poserai pas la question. Pour avoir dû avorter une grossesse difficile fin 2014, je suis bien placée pour savoir que c'est une blessure qui ne se referme jamais totalement et ne risque donc pas d'en parler à ma mère.
« On peut, oui ! » Dis-je, sans être certaine que nous serons capable de suivre à travers les nombreuses questions que nous avons. D'un autre côté, je suis k.o et nous allons avoir tout le temps du monde pour se les poser, il n'y a pas urgence. « Écoute, je ne veux pas t'ennuyer alors que tu as tes études et tout mais si tu as un jour quelques heures pour moi, je ne dis pas non. Une paire de muscles sera la bienvenue! » Dis-je en rigolant, alors que je pense à la montagne de chose à déplacer. Je ne suis pas faible mais autant dire que mes avants-bras ne sont que douleur ce soir, d'avoir déplacé tous ces cartons, alors un petit coup de main n'est pas de refus. « Chauffer la terrasse n'est peut-être pas l'idée du siècle pour sauver la planète mais je vais te prendre au mot je crois, c'est trop tentant. » Je me vois déjà posée là, avec un café mon petit plaid et un bouquin. Le paradis. D'autant plus que je vais avoir bien plus d'heures à moi que lorsque je travaillais à l'hôpital. A l'époque, l'appartement que je partageais avec Beth ne me voyait que pour prendre une douche et dormir, rarement pour en profiter. J'essaye de ne pas avoir de regrets, parce que ma carrière a toujours été une priorité absolue, mais je ne peux m'empêcher de me dire que j'ai perdu du temps précieux à créer des souvenirs avec elle. « Trop bien! Tu aimes ça? » Sait-on jamais, il ne serait pas le premier à se planter dans son choix d'études et à continuer pour ne pas perdre des années. « Je ne vais pas te voir souvent, en fait. » Dis-je. Simple constatation, ça ne me fait ni plaisir pas plus que ça m'attriste. Ça a du bon une coloc où on ne se marche pas sur les pieds H24, mais j'espère qu'on aura l'occasion de passer des petits moments ensembles, comme ce soir. « Oh je vais en avoir mille! On s'organise comment pour les courses ; est-ce que chacun fait son petit truc, où on achète tout ensemble? Est-ce qu'il y a une heure précise où tu as besoin de la salle de bain? Est-ce que tu as des allergies? » J'énumère avec un large sourire aux lèvres. On ne va pas établir un planning en trente minutes mais il faudra aborder tout ça rapidement, histoire d'être sur la même longueur d'onde. « Mais on est pas obligés d'entrer dans tous ces détails ce soir. » Précise-je, avant de le rejoindre sur le canapé.