Leta regarde les murs de ce grand bureau qui n’est autre que le sien. Un bureau moderne, bien rangé. Un bureau à son image tout simplement. Les armoires sont déjà remplies de dossiers importants, d’autres un peu moins. Et pourtant, même si elle ne doutait pas de récupérer une partie de son ancienne clientèle, Leta n’imaginait pas récupérer autant dès son retour. Elle est contente, mais elle sait que le chemin sera encore long et semé d’embuches. Elle devra travailler dur, elle devra parfois faire des sacrifices mais tout cela ne lui fait pas peur. Elle aime ce qu’elle fait et depuis qu’elle est petite on lui connait cette détermination qui ne l’a jamais vraiment quittée. Son père a un confiance aveugle, il sait très bien entre quelles mains il délègue ce nouveau bureau de Boston. Une nouvelle aventure qui commence, un nouvel objectif d’atteint.

Depuis plusieurs heures déjà, l’italienne a ses prunelles vissées sur l’écran de son ordinateur. Ses doigts caressent les touches de son clavier et elle rédige ses conclusions pour les dossiers qui demandent son attention. Elle doit préparer certaines audiences, elle ne peut pas se permettre le faux pas et si elle doit y passer la nuit, probablement qu’elle le fera. De temps en temps, ses doigts viennent s’agripper à ses cheveux alors qu’elle cherche désespérément une tournure de phrase, une retombée ou tout simplement une conclusion qui pourrait couper l’herbe sous le pied de la partie adverse. Parfois elle est fière, parfois pas suffisamment pour s’arrêter à cela. Comme à cet instant. Elle cherche, elle creuse, elle ne trouve pas vraiment comment rédiger ses conclusions. Leta regarde son assistante de la tête aux pieds. Elle la dévisage, peut-être dans l’espoir qu’une idée lui viendrait et pourtant, pas la moindre. Pas assez inspirante ? Sans doute. En tout cas, cette dernière lui apporte du travail supplémentaire. Comme si elle n’en n’avait pas assez. L’italienne prend son portable et se perd sur les réseaux sociaux. Elle regarde ce monde totalement différent du sien, un monde artistique et bohème ? En tout cas, un monde qu’elle ne connait qu’à travers la danse, qu’elle ne fait même pas suffisamment pour dire qu’elle pourrait prétendre à en faire son métier. Une envie qu’elle n’a pas de toute façon. « Vous connaissez le Sun ? » finit-elle par demander à Laeticia qui reste là comme une potiche à attendre qu’on lui dise quoi faire. « Euh il s’agit d’un bar avec une scène non ? Un truc comme ça je crois. Pourquoi ? » Leta ne prend pas la peine de relever les yeux vers elle, alors que son regard reste fixé sur une vidéo de son cousin nageant dans son élément, au beau milieu de cet endroit qu’elle ne connait pas réellement « Pour rien. Annulez mon rendez-vous de 16h. Repoussez-le à un autre jour » dit-elle en se levant de son siège, et en attrapant son sac, sa veste et en se dirigeant vers la sortie du bureau « Mais qu’est-ce que je lui dis ? » Question idiote, réponse idiote … « Ben j’en sais rien, à vous de trouver. On vous paie suffisamment pour ça non ? A quoi ça sert qu’on paie des assistantes à prix d’or sinon, on peut me dire ?» Leta n’en dit pas plus, ne lui adresse pas un regard et a déjà tourné les talons, prête à prendre l’ascenseur dans le seul et l’unique but de prendre l’air. Ou trouver l’inspiration, elle aussi ?

En rue, Leta s’emmitoufle dans son écharpe, sa veste et son béret. Elle prend le temps de mettre ses gants cuivrés noirs et, perchée sur ses bottes à talons, elle opte pour la marche plutôt que la voiture. Besoin de prendre l’air, de s’entendre penser, réfléchir ou tout simplement, de ne plus entendre la voix de Laeticia et ses questions idiotes. Jamais Leta ne se dirait qu’elle est peut-être trop exigeante, jamais elle ne se dirait qu’elle peut aussi être déstabilisante, non. Elle a besoin d’employés qui tiennent la route, des employés qui ont du caractère, qui font preuve de proactivité. Ce n’est visiblement pas son cas à elle, et ça l’exaspère. Leta arrive sur Harbor Area et cherche l’endroit de ses pensées, celui où elle a envie de se rendre. Par surprise. Sans prévenir – chose qu’elle déteste, elle -. Elle finit par avancer, pousser la porte et regarder l’endroit dans lequel elle vient d’entrer. C’est pas tellement le genre d’endroit où elle se rendrait si elle n’avait pas un réel but. C’est pas le genre d’endroit où elle se sentirait à l’aise mais néanmoins, elle souligne le concept et la créativité qui s’en dégage. Elle regarde un peu partout, ou du moins elle cherche sans s’adresser à quiconque et parfois, elle s’arrête et observe sans dire un mot. Finalement, une voix familière l’attire, et sans rien demander à personne, l’italienne prend l’escalier pour descendre un étage plus bas. Elle reste un instant dans un coin, sans faire de bruit, elle observe et puis finalement, elle s’approche dans le dos de Lukas en silence pour glisser ses mains sur les yeux de son cousin et lui murmurer à l’oreille « Devine qui c’est ? t’as qu’une chance, fais gaffe. »

L’audace la décrit, ou peut-être une assurance qu’on lui connait. Une personne normale aurait peut-être demandé son chemin, ou du moins, l’endroit où se trouve Lukas. Leta a préféré chercher d’elle-même, pour finalement avoir reconnu sa voix. Elle est entrée sans même s’inquiéter de savoir si c’était vraiment ouvert, elle a juste cherché des infos autres, pour finalement décider de s’y rendre sur un coup de tête. Une façon pour elle aussi de sortir le nez de ses dossiers, de prendre l’air, de voir du monde autre que ces personnes qui gravitent dans sa sphère professionnelle. Peut-être aussi d’autres personnes que les Barlow. Elle a ce besoin de souffler, de couper les ponts et d’oublier le pourquoi aujourd’hui elle est la fille qui est partie du jour au lendemain. Elle le sait, elle l’assume et si elle s’est uniquement basée sur la décision de son ami d’enfance, elle l’a probablement fait en connaissance de cause. Leta savait qu’il lui dirait de partir, de ne pas se marier. Parce qu’entre eux, c’est comme ça depuis longtemps : toujours casser les histoires de l’autre. Une possessivité renflouée ? Oui peut-être mais encore faut-il qu’ils l’acceptent.

Leta n’est pas vraiment du genre à fréquenter ce type d’endroit, et probablement que c’est l’une des raisons pour laquelle elle est là aujourd’hui. Elle ne compte pas se fondre dans la masse, elle ne prend pas le temps de s’intéresser à l’art et ne fait pas semblant. Elle est fière de son cousin, fière de lui pour cette idée, cet endroit, mais probablement qu’elle préférera l’encourager de loin, au milieu de ses dossiers, dans son bureau moderne, entre deux coups de téléphone, entre deux négociations ou encore, entre deux plaidoiries. Ils sont différents, même si plus jeunes ils étaient plus similaires. Mais elle a grandi, muri, elle a vu cette vie d’adulte comme un challenge, et surtout un moyen de se démarquer. Elle doit percer dans un monde où le sexe fort n’est autre que la gente masculine, un monde de requin, et pourtant un monde où elle commence à trouver sa place, dans lequel elle est épanouie. Ramasser les coquillages des jolies plages de Sardaigne pour les peindre et tenter de les revendre contre d’autres coquillages, c’est dépasser. Les jolies balade en musique, les feus sur la plage avec le doux son de la guitare également. Tout ça, c’est dépassé. Depuis combien de temps n’a-t-elle plus entendu le son d’un instrument, au juste ? Depuis longtemps. Aujourd’hui, Leta subit la musique de tous les jours, refaite et surfaite. Pas de quoi prétendre à de vrais musiciens, si ?

Elle reconnait Lukas de dos, un léger sourire s’étire sur son visage. Il fait partie de son cercle fermé, ceux qui savent qu’elle n’est pas juste froide, hautaine et égocentrique. Elle patiente un peu avant de s’en approcher, elle l’observe dans son élément, elle est presque soulagée de le voir épanoui, mais fatigué ? oui, peut-être que c’est ça.

Sans doute, en fait.

Ses doigts posés sur le visage de son cousins, elle a complètement loupé son coup. Il la reconnait, directement. Elle aurait dû s’y prendre autrement, lui tenter le coup du jeux de piste comme quand ils étaient petits, mais ça prend du temps et de l’énergie, qu’elle n’a pas pour le moment. « Bingo ! T’es trop fort à ce jeu, je devrais changer. » Leta lui adresse un sourire et lui colle un baiser sur la joue. Elle est contente, même si c’est pas hyper flagrant. Mais si, contente et fière. « T’as oublié de préciser que j’étais la meilleure des cousines. » un léger rire s’échappe, puis elle le regarde encore, telle une grande sœur qui s’assure que son petit frère va bien, dort correctement et mange bien 5 fruits et légumes par jour « C’est quoi cette mine ? C’est cet endroit qui puise toute ton énergie ? » Leta prend place sur un tabouret « C’est donc ici ton antre ? C’est sympa. » Elle grimpe sur scène, elle l’observe d’en bas et lui tend la main pour qu’il la rejoigne « Pourquoi tu restes en bas de cette scène ? Un musicien qui ne monte pas sur scène, c’est comme un avocat qui ne passe jamais les portes d’un tribunal » dit-elle avec un peu de tendresse dans la voix. Elle est directe malgré tout, elle met les pieds dans le plat directement. Sans passer par la case délicatesse.

Tu souris lorsque tu entends ton cousin te rappeler l’odeur de ton parfum. Parfois tu le changes, mais ça reste ton préféré et de temps en temps, tu te sens même rassurée de le sentir. Ca te remémore certains souvenirs aussi, des souvenirs que t’as peur d’oublier. « Eh ben dans ce cas, je te propose qu’un de ces quatre on fasse une séance shopping, et on va m’acheter un parfum, et c’est toi qui le choisiras  » dis-tu en lui adressant un sourire. Ca vous permettra de passer un peu de temps ensemble, et puis comme ça, ce parfum aura sa petite histoire. La vôtre, en fait. A tous les deux uniquement. Ca fait bien des années que t’as l’impression de ne pas avoir pris le temps de le passer avec Lukas. Entre ton boulot, ta vie de couple de l’époque, la danse tu n’avais plus beaucoup de temps pour ta famille. Même pour tes sœurs, jusqu’à ce qu’elles débarquent chez toi telles des tornades pour t’expliquer ce qu’est réellement la vie. Mais est-ce vraiment ta vie ? T’en es pas moins sûre. Tu fais mine de réfléchir, alors qu’il te propose le statut de meilleure cousine qu’il aime. Tu le regardes avec des petits yeux plissés, pour finalement acquiescer. Oui, c’est bien. Ca te plait et tu lui montre en claquant gentiment ta main dans la sienne.

Tu n’aurais probablement donné autant d’énergie pour cet endroit, mais tu l’as bien fait toi aussi pour ton cabinet. Tu veux que tout soit parfait, que le classement soit comme tu le veux, que tous les classeurs soit bien notés, qu’ils ne soient pas vieux ni abimé. Tu veux des meubles modernes et pas de la récup et surtout, tu veux un endroit accueillant, mais classe et sérieux. Tu sais pourtant que cet endroit reflète bien Lukas. Et tu comprends son envie de passer du temps et de l’énergie dans ses projets, ses objectifs « Je comprends, quand on a une idée en tête, on fait tout pour que ça se réalise et que ce soit comme on l’a imaginé. Pourquoi tu crois que mon cabinet est prêt avant ma propre maison ? » tu rigoles légèrement, mais c’est un de tes plus gros défauts : laisser passer ton travail avant ta vie privée. Il n’y a qu’à voir comment s’est résumé ton presque-mariage. Ca aussi tu l’as fait passer après ton travail. « Je t’ai déjà connu plus convaincu quand même. Pourquoi t’es pas en train de sabrer le champagne ? » t’es prête à parier que cette scène en est pour quelque chose, avec probablement d’autres souci ? « Mmmh. De l’eau c’est bien. Ou comme toi en fait. ».

T’es jamais vraiment montée sur une scène, toi ton truc c’est la danse, et encore tu le faisais pour te détendre, pour te défouler mais jamais tu n’as voulu ni espérer le faire professionnellement. Tu l’invites à te rejoindre, et tu remarques son hésitation, ou son manque d’envie. Tu insistes, avec de la tendresse sur le visage. Après tout, vous n’êtes que tous les deux « Lukas, laisse le temps au temps. Il guérit tout, crois-moi. Il faut juste que tu te fasses confiance, et que tu te laisses du temps mais c’est pas pour ça que tu n’es pas musicien, ou que t’es mauvais. »