« Ok, j'arrive. »

Mon bras retomba lourdement le long de mon corps, mon iPhone maintenu avec force contre ma paume. J'étais longuement restée ébahie en lisant le dernier message de Roxy ; la confession qu'elle venait de me faire n'avait rien d'anodin. Elle pensait être en train de tomber amoureuse et au travers de ses mots maladroits et inquiets, je pouvais voir clairement qu'elle l'était déjà. Le clic de verrouillage de mon téléphone me fit tressaillir et je sortis avec difficultés de ma rêverie.

J'avais rencontré Roxy à mon arrivée à Harvard, pas loin de deux ans plus tôt. Autant dire que notre relation était pour le moins étrange. Nous avions mis quelques mois à nous apprivoiser l'une, l'autre ; je lui avais raconté une petite partie de mon passé. Uniquement mon passage à New York puisque je ne pouvais raconter à personne ma vie avant cela, risquant à tout moment d'éveiller des soupçons et de gâcher ma nouvelle identité. Je lui avais avoué difficilement - elle avait presque dû m'arracher les mots de la bouche - que j'avais eu une dépendance à la drogue pendant un moment et qu'à cette époque là je vivais dans la rue. Depuis cet aveu, j'avais la vague impression qu'elle me surprotégeait et mes doutes s'étaient confirmés quand elle m'avait avoué que je lui remémorais son ancienne meilleure amie.

Nous nous engueulions, nous parlions pendant des heures de tout et de n'importe quoi, mais jamais je n'avais entendu Roxy ne serait-ce que s'approcher du terme de l'amour. Voilà ce qui expliquait ma réaction et le fait que je reste figée face aux mots qu'elle venait de m'envoyer de façon inattendue.

La tête du bonhomme de neige que j'étais en train de faire deux minutes plus tôt tomba sur mes cuisses, me faisant hurler et m'étaler de tout mon long sur le dos au sol. Je me relevai, définitivement frigorifiée et m'éloignai d'une démarche précipitée, laissant mon bonhomme décapité. Arrivée à la résidence, je fonçai directement à l'étage de Roxy et fis irruption sans frapper.

« Salut Rouky ! » dis-je en allant l'embrasser. Rouky était le surnom que je lui donnais depuis qu'elle avait un jour osé m'appeler Billy Elliot. Rox étant le diminutif de son prénom, je n'avais pu empêcher ma référence vaseuse au Walt Disney Rox et Rouky, trouvant qu'elle tenait plus de Rouky que de Rox. « Je te pique des fringues, je me change parce que je suis littéralement trempée et ensuite il faut qu'on parle. » terminai-je en filant dans son dressing pour retirer le tissu glacé qui me collait à la peau.

Friendship isn't a big thing - it's a million little things.

« Ok, j'arrive. » Roxanna fronça les sourcils un long moment, assise sur son lit, genoux regroupés contre sa poitrine. Elle resta bloquée un moment, son regard bleu rivé sur l'écran de son téléphone, qu'elle envoya à l'autre bout de son lit en s'étalant de tout son long sur son matelas. L'amour lui était toujours apparue comme une chose ridicule, dont la belle danseuse n'aurait jamais besoin. Mais c'était sans compter sur Jude, et sur leur véritable coup de foudre. Voilà bientôt deux semaines qu'ils se connaissaient, et il en savait plus sur elle que n'importe lequel de ses amis jusque maintenant. Et, même si ça l'effrayait, elle venait d'admettre à demi mot qu'elle était en train de tomber raide dingue du Mather. Et c'était sans aucun doute pour cela que Billie, directement, lui avait dit qu'elle arrivait. La blondinette allait surement se prendre en plein visage une avalanche de questions.

Elle se leva de son lit et fila dans sa salle de bain, histoire de dompter sa longue chevelure blonde en attendant que son amie daigne pointer le bout de son nez. Puis elle se regarda longuement dans le miroir : Ce soir, il allait falloir utiliser de l'anti cernes à grosses doses, sachant que Roxy avait très peu dormi cette nuit. Alors qu'elle retournait dans sa chambre pour ranger tranquillement dans son dressing sa robe pour ce soir, Billie déboula comme une furie, ouvrant la porte sans même prendre la peine de frapper. « Salut Rouky ! » dit-elle joyeusement, trempée de la tête aux pieds. Elle, elle avait joué dans la neige, encore. « Hey, Billy Elliott ! » dit-elle avec un sourire narquois, tout en la prenant dans ses bras, avec une légère distance pour ne pas terminer totalement trempée à son tour. « « Je te pique des fringues, je me change parce que je suis littéralement trempée et ensuite il faut qu'on parle. » Roxanna soupira et la laissa filer jusqu'à son dressing, alors qu'elle, de son côté, retourna s'étaler de tout son long sur son lit. Elle cria haut et fort pour être sure que son amie l'entende : « J'devrais pas aller à ce bal. J'ai jamais été aux bals de Saint Valentin ! J'vais me planter, j'te jure, j'suis pas habituée ... En plus Jude a dit qu'il irait faire l'idiot avec quelques Mathers..»

Elle enfonça son visage dans son oreiller, espérant que le temps pourrait s'arrêter l'espace d'une seconde. Billie revint dans la pièce, et Roxanna se repositionna comme tout à l'heure, appuyée sur le mur, genoux regroupés contre elle. Elle fronça les sourcils . « J'ai peur que ... Qu'en traînant avec des Mathers trop habitués à la drogue, il replonge ... Il est trop tenté dans cette maison, c'est pas gérable, et ça me fait peur ..» Et c'était vrai. Les quelques étudiants de cette maison qu'elle connaissait buvaient, baisaient et se droguaient avec tout ce qu'ils trouvaient. Et ça avait le don de mettre Roxanna hors d'elle. La dernière fois elle avait même refusé de laisser Jude rentrer chez lui parce qu'il y avait une fête là bas. « Tu vas au bal aussi, hein? »

Frigorifiée, je cherchai avec précipitation dans le dressing de mon amie de quoi me changer ; quelque chose de chaud, de préférence. La neige, ça allait cinq minutes. C'était beau, blanc, somptueux, ça avait de quoi vous amuser pendant des heures mais il y avait un gros inconvénient: vous en ressortiez inévitablement trempé et refroidi pour trois jours. Et j'avais une sainte horreur du froid. Mon corps refusait catégoriquement de s'acclimater à l'hiver ; j'avais beau enfiler pull sur pull, mettre des moufles, un bonnet, une écharpe, une chapka, une combinaison bibendum, je finissais toujours congelée et bougonne.

Je jurai en faisant tomber une pile de tee-shirts dans ma précipitation et me mis à genoux pour replier le tout en coinçant une mèche rebelle derrière mon oreille. Continuant d'écouter Roxy qui était toujours dans la pièce d'à côté, je roulai des yeux face à son éternelle indécision. « Si, tu dois y aller. » dis-je sur un ton de reproche. Je me débarrassai rapidement de mes vêtements, en faisant une boule que je poussai dans un coin du dressing et attrapai une serviette pour sécher mon corps avant de lui faire subir le même traitement que mes habits. J'enfilai un pull en coton bleu marine et me débattis pour en trouver la sortie. « Justement, si tu es là l'envie d'aller faire le con lui passera probablement plus facilement, » continuai-je, la voix étouffée par le tissu. « Tu sais que moins il traînera avec eux, plus facile ce sera pour lui de se sevrer de la drogue. Je pense que c'est nécessaire que tu y ailles. Même si tu as la trouille. » Je boutonnai le slim rouge que j'avais fini par trouver et enfilai une épaisse paire de chaussettes que je coinçai de manière très classe par-dessus mon pantalon. À mort le sophistiqué, je préférais avoir chaud.

Une fois mes cheveux peignés, je revins en trottinant dans la chambre de Roxy et allai m'asseoir en tailleur à quelques centimètres de ses jambes, si bien que je pus poser mon menton sur ses genoux repliés. Je lui fis un sourire, le plus rassurant possible et soupirai. « Je sais... C'est vrai que c'est un peu craignos pour lui d'être dans cette maison alors qu'il essaie d'arrêter. Mais... » Je me redressai et mes mains remplacèrent mon menton sur ses genoux, que je pressai délicatement. « Je pense qu'il peut quand même réussir à tenir. Il faut déjà une sacrée volonté à la base pour décider d'arrêter sans aide extérieure ; mais il t'a toi et je crois vraiment qu'il est accroc à toi désormais alors peut-être que tu deviendras son substitut, » tentai-je en riant légèrement, croisant mes bras autour de ses cuisses et posant de nouveau mon menton sur ses genoux. « Je suis bien décidée à le soutenir aussi. Il sait ce qu'il en est de ma situation et je lui ai dit que dès qu'il sentait qu'il avait besoin d'un soutien moral, il pouvait m'appeler. » Je haussai les épaules, convaincue. « Je suis persuadée qu'il peut le faire. » Je lui fis un ultime sourire rassurant et je m'éloignai d'elle tandis qu'elle me posait une nouvelle question. « Je sais pas, j'ai pas très envie. J'aime pas cette date. Les mecs sont trop... gluants. »

J'avais déjà fait l'expérience l'année précédente ; j'avais fait l'erreur d'aller à une fête pour la Saint Valentin. J'avais eu une aventure d'un soir avec un mec qui, à cause de cette date de malheur, avait pensé que ça pouvait vouloir dire plus. J'avais mis trois semaines à me débarrasser de ce pot de glue et j'avais alors décidé de ne pas faire deux fois les mêmes erreurs.

Riant de ma propre incapacité à éprouver des sentiments alors que Roxy était justement en train de faire un saut dans le vide avec Jude, j'allai chercher la guitare acoustique qui traînait vers son bureau et revins m'asseoir au pied de son lit. « Un peu de musique pour se changer les idées ? »

Friendship isn't a big thing - it's a million little things.

Plus le temps passait, et moins Roxanna se trouvait la force de se rendre au bal de Saint Valentin. C'est vrai, après tout, elle n'avait jamais été dans ce genre de bals, si ça se trouve elle allait se ridiculiser une fois sur place ! Hélas, cette idée ne semblait pas être partagée par Billie, qui affirma fermement « Si, tu dois y aller. » Elle s'essuyait avec une serviette, pendant que je soupirais, affichant sur mon minois enfantin une moue boudeuse. Elle attrapa un de mes pulls bleu marine, qu'elle enfila, tout en continuant de parler: « Justement, si tu es là l'envie d'aller faire le con lui passera probablement plus facilement. Tu sais que moins il traînera avec eux, plus facile ce sera pour lui de se sevrer de la drogue. Je pense que c'est nécessaire que tu y ailles. Même si tu as la trouille. » Roxanna grimaçais en hochant la tête, l'observant qui se tortillait dans son slim rouge. Le sien ou celui de Billie ? Il lui semblait bien que c'était le sien et qu'elle lui avait emprunté il y a quelques jours. Tant pis, ça leur arrive tellement souvent de partager leurs vêtements que parfois elles ne savent plus différencier qu'est ce qui est à qui. « Oui ... T'as peut-être pas tort. Non, t'as même pas tort du tout. Je le connais à peine et pourtant, j'ai l'impression de vraiment le canaliser lorsque je suis avec lui. »

Une fois finalement habillée, Billie revint vers Roxanna afin de se positionner assise face à elle, tête posée sur les genoux de la blondinette. Elle fit un sourire, puis un léger soupire: « Je sais... C'est vrai que c'est un peu craignos pour lui d'être dans cette maison alors qu'il essaie d'arrêter. Mais... » Ses mains remplacèrent sa tête sur les genoux de Roxy, tandis que cette dernière croisait les bras d'un air soucieux. « Je pense qu'il peut quand même réussir à tenir. Il faut déjà une sacrée volonté à la base pour décider d'arrêter sans aide extérieure ; mais il t'a toi et je crois vraiment qu'il est accroc à toi désormais alors peut-être que tu deviendras son substitut. Je suis bien décidée à le soutenir aussi. Il sait ce qu'il en est de ma situation et je lui ai dit que dès qu'il sentait qu'il avait besoin d'un soutien moral, il pouvait m'appeler. Je suis persuadée qu'il peut le faire. » Elle fit un rire, suivie rapidement de la danseuse. Billie avait ce don naturel de toujours faire sourire facilement ceux qui l'entourent. Surtout Roxy. Et surtout, cette capacité de convaincre Roxanna dès qu'elle doutait. « C'est ce que tout le monde dit, mais je préfère me méfier. Je sais que c'est pas facile d'arrêter ... Et t'as raison. Sans mon soutient, il y arrivera pas. La dernière fois déjà j'ai du aller jeter ses doses restantes parce qu'il était tenté. Merci en tout cas, d'être là pour lui aussi.. » Billie se redressa, et Roxanna s'allongea sur son lit, appuyant ses coudes sur le matelas en appuyant sa tête sur la paume de sa main droite. La brune était partie chercher la guitare de Roxy, avant de revenir se positionner au bord de son lit en lui proposant un peu de musique. Lentement, la jeune fille hocha la tête de haut en bas. « Seulement si c'est toi qui joue alors, ma guitare me démoralise ces temps ci tellement mes doigts ont été écorchés par elle ! »