“ Take me to the Prom. ”

FAITHFULLY

“ Who else decodes you ? And who's gonna hold you like me ? And who's gonna know you if not me ? Who's gonna hold you ? Me ... Who's gonna know you ? Me. ”

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@Haiwee Wind River

Cela fait pratiquement six mois que j’endosse le linceul du spectre de ma ruine, à errer dans les décombres d’une vie passée que je m’efforce vainement de reconstruire. Petit à petit les briques entassées semblent s’imbriquer en un fragile Tetris qui d’un coup bien placé pourrait éclater.  J’ai retrouvé certains visages familiers, me suis incrusté dans le panel de couleurs qui acidulent leurs existences, ai même ce qui pourrait s’apparenter à un flirt ou presque puisqu’elle semble un peu attachée à ma personne et ce n’est pas pour le blé ou bien encore pour de la drogue. Alors il est des soirs ou je préfère méditer dans mon coin, plus particulièrement sur les docks d’où je peux veiller au grain.

Assis sur un conteneur depuis une bonne heure, mon champ de vision s’étale jusqu’à l’horizon bordé par la pénombre, ma flasque à la main. De temps à autre le phare de The Graves au loin en balaye la surface et laisse présumer d’une arrivée très prochaine, la silhouette d’un chalutier qui fend l’obscurité à chaque appel de ce vieux guetteur. L’air se fait de plus en plus frais au fil des minutes passées à contempler ce monochrome étoilé, une nuit noire par ciel dégagé. Pourtant, à ce problème j’ai la solution puisque mon bras se lève à fréquence répétée pour m’en bruler le gosier. Cette sensation de réchauffement n’est que pure illusion, je le sais mais j’en apprécie avant tout le gout fruité que je n’ai pu pendant trop longtemps savourer. Elle est comme cette liberté retrouvée : factice. J’en viens même à regretter de m’être tiré de taule parce que là-bas j’existais même si ce n’était qu’à moitié. Un coup de fil m’extirpe de mes réflexions et à cette heure avancée de la nuit ce ne peut être qu’une seule personne pour qui j’éprouve curieusement de l’affection. Mais un coup d’œil sur l’écran et c’est encore une désillusion. Ce n’est pas son nom qui ravive les pixels de mon écran mais celui de cette amérindienne un peu à l’ouest qui au fil du temps à trouver sa place dans mon cercle si restreint d'intimes. En un glissement du pouce sur le verre et une fois l’objet porté à mon oreille j’ai répondu à son appel, aussi sérieusement que possible : « Détresse amitié oui j’écoute…  » « Dutch, je suis au Badgirlz. » Le nom ne me dit pas grand-chose et pour cause il doit s’agir de l’une de ces boites de nuit pour ado pétés de tunes qui ne savent plus où pisser une fois la nuit tombée. « Je suis en train de crever. » La flasque est reglissée à l’intérieur de mon blouson, mes idées recentrées sur son timbre éméché, un brin étranger. Elle a l’air affolée, à ne plus comprendre ce qui va lui arriver. « Tu ne sors pas et tu ne raccroches pas. J’arrive. » Mieux vaut la garder à l’autre bout du fil parce qu’elle serait capable de ne plus savoir comment décrocher cette étourdie….  Les paumes arrimées sur le rebord du caisson en alu, je me suis laissé tomber sur le prochain monticule métallique et ai continué à sauter, brisant la berceuse de l’écume par les bruits de mes pas sur les tôles ondulées. « Reste posée à une table si y’a. » Et moi pendant ce temps-là, j’accède à mon siège baquet pour d’un tour de clef allumer les deux brasiers qui enflamment les docks et aller la chercher au plus vite.

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Les kilomètres défilent au compteur et même le pied au plancher, l’aiguille ne grimpe toujours pas assez à mon gout pour étancher ma soif de rapidité. Je me traine et il n’y a rien que je ne puisse faire pour y remédier, fusillant du regard l’horloge digitale qui ne cesse de s’incrémenter. Encore quelques minutes et je devrais parvenir à l’adresse visualisée d’après de vagues souvenirs. « Y a de la buée. » Le téléphone jeté dans le porte gobelet est temporairement réglé sur haut-parleur, mon doigt heurtant maladroitement à plusieurs reprises l’écran dans ce but unique et ultime, celui de continuer à l’entendre me dégobiller le limon de ses pensées. « On ne le fume pas le calumet de la paix. » Alcoolisée au point de sombrer, . « Tu m’en diras tant.» Pourtant il n’y a jamais eu à enterrer la hache de guerre entre nous deux. Futile fut notre première rencontre dans les bois, au point d’en rire encore aujourd’hui lorsqu’il m’arrive de ruminer le passé, histoire désuète qui - je le devine - tend à la vexer quant à ses nombreuses lacunes qu'elle a depuis presque comblées.

Et quand vient le moment de bifurquer sur ma droite pour aller trouver une place où stationner, c’est sur le trottoir que mon châssis subitement se fige, les amortisseurs accusant le choc violent du flirt entre macabam et pneumatiques. Je me contenterais du premier emplacement disponible, même s’il n’est pas prévu à cet effet, pour le temps que je compte y rester, animé par une seule envie, un seul but précis : la tirer de cet enfer où elle a troqué son âme contre un verre et l'en blâmer. Surtout lorsqu’on en vient à me faire payer l’entrée «  Dix dollars » juste pour y foutre le pied puis dégager. Prix dérisoire et pourtant il me coute d'en sortir la somme avant de pouvoir y pénétrer.
L’air entre ces murs est lourd de sous-entendus, de désirs en décomposition avancée, parfums enivrants de luxure que dégagent ces esprits désaxés. Mais dans quel merdier est-elle venue se fourrer… L’agitation est à son comble. Ils sont tous coupables à leur façon, balayant les préjugés au fil des verres enfilés. D’autres préfèrent se laisser aller à une déchéance programmée, au petit bonheur la chance selon qui voudra les allumer et s’accrocher d’une main aveugle à leurs tortionnaires. La belle offrande. Me frayer un chemin n’est pas un souci parce que la majorité d’entre eux se livre à des pratiques incestueuses sans s’inquiéter de ce qui peut les entourer, persuadé que l’avenir leur appartient mais ne pensant qu’à l’instant présent sans se soucier à demain, c’est ainsi que se condamne l’humanité. L'écran allumé, le téléphone de nouveau effleure mon lobe pour lui crier par de-là cette musique de dégénérés: « T’es où ? Haiwee ?! » Et comme précédemment sa réponse est une énigme à elle seule, un casse-tête avec ces mêmes bourdonnements effrénés en guise d'échos. Elle est ici. Je me noie qu'elle a dit... Ça ne veut rien dire.
Puis il y a cet instant de providence, une intuition dérangeante lorsque mon regard toise celui d'une cliente flanquée contre la porte des WC. Un pressentiment, peut-être encore un reste de ce qui fut jadis l'instinct du flic m'amène jusque là pour en happer la poignée devant son regard frustré. La porte s'ouvre sur une pièce réduite, carrelée, d'un blanc entaché qui laisse sérieusement douter de sa propreté. Puis sa silhouette apparait à demi-vautrée sur le marbre travaillé d'un lavabo, le visage effacé, fatigué, au point de plus savoir réagir face à celui qui vient de rentrer. Pendant un instant, méprisant, je jouis du spectacle avant d'en immortaliser le rendu par une simple pression d'écran. « Pour une première fois... » on s'en souviendra encore longtemps de celle-là, la nuit où Wind River a voulu sauter le pas et boire comme les grands. Le portable une fois rangé, c'est vers sa carcasse désossée que je me suis dirigé, moralisateur comme jamais. « T'es prête? T'en as eu assez? »

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Et pendant que la miss patauge joyeusement dans son auge entre délires et pleurs je me suis rapproché pour en déterminer la gravité. A-t-elle déjà rendu ou risque-t-elle de le faire une fois que nous serons sortis dans la rue ? Pas dans ma voiture, ça je vous le garanti.  « Ohé.. me touche pas ! »  Elle s’est rebiffée avec assez de conviction pour me faire sursauter, les deux paumes surélevées afin d’esquiver un plausible geste déplacé. « Vas-y. La prochaine fois, tu t'démmerderas seule pour rentrer. » L’alcool ne peut pas tout excuser, ni même tout expliquer lorsque je la vois tituber, à vouloir se retrancher dans l’un des recoins de la pièce. Elle va se planter dans quelques secondes vu sa démarche peu certaine et moi je serais là pour en témoigner et prendre un malin plaisir à le lui rappeler une fois l’orage passé. Elle continue et beugle dans une langue inconnue certainement des mots d’une gentillesse affolante. Depuis le temps que je la connais j’aurais pu faire l'effort d'apprendre quelques mots de son curieux vocabulaire, ce qui nous aurait peut-être sortis de cette affaire. Mais je n’ai jamais trouvé le temps ni la motivation nécessaire. Sans compter que je ne suis pas venu sur cette planète pour gagner la confiance d’un peuple tout en baisant la fille du chef. « Je pense qu'on veut me kidnapper. » Je suis resté muet à la contempler en train de parler toute seule comme une décérébrée au combiné.

Le smartphone est sorti de ma poche afin de lui prouver de la futilité de son geste, mon écran en sommeil à sa vue. « Tu parles dans le vide, j’ai raccroché en entrant. » Mais une fois de plus j’imagine que peu importe ce que je dirais, ce sera comme pisser dans un violon ou hurler dans le vent. Ce n’est qu’après quelques secondes que mon visage se pare de cette expression d’incompréhension face à ce doute qui subitement me ronge les entrailles : Depuis quand l’alcool fait-il oublier les visages… J’ai beau boire de mon côté, il me rend souvent affectueu, fatigué ou même complètement con en de rares occasions, mais jamais au point d’en perdre la notion d’identité. Alors mes pas se font francs et rapides vers elle jusqu’à attraper son téléphone. « Arrête. C’est moi, Dutch! »  Et juste à ce moment comme si le destin en avait décidé autrement la porte s’ouvre dans mon dos pour un excès de zèle de la part d’une voix masculine qui nous interpelle. " Madame, il vous ennuie? " Un homme d’une petite trentaine lui aussi s’est posté à l’entrée, faisant obstruction à mes besoins d’évasion. Un coup d’œil  sur sa silhouette sans prétention et mon regard finit par toiser le sol, dépité, avant de lâcher à celle que je suis venu chercher : « Tu m’en feras faire des conneries… »

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Instant charnière où tout pourrait basculer, le moment où mon regard se perd dans le sien complètement hébété. Elle ne sait visiblement plus à qui se fier et si elle ne fait pas le bon choix incessamment sous peu, celui de me suivre, c’est chez les flics que je risque encore de terminer. Et cette fois, pas de garde à vue ni de caution à payer parce que je doute fort qu’ils me laissent partir en contemplant mon dossier. Finalement son regard a cessé de jouer à saute-mouton et a fini par me consacrer un moment d’attention, déposant sa main comme une aveugle l’aurait fait pour distinguer mon visage dans la pénombre. Ça y’est, elle me remet et prononce dans son jargon un mot, dont je n’ai toujours pas la définition, à l’intention du parasite venu troubler son exfiltration : « Allillanmi. » Si tu veux… De toute façon lui tout comme moi, à son regard interloqué, n’a pas l’air d’avoir percuté. Et à mon grand soulagement ses phalanges viennent griffer le cuir de mon blouson pour s’y arrimer fermement. C’est un affrontement d’évité, un apaisement intérieur face à ce qui aurait pu très mal se terminer. Son regard reprend petit à petit de sa légèreté, de cette naïveté dont elle fait preuve d’ordinaire.  « Nigan.» J’imagine que ça veut dire que nous pouvons y aller, ou peut-être n'est-ce qu'un pardon dans sa langue de sous-développés. Elle presse un tantinet mon bras et c’est à l’amorce de sa dernière prise de paroles que je comprends enfin ses véritables attentes. « S'il te plaît... »

J’en ai un instant clos les paupières, à la fois mécontenté par ce qu’il vient de se passer mais soulagé de pouvoir enfin dégager d’ici avec elle sur mes talons comme une gamine à qui on aurait fait la leçon. Nous avons ralenti le pas à hauteur de l’inconnu, moi plus pour le jauger du regard que parce qu’il ne me gênait dans mon avancée. Il n’a rien dit, s’est seulement reculé quand la femme qui attendait vaillamment son tour s’est de nouveau présentée, hululant comme une chouette effarée. « Ce n’est pas trop tôt ! » je ne sais combien de minutes se sont écoulée depuis qu’elle est ici mais c’est vrai que chaque seconde compte lorsque l’on est pressé par une envie… « Excusez-la. Ma sœur n’a pas l’habitude de boire. »  Rien de risible et pourtant lui a esquissé un fugace sourire en louchant sur Haiwee.

J’aurais dû m’en douter, être plus fin mais en souhaitant me couvrir avec une pseudo parenté, je lui ai en quelques sortes ouvert une porte vers un plausible rapprochement si jamais d’aventure elle revenait. je me suis écarté de l'équation, seul, comme un con. Il a joué alors la carte de la sympathie, son timbre devenant plus agréable afin de me demander «  Qu’est-ce qu’elle a dit tout à l’heure ? » Quand elle t’a adressé la parole à toi ?  Rien qui ne pourrait te laisser imaginer qu’elle te porte un quelconque intérêt. « Euh…»  Un coup d’œil à l’Amérindienne avant de revenir le juger et lui glisser tout aussi aimablement que demandé : « Elle a dit j’t’emmerde. »
Puis nos pas nous ont conduit au travers de cette foule enfiévrée, toujours une attention toute particulière sur ce boulet que je me traine jusqu’à pouvoir enfin respirer au dehors, me fixant un instant pour qu’elle daigne elle aussi reprendre ses esprits et peut-être se soulager d’un poids avant de monter. « Envie de gerber ? C’est maintenant. » Et pas une fois que tu seras dedans.

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Elle se laisse quelques instants de répit elle aussi comme si de ses mains elle ambitionnait de s’extirper d’un cauchemar la belle endormie, triturant son visage à défaut de son œsophage qui devrait rendre dans les derniers instants de sa longue agonie. « J’ai… » Oui ? On n’a pas toute la soirée devant nous alors ça m’arrangerait que tu passes la seconde vois-tu. Mais au lieu de cela elle s’écroule à terre dans cette position que je la soupçonne de glorifier, déjà endossée lors de notre première entrevue dans cette foutue foret. Posée en tailleur les jambes croisées à même la chaussée, elle attire les regards spectateurs de cette foule qui ne fait que passer. Certains se sont même arrêtés dans le but, hésitants, de l’aider mais ma présence à ses côtés a fini par les en dissuader. « Je vais rester là. » Et las de ses jérémiades je me suis de dos vautré contre la portière en la reconsidérant, maugréant : «  Tu veux un mouchoir ? Ils t’jetteront peut-être une pièce » comme à une sdf. D’ailleurs montre au poignet j’estime qu’il est plus que temps de rentrer parce qu’elle fait partie de ses étudiants de première année sans logement qui n’ont trouvé de quoi se loger que dans les chambres des confréries qui leurs sont toutes allouées.

Alors quittant le contact réconfortant de la taule, sans ménagement son bras est happé afin de la faire se redresser sous le regard médusé des derniers qui sont sortis de cette boite de nuit branchée dans laquelle, sans elle, je n’aurais jamais foutu le pied. Haiwee est contrainte à grimper dans l’habitacle qui vient de s’ouvrir sous ma poigne, agacé par son manque flagrant de lucidité qui ne cesse de m’exaspérer. Je n’avais rien d’autre de prévu en cette soirée mais ce n’est pas pour autant que j’apprécie me trainer un boulet, qu’il soit ou non bien roulé. La portière se referme brutalement sur elle et tout ce que je souhaite en cet instant précis, c’est qu’elle ne tente pas d’attirer d’avantage l’attention sur nous en plaquant sur la vitre ses paumes qui ont trainé on ne sait où. En quelques enjambées je finis par épouser le siège baquet, les doigts sur mon trousseau de clefs inséré dans le contacteur, prêt à la ramener où bon lui siéra tant qu’elle y est en sécurité. « Destination ? »

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