Avant d'habiter sur Cambridge, Haiwee ne connaissait pas ce sentiment, celui d'être nostalgique d'un endroit. D'avoir envie et surtout besoin d'être chez soi. Si éloignée de sa Terre, la belle brune s'est habituée à leur absence, à ne recevoir presque jamais de leurs nouvelles, car les siens refusent la technologie, alors elle se contente de parfois, recevoir sur papier des écrits.

Elle ne regrettre pas, non, d'être partie, de découvrir le monde, elle en a toujours la volonté. Mais ce soir, elle apprend à gérer ce manque qui se forme dans sa vie. Si bien qu'elle sourit, lorsqu'elle reçoit un message de son ami. Alors n'écoutant que son instinct, elle accepte sans même y réfléchir à la vérité, bien décidée à passer acheter de quoi s'empiffrer durant la session vidéo proposé. Les deux n'habitants pas loin l'un de l'autre, Haiwee ne prend pas de taxi, elle préfère fendre, de ses pas, la nuit.

Et puis, elle ne mentira pas, elle préfère de loin marcher que de s'enfermer dans une voiture qui lui donne, le plus souvent, la nausée. À l'intérieur de ladite supérette, détour précisé en message à Luan, elle prend du chocolat, des produits sucrés, tous ces trucs trafiqués qu'avant elle ne pouvait pas manger. Elle se charge, plus qu'elle ne le devrait, et c'est limite si elle n'arrive pas à porter les deux sacs pour lesquels elle vient de s'endetter.

Retrouvant la fraicheur de la nuit, de l'automne bien entamé, elle marche en direction de chez lui. Quelques mètres encore, et voilà que son doigt s'écrase sur la sonnette d'entrée. Elle s'arme d'un sourire, elle met la mélancolie de côté. Car leur amitié, c'est tout ce à quoi elle veut penser. Elle veut ce moment, hors du temps, avec celui qui sait toucher son âme de ses mots, de cette imagination qui l'a charmée en tout premier. Quand le jeune homme ouvre, elle sourit, de toutes ses dents avant d'essayer de se justifier, bancale, vraiment. « J'ai paniqué. » Elle soulève les sacs, mi-désolée, mi-amusée. Mais dans le fond, c'est vrai, sans penser à l'argent – qu'elle ne connait pas vraiment – elle a paniqué en achetant assez de nourriture pour tout un régiment.

« Disons que je vais devoir faire du sport pour perdre tous les kilos qu’on va manger ce soir. » Les kilos, le poids, les calories, c'est une chose qu'elle ne connait pas vraiment, elle a réalisé que depuis peu de temps que pour « eux » c'est assez important. Le superficiel de leur monde c'est encore et toujours qu'il l'interpelle. Cependant, l'indienne sourit, comme pour lui dire qu'il est beau et que c'est tant pis. Il lui prend les sacs et l'invite d'un ; « Allez, entres. » Alors à petits pas, elle le fait, comme elle aurait pu le faire dans un endroit inconnu, appréhendant ce qu'à l'intérieur, elle pourrait trouver. Mais avec Luann elle n'a, pour ainsi dire, aucune raison d'avoir peur.

La belle avance dans l'appartement, sans se douter que le regard de son ami n'est pas tout à fait innocent, et ses mèches de cheveux tressés, elle les torture sans même y penser. Acte manqué. Et la paume du jeune garçon se glisse sur le corps de la brune, elle si peu tactile, ici elle se laisse faire, car pour lui, son cœur vacille. Amitié si précieuse qu'elle ne veut perdre, jamais. Elle se laisse donc guidée vers le canapé. « Je te laisse choisir le film, mais pas de trucs nuls s’il te plaît. » Haiwee, ça ne fait qu'un an qu'elle connaît la télé, les téléphones et dans le fond la technologie dans son entièreté, alors pouvoir appuyer sur une télécommande pour obtenir une occupation, elle trouve ça... enclin à la fascination.

Sur la table basse, elle récupère ladite commande et commence à pianoter dessus afin d'accéder au menu de l'écran, choisis le profil de Luann. « Du romantique ! » elle s'exclame presque, parce qu'elle trouve ça … éblouissant la façon dont l'amour est décrit sur grand écran, alors qu'elle est promise depuis enfant. « Et du Noël. » parce qu'elle a l'impression de n'entendre parler que de ça, et que c'est le deuxième déjà qu'elle va passer loin de chez elle. Et il est si différent, le réveillon ici, si géant. Pour les Shoshones, ils viennent de la Terre les présents... À Boston, des centres commerciaux les plus grands.

Puis elle détourne son regard de l'écran pour poser ses prunelles noisettes sur le garçon qui va partager sa soirée. « Si tu veux ? », synonyme d'un s'il te plaît qu'elle pourrait réellement lui dire pour le supplier... elle a prononcé ces trois mots, d'une toute petite voix, toujours innocente jusqu'aux bouts des doigts.

Alors que j'attends sa réponse, mon regard souligne son visage pour guetter ses émotions, et je mords ma bouche quand il me répond ; « D’accord, choisis ce qu’il te fait envie. Ils ont plein de films de ce genre sur Netflix. » Un fin sourire traverse mes lèvres, je n'observe toujours pas l'écran du téléviseur qui n'existe pas habituellement dans mon ailleurs. Là où a grandit mon cœur. Mon ami se penche sur les sacs que j'ai ramenés, il déballe sur la table basse, j'apprécie qu'il ne bride pas mes envies. De ce fait, j'en revient à mon but premier, choisir un programme pour notre soirée.

Les vignettes des films défilent dans le menu, et je ne sais pas sur laquelle porter mon choix. J'ai besoin d'aide, à la vérité, je crois. Une œillade sur le côté pour voir qu'il prend un soda, j'essaie de ne pas me déconcentrer plus que cela, c'est déjà assez difficile de décider pour nous deux. Ce n'est pas normal, de se mettre la pression pour ça... Et j'espère qu'il me pardonnera.
Une seconde ou plus et il finit par l'ouvrir, sa boisson, et moi, je ne sais toujours que choisir, alors qu'il me coupe dans ma recherche avec son interrogation. « Qu’est-ce qui te plaît dans les films romantiques, Haiwee? Tu… enfin… ça te fait penser à quelqu’un ? » La question me surprend, si bien que j'en laisse retomber ma main sur mes jambes croisées.

Là où je suis née, on ne se marie pas par amour, on se dit qu'avec le temps, il finit pas arriver un jour. On accepte d'être liés avec la personne qui nous apporte le plus de sureté. Alors j'ouvre d'abord la bouche sans trop savoir quoi dire. Du coup, je la referme derechef. Pour recommencer, en un soupir, tenter de lui expliquer. « Non, justement... » et peut-être que mes parents m'en voudraient, si je disais à haute voix que l'amour à la télé a le don de me fasciner. Mais je ne pense à personne car je ne sais ce qu'est aimer. « A la réserve, on ne se pose pas vraiment la question. » En ce qui concerne ma vie, on m'a dit que j'épouserai Washakie. Que c'était lui, car c'était le meilleur moyen de garder le peuple unis. « Le romantisme n'a pas sa place, on est promis dès l'enfance. » Et je sais bien que ça peut choquer, cette différence. « C'est pour ça, que ça me plaît. » J'ose lui avouer, alors que je mords ma lèvre inférieure, un peu gênée. « Parce que je ne connais pas. » Je ne connais pas assez de choses, je crois. Mais j'apprends, et je le fais avec Luan tout à côté de moi.

L’amour, chez elle, il vient avec le temps, avec l’habitude. Avec de longues journées passées à côté de celui qui nous a été choisi. Enfin, lorsqu’ils sont chanceux, c’est le cas, sinon, c’est l’histoire d’une amitié bien scellée. D’une confiance aveugle, partagée. D’un accord taciturne pour sauvegarder l’avenir d’une tribu menacée.

Quand elle débute son explication, elle ne s’attend pas franchement à ce que Luan comprenne, peu de personne le font. Parce que cela parait étrange à leur société, parce que comme le dit certains, ça semble être archaïque et non évolué. « Je vois… » C’est vrai, il voit ? Haiwee n’est pas vraiment certaine de cela. Elle l’observe, sans le faire vraiment, prendre des chips, en ignorant si elle doit encore ajouter des choses sur ce sujet. A la vérité, elle a déjà cette sensation d’avoir trop parlé, et d’avoir confirmé une véracité ; qu’elle n’est pas faite pour vivre dans un monde qui a été conditionné à être son parfait opposé. « Mais… du coup… tu es promise à un homme ? » Le mot la fait sourire, beaucoup plus qu’elle n’en a le droit. Parce qu’elle a l’impression que Washakie elle le voit encore et toujours de la même manière que lorsqu’ils étaient petits.

Alors elle reproduit les gestes de son ami, juste après avoir appuyé sur le bouton lecture de la première comédie romantique, choisie au hasard, elle attrape les chips et continue à raconter sa drôle d’histoire. « Oui. » c’est on ne peut plus clair. Elle esquisse un semblant de sourire, comme si elle était désolée pour elle-même bien qu’elle assume les coutumes de ses ainés. « Quand je rentrerai… » elle a de plus en plus de mal avec cette idée. « Je devrais l’épouser. » parce que c’est ainsi que les choses ont été décidé. « C’est bizarre, je sais. » elle fini par ajouter, en riant, de moitié. « Ce n’est pas comme si je le voulais, tu vois, mais j’imagine que c’est juste comme ça. » Que c’est ancré en elle, comme une évidence aux teintes éternelles.  

« Mais… » Il commence et Haiwee ne regarde absolument plus l’écran de télévision, c’est Luan qui a présentement toute son attention. Elle sait bien ce qu’il va dire, la même chose que ce que toutes ses connaissances ont prononcé lorsqu’elle s’est aventurée à essayer d’expliquer ce qui peut la lier à sa communauté. C’est juste comme ça qu’elle a été élevée. « ça te convient d’épouser un homme dont tu n’es pas amoureuse ? » Elle n’y pense pas vraiment, enfin, pas la plupart du temps. « Qu’il te touche ainsi ? » Elle a un imperceptible mouvement de recul, pinçant ses lèvres, gênée, de ne l’avoir jamais été, touchée. « Alors qu’il y a au moins une personne sur terre qui t’aime et attends de passer sa vie avec toi. » Elle a cette sensation de prendre une claque à la force de ses mots, et elle ne sait pas comment répondre à tout ça. Une vague de paroles qui frappe trop durement. Parce que contrairement à d’autres il n’a pas vraiment pris gants. Elle ne s’attend pas à l’amour, à son côté trop grand.

Comment lui expliquer que cela fait seulement partie du « contrat » que c’est sa vie, que c’est comme ça. Qu’elle ne pourrait vivre avec la conviction d’avoir déshonorée sa condition. « Tu n’as pas envie de connaitre l’amour au lieu de le regarder dans des films ? » Elle est naïve du haut de ses vingt cinq ans, elle n’est pas rebelle, pas vraiment. D’une main, elle balaie la contrariété en frottant son visage avec fermeté. Elle soupire longuement et mal assurée, elle reprend ; « Je n’ai pas le choix. » ce n’est pas comme si on lui proposait autre chose que ça. « Si je veux rentrer chez moi, ce sera comme ça. » et elle doit rentrer, elle a donné sa parole, et quand on est Shoshone ce n’est pas à la légère, on ne dit pas de telles choses en l’air.

Et puis elle s’essaie à une conclusion de leur étrange conversation… « Personne ne m’aime. » mais les hommes, en même temps, elle s’évertue à les tenir à distance, car elle sait que c’est la meilleure des préférences. Et puis parfois, comme avec toi, elle décide de laisser une chance. Ils sont peu à compter assez pour qu’elle ait eu envie de les garder à ses côtés, il y a Luan et aussi un homme croisé dans une forêt, un Dutch un peu bourru, et son ami ingénu. « Je ne suis pas faite pour aimer. » dans le fond, même sa naissance n’était qu’un traité de paix.