@Haiwee Wind River | Je pensais avoir pris une bonne décision lorsque je m'étais inscrit pour parrainer un.e nouvel.le arrivant.e à la Currier House pour la rentrée. Lors de la précédente, c'était moi qui était à cette place, profitant de l'expérience d'un ancien de la fraternité pour m'adapter plus facilement aux lieux, à cette vie en communauté, pour appréhender les règles, les habitudes, et pour m'intégrer plus facilement. Une année qui s'était plutôt bien déroulée, également grâce à la présence et l'aura de Petit Prince, qui savait toujours comment se faire une place, où qu'il aille, et moi, qui, en tant qu'ombre, m'adaptait à celle-ci pour trouver la mienne. Et ça avait très bien fonctionné ainsi, alors, quand les inscriptions avaient eut lieu avant l'été, j'avais pensé que cela pourrait être une bonne idée d'être ce soutien pour quelqu'un d'autre à la rentrée. Malheureusement, j'étais loin de me douter, à l'époque, que ma propre rentrée serait si chaotique. Départ de Petit Prince, crise d'angoisse à répétition, clairement, je peinais à m'occuper de moi, alors de quelqu'un d'autre... Pourtant, je n'avais pas renoncé à mon engagement. Peut-être que j'aurais dû. Je ne sais pas. On aurait pu croire qu'en quelques semaines, les choses se seraient arrangées pour moi et que j'aurais pu être bien plus avenant et réceptif  à ce dont avait besoin la demoiselle - et c'était pas d'un abruti misogyne et caractériel - mais les déconvenues avaient persistées. Même ces derniers jours, avec un basketteur qui venait soudainement de me ghosté, remontant la rage que j'essayais de terrer depuis des semaines.

Alors forcement, les soucis et les demandes de Haiwee étaient loin d'être mes priorités, et encore une fois, j'avais répondu présent, presque à contre coeur. Ce que je ne cachais pas vraiment d'ailleurs. Retard, ton souvent distant voir désagréable, je ne le faisais pas vraiment exprès, mais cette partie de ma nature avait tendance à ressortir si facilement ces derniers temps. Arrivé à la Currier avec presque quinze minutes de retard, je me dirige vers les jardins, sac de cours encore sur l'épaule, alors qu'elle me fait remarquer mon retard. « 'Scuse moi d'avoir cours aussi. Ca va, j'ai même pas quinze minutes. Bon, qu'est ce que tu voulais ? »

@Haiwee Wind River | Ma mauvaise humeur est loin d'être agréable, je le sais bien, et pourtant, je ne fais pas plus d'efforts. Les évènements qui se sont enchainés depuis plus de deux mois n'ont en rien aidé à me rendre sympathique et avenant, et c'est sans gêne que j'excuse mon sale caractère par mes déconvenues successives. Pourtant, c'est injuste, c'est vrai, mais le monde entier l'était. Il y a bien longtemps que j'avais appris cette leçon, et c'est comme si je m'efforçais de vouloir l'enseigner aux autres. Lorsque la jeune femme reprend la parole, c'est un nouveau reproche sous-entendu qui attire mon attention. Pas d'excuse cette fois-ci, il est vrai que je repoussais plus ou moins volontairement les choses. Au final, je ne savais pas bien quoi lui dire sur le sujet. Chacun avait ses raisons de rejoindre une fraternité. Pour certains, ça tenait de l'ordre de la tradition familiale, pour d'autres, l'envie de s'intégrer plus facilement, de se constituer un réseau, et pour d'autres encore, cette envie était motivée par les soirées qui animaient les fraternités tout au long de l'année. Il y avait de nombreux avantages comme inconvénients, mais chacun pouvait valoriser l'un ou l'autre, je suppose, en fonction de son propre caractère et de ses attentes.

Son regard se baisse, comme si elle réfléchissait à sa propre condition, à pourquoi elle était là. Un questionnement qui n'a rien d'inscensé, ni de ridicule. Moi-même je m'étais interrogé sur ma place à la Currier après le départ de Johan. Après tout, pourquoi rester maintenant qu'il n'était plus là. De même que Harvard, Boston. Mais mon existence pouvait prendre sens même sans lui, et ça serait désormais comme cela que je devrais avancer. « En réalité, ce n'est pas vraiment à moi de te donner des réponses, mais plutôt à toi de te poser les bonnes questions. Pourquoi est ce que tu es ici, à Harvard, à la Currier, pourquoi avoir choisi celle-ci et pas une autre en premier lieu. Qu'est ce que tu attends de cette maison, de cette vie que tu commences avec nous ? » Le ton est peu sec, maladroitement, malgré ma volonté de l'aider quand même à trouver la réponse à ses questions, à pourquoi vivre au sein d'une telle communauté. Moi, je savais pourquoi j'y étais, et pas parce qu'on m'en avait vendu les avantages, mais parce que je savais quels étaient mes attentes d'une telle communauté, et que la Currier y correspondait, et que je lui avais laissé une chance d'y correspondre.

@Haiwee Wind River | Je sais combien il peut être difficile de trouver sa place dans un groupe, dans une communauté. Combien il peut être difficile de s'adapter au changement. Si avec le temps j'ai appris à le faire, je me souviens bien que ça n'avait pas été facile quand je multipliais les aller-retour entre l'Angleterre et le Danemark, n'arrivant pas à me sentir chez moi, dans aucun de ces deux pays. Pire encore après l'armée. Qu'est ce qui faisait que je me sentais chez moi quelque part ? Surement les interactions avec les personnes autour de moi. C'était peut-être cliché, mais est ce que finalement, chez soi, ce n'était pas simplement l'endroit où le sentait proche de ceux qu'on aimait ? Alors pourquoi être resté après le départ de Johan ? Parce que l'avenir se fermait si je rentrais. Je suppose. Mes propos me poussent moi-même à la réflexion. Pourquoi être rester à la Currier, à Harvard, Boston ? Parce que malgré toute la douleur d'avoir perdu celui que j'aime, il y avait encore des gens ici pour qui j'éprouvais des choses. Diverses, variées, plus ou moins intenses. Mais Boston offrait un avenir avec eux.

Mon regard, dévié sur le bâtiment autour de nous revient sur la jeune femme lorqu'elle reprends la parole. Des alliés ? Pourquoi pas. « Mais pourquoi as tu besoin d'alliés ? » Le terme me parait si étrange dans ce contexte. Peut-être que cela répondait à sa propre vision de l'amitié. Elle continue de parler de ces premiers moi, de sa difficulté à s'adapter. La vie à Harvard n'avait rien de simple, mais c'était pour tout le monde pareil. Je soupire et roule des yeux. « Si tu t'arrêtes à une expérience peu concluante et que tu chouines à chaque fois, c'est sur que ça va pas matcher. » Les mots sont durs. La bienveillance n'est pas ma qualité première, mais là, c'était véritablement rude, même pour moi. Pourtant, je continue, n'ayant pas la sensation que ça l'ait assez secoué. « C'est facile de dire que tu n'as pas ta place dans ce monde ou que tu n'es pas faite pour si tu abandonnes à la première difficulté. Ouais, Harvard c'est dur, et tout le monde ne sera pas ton ami, c'est certain, mais faut se bouger aussi. Pas d'alchimie entre nous, soit, mais on est pas seul à la Currier. Il y a des personnes qui y sont et bien plus agréable et avenante. » Pas bien difficile à côte de moi. « Et puis, il faut du temps. Ca se fait pas en deux jours ! Les relations évoluent. Peut-être qu'aujourd'hui, l'alchimie est difficile, mais qui sait ce qu'il en sera dans six mois, un an ! » Je l'avais expérimenté aussi avec certain.es. Des relations difficiles, tendues, jusqu'à ce que le coeur s'ouvre un peu, sans prévenir. C'était ça aussi la magie des fraternités. Mais elle ne pouvait pas espérer tout en comprendre en l'espace de seulement 2 mois.  

[HJ: Désolée, Anders est un salaud   ]

@Haiwee Wind River | Je suis assez froid, assez distant dans mes paroles. Je la secoue bien plus que nécessaire, verbalement. Et encore, je sais que je pourrais pousser bien plus si j’en avais envie, mais je me contiens. Je ne voulais pas non plus de problèmes comme quoi je l’avais maltraité ou insulté ou je ne sais quoi d’autre. Ne sait-on jamais auprès de qui elle pourrait chouiner par la suite. BIen qu’elle prétende le contraire. Car elle a beau me dire qu’elle ne chouine pas, ça ou autre chose, ça semblait similaire à mes oreilles. Mais ça semble déclencher quelque chose. Son regard change, l’intonation de sa voix également. Des changements imperceptibles pour certains, évident pour moi quand il s’agit de découvrir les intentions d’un potentiel ennemi. Ce qu’elle n’est pas, bien évidemment, mais certains réflexes ne disparaissaient jamais. Et puis, ça prouve que mes mots avaient un impact sur elle.

Le regard se fronce quand elle parle de faire évoluer les choses. J’étais obligé d’accepter ? Parce qu’elle pouvait le faire avec n’importe qui d’autre en soit. Même si ça serait probablement plus impactant avec moi, raison pour laquelle elle allait s’y forcer, et moi aussi. Allez Anders, t’as signé tout seul pour cela. Comme pour bien d’autres choses. Et puis, ça ne pourrait pas être pire que certaines de mes précédentes conneries. Elle me questionne, et je me rends compte que plus bateau, tu meurs. J’ai envie de rouler des yeux, mais je me retiens. Il fallait bien commencer quelque part. Je hoche donc la tête. « Oui, tous les jours. J’adore ça. Mais je suis aussi britannique, alors je bois pas mal de thé, par habitude. » Plusieurs informations données derrière pourtant une simple question. La première étape pour faire évoluer les choses. Simplement. « D’ailleurs, tu viens d’où toi ? » J’avais cru comprendre qu’elle était américaine, mais semblait avoir ses excentricités. Suffisamment pour la faire sortir un peu du lot. Des informations sûrement présentes dans le dossier qu’elle avait dû remplir pour intégrer la Currier, mais que j’avais égaré… Ou rendu aux présidentes de la fraternité. Je ne savais plus. J’espère que c’était la seconde option. « En dehors de la fraternité, tu as essayé de rencontrer du monde dans les différents clubs ? Ou dans ta promo ? » Après tout, la fraternité nous unissait par son nom, comme une famille, mais certains n’avaient pas besoin d’une famille, avec les avantages et les inconvénients que cela pouvait comporter.

@Haiwee Wind River | Elle n’a pas vraiment eu de chance je suppose, Haiwee, dans sa relation - ou absence de relation - avec moi. Les choses avaient mal commencé entre nous, à la rentrée, après le départ de Petit Prince, mais ça ne s'était pas juste arrêté là. J’étais resté bloqué dans cette humeur désagréable, et chaque fois qu’elle tentait pourtant d’arrondir les angles, c’était comme si l’univers s’accordait pour que je sois le moins empathique et réceptif possible. La dernière fois, Johan, cette fois-ci, Novel. Et elle pourrait retenter dans six mois, je suis certain qu’un autre évènement réussirait à me rendre aussi peu avenant que les fois précédentes. A croire qu’il était plus question de karma ou de quelque chose s' approchant. Pourtant elle s’accroche, tente encore. Ce n’est pas de persévérance dont elle manque, et il est plutôt hypocrite de ma part de la traiter comme si elle n’avait juste pas assez essayé, pas assez fort. Ce sont des choses que je sous-entends pourtant, reprochant son attitude comme si elle était une gamine capricieuse. Un comportement plus injuste encore de ma part alors que ce n’était pas le cas, et que j’étais bien conscient des difficultés auxquelles ont pouvaient parfois faire face pour s’intégrer quelque part. Surtout quand notre éducation et notre vision du monde pouvaient favoriser le gouffre. Je ne suis pas certain de pouvoir réussir à situer exactement le Wyoming sur une carte, mais je hoche tout de même la tête, comprenant un peu plus les difficultés auxquelles elle peut faire face quand elle me parle de la réserve.

D’un mouvement, elle m’invite à la suivre et je hoche une seconde fois la tête avant de me mettre en marche. Chemin de la cuisine emprunter, je suppose que c’était l’occasion de prendre un thé ou un café ensemble. Je laisse s’échapper un léger rictus quand elle précise avoir des amis. « Je n’ai jamais sous entendu le contraire. Et ce n’était pas non plus ma question. » Je marque une petite pause, nous laissant le temps de franchir la porte pour rentrer dans le bâtiment avant de reprendre. « Je ne pense pas non plus que tu sois asociale. Ma question c’était de savoir qu’est ce que tu veux. De Harvard, de la fraternité. Quelle vie tu veux mener ici. » Nous n’importe où sur cette Terre. « Chacun à sa vision des fraternités, ses attentes. Certains les choisissent simplement par prétention, par vantardise. Je suppose que d’autres doivent penser que c’est le meilleur moyen de faire la fête. » Autant de raisons qu'il y a d’étudiants qui les choisissent. Ou pas justement. « En ce qui me concerne…J’ai fait ce choix parce que j’aime la cohésion qui règne ici. Surtout à la Currier. Un peu comme… Une immense famille. » Celle que je n’avais pas eu pendant mon enfance. « Tout n’est pas tout le temps parfait, mais ça me permet de ne pas vivre seul, d’avoir du monde autour de moi quand j’en ressens le besoin. J’ai des gens avec qui partager et échanger, au quotidien sans avoir à forcer le contact. Y a pas de pression, nos relations sont ce qu'elles sont, même si ça peut-être parfois tendu ou distant. Une famille… T’as pas forcément envie de les voir tout le temps, mais ils sont là quand même. » Ca pouvait être une vision un peu particulière, mais pour moi, ça me convenait bien. « Qu’est ce que t’imaginais toi ? A quoi tu t’attendais quand t’entends le mot fraternité ? »