Questions, doutes, réflexion. Elle a le béguin. Foutaises. Laisse-la tomber, t'as mieux à faire. Oui ─ non. Ca pouvait être aussi simple et il avait songé à effectivement laisser tomber parce que, fallait le dire, c'était chiant et il n'aimait pas les problème. Mais... parce qu'il y avait un mais, oui ; mais il ne pouvait pas jeter par la fenêtre leur amitié passée à cause d'un malentendu, causé par lui de surcroît. Il était pas comme ça. C'était pas son genre d'abandonner ses proches. Loyal quoiqu'il arrive, il avait toujours mis un point d'honneur à faire les choses dans l'ordre et correctement. Alors ce soit, pas de stream. Motif ? Migraine. Presque vrai, car son nez lui faisait mal mais c'était bien le cadet de ses soucis ─ se prendre une patate dans la figure et terminer avec un hématome recouvert par un bandage, ça sautait aux yeux. Se montrer comme ça le dérangeait un peu, lui qui ne s'était jamais pris une patate dans la face jusqu'à tout récemment. Ce soir, il allait tenter de régler le problème.
Dans sa voiture, il avait attendu un moment à l'écart de l'arrêt de bus où Candice se trouvait, jusqu'à ce qu'elle monte dans le véhicule de transport en commun. Il alluma alors le moteur et se mis à la suivre, ne sachant pas où elle habitait. Le trajet fut long, relativement silencieux, mais jamais sa détermination ne fluctua, concentrée sur un point bien précis qu'il allait tenir. Il faisait sombre, frais, l'ambiance bercée par Bazzi - Mine alors qu'il voyait la jeune femme descendre à son arrêt. Gilbert s'arrêta, l'observant de loin. En vrai se comporter ainsi lui donnait la sensation étrange d'être un stalker et c'était assez bizarre. Attendant qu'elle s'éloigne pas mal, il sortit également de sa voiture, garée sur le côté, attrapa un gros sac en papier visiblement léger, abaissa la capuche de son sweater sur sa tête et se mit à la suivre, restant à distance raisonnable pour juste ne pas la perdre de vue sans pour autant être trop proche.
Lorsqu'elle arriva devant son immeuble, Gilbert la suivit sans tarder, assez pour pouvoir voir quel étage elle allait rejoindre avec l'ascenseur. Troisième étage. L'ascenseur rappelé, Gil s'y engouffra à son tour pour ressortir au même étage. Couloir vide. Il commença alors lentement à regarder les portes et les noms, espérant que Candice n'avait pas omis de mettre le sien ; ou qu'elle soit la seule à avoir oublié, pour permettre de la retrouver en éliminant les autres portes. Par chance, la jeune femme l'avait bien mis. Immobile sur le pallier de sa porte, Gil pris une lente et profonde inspiration avant d'appuyer sur la sonnette, plonger la main dans son sac en papier et en sortir un bouquet de fleurs jaunes et bleues qu'il utilisa volontairement pour cacher son visage afin qu'elle ne le reconnaisse pas au travers le judas optique de la porte.

« J’arrive. »
A peine rentrée des cours Candice regardait sa montre, l’air pensif. La sonnerie continuait de retentir dans son petit appartement, agitant légèrement les murs d’une vibration sourde. Elle n’attendait pas de livraison, mais peut-être sa commande de sushi était arrivée en express ; une première ! Elle se précipita donc vers la porte, la faim au ventre, et là. Là. Elle manqua de vomir son petit-déjeuner, son dîner et même le souper qu’elle n’avait pas encore eu l’occasion d’avaler. En clair : c’était une douche froide, un ascenseur émotionel, un broyage de cœur. Bref. C’était explosif. En cause, la fine silhouette du dénommé Gilbert trônant sur son paillasson.
L’étudiante cligna des yeux, se râcla la gorge, l’inspecta de la tête aux pieds trois fois pour vérifier si elle n’avait pas des hallucinations, mais rien à faire. IL était bien là. La mine aussi défaite qu’un cheesecake n’ayant pas assez de gélatine dans son crémage, ses lèvres peinèrent à s’animer en dépit des appels que le cerveau envoyait.
« S’lut ».
La salutation avait davantage ressemblé à un grognement rauque, toutefois Candice se rattrapa en toussotant puis répétant une nouvelle fois ce simple mot qu’elle tentait vainement de souffler le plus naturellement du monde.
« Salut. »
Ce fut après ce premier échange que les iris de la demoiselle s’arrêtèrent sur la composition détenue par le jeune homme et aussitôt elle eut peur. Peur d’avoir laisser échapper des choses qu’elle aurait mieux fait de taire. Peur de s’être trahie. Il était au courant ? Non. Impossible. Pourquoi des fleurs ? Jaunes et bleues en plus ! Comme elle les aimait ! Le tracas anima les traits de l’américaine alors qu’elle affrontait de nouveau les prunelles sombres de l’étudiant dans un silence absolue ; décidément ça devenait de plus en plus bizarre. La boule au ventre elle dévisagea Gilbert, les sourcils froncés pour une toute autre raison que la colère ; elle venait d’entrevoir quelque chose qui ne lui plaisait pas.
« Tu t’es fait mal ? »
Sans bouger, il sembla pourtant qu’elle se rapprocha de lui par cette unique parole. Les bras désormais croisés sur le thorax, posture purement défensive, elle se souciait subitement de sa santé. Néanmoins la réalité la rattrapait la seconde qui suivait ; comment pouvait-elle se perdre dans ses idées à un moment pareil ?! Les relations humaines étaient des vraies plaies. Elle préférait de loin les dissertations.
Levant une main pour couper toute réponse de la part du streamer, la jeune femme sembla se ressaisir. Tout en secouant la tête pour se consterner sur sa propre bêtise, elle inspira.
« Non, attends. Qu’est-ce-que tu fais ici ? »
Partagé entre le désir de recoller les morceaux et de continuer à afficher une attitude faussement solide, Candice attendit la réponse, la paume toujours en l’air. Pour une fois elle se félicitait de ne pas être habillé comme un sac. En vérité pour elle, un jean et un tee-shirt à peine moulant c’était déjà beaucoup alors enfiler un haut à col-v c’était vraiment exceptionnel et c’était le cas. Mais à quoi pensait-elle bon sang ?!

La porte s'ouvrait et Gilbert, préparant son visage avec un léger sourire, probablement un peu gêné malgré lui en ne dévoilant aucune de ses dents, ; il abaissa le bouquet pour se dévoiler et attendit la réaction qui, sans surprise, s'avérait être un choc total. Il n'était d'une part pas supposé savoir où elle habitait, d'autre part, pas attendu non plus, alors oui elle avait toutes les raisons d'être surprise. Il ne lui tendit pas le bouquet de suite et conserva le silence, lui laissant le temps d'imprimer la situation et aussi de choisir si elle lui claquait la porte au nez. Sa réaction était importante, pour lui. Si elle le repoussait, il était décidé à laisser tomber et lui ficher la paix, sans lui en tenir une quelconque rancune cela dit.
La jeune femme s'inquiéta pour son visage mais il ne répondit de toute manière pas. C'était un détail qu'il préférait éclipser, ne voulant pas donner l'impression qu'il venait parce qu'il était blessé et utiliser ça pour qu'elle s'apitoie sur son sort. Non, vraiment ; qu'elle oublie. A la place, il lui tendit les fleurs, calmement, devant ses bras croisés. Après un court regard sur le bouquet, il replongea ses yeux dans les siens pour s'expliquer.
« Je suis venu m'excuser. »
Parler, quand il savait ce qu'il voulait dire, n'était en vérité pas si compliqué. Puis, il n'y avait aucun mensonge dans ce qu'il disait, alors pourquoi hésiter ? Candice allait écouter et décider si oui ou non ces faits là, ces mots, étaient acceptables ou pas.
« Je suis désolé de m'être rendu compte de rien ce jour-là. Ton absence je l'ai très vite remarquée, juste que j'ai préféré me dire que tu avais des choses personnelles à régler et que c'était pas lié à moi. »
Il inspira tranquillement, bien soulagé tout de même que personne ne soit là pour entendre ses explications. C'était bien parce que c'est elle et parce que le problème persistait depuis des mois qu'il ne traitait pas ses mots à la légère. Il regarda à nouveau le bouquet, sourire au coin des lèvres.
« J'ai relu un peu nos conversations hier. Je mentirais si je te disais que je me souvenais quelles étaient tes couleurs préférées, donc j'ai juste vérifié si tu m'en avais déjà parlé. Je savais pas non plus si tu aimais les fleurs, mais je me suis dit qu'au pire, ça part à la poubelle en trois jours, si tu veux t'en débarrasser. Elles sont pour toi de toute manière, si tu les prends pas, elles iront dans la benne juste en bas. »
Façon étrange de demander pardon, mais l'intention était clairement là. Ces fleurs étaient uniquement pour elle et personne d'autre, il ne laisserait pas une tierce personne en profiter, ni lui-même, si elle n'en voulait pas. Il avait relu leurs conversations, réfléchis à comment venir, spécifiquement cherché quelque chose en rapport à leurs discussions passées ; vraiment, ça l'avait travaillé. C'était maladroit, très certainement. Mais c'était Gilbert, après tout.

Le bras tendu, Gilbert semblait proposé les fleurs à la façon d’une offrande. Une image assez drôle qui fit presque s’ourler d’un léger sourire le recoin des lèvres de Candice. Presque. L’heure n’était pas à céder en si bon chemin.  L’air parfaitement calme, bien que ce ne fut pas le cas, elle l’écouta parler, son regard faisant des allers venus entre lui et ledit bouquet. Il y avait un je-ne-sais-quoi de touchant cette scène en dépit du fait que la principale concernée ne soit encore tendue.
Tout était clair, limpide même. Le jeune homme avouait ses tords en plus de construire un raisonnement tout à fait posé et cohérent ; un détail qui plu à son interlocutrice. Il entamait ainsi une remontée dans son estime. Le détail concernant la couleur favorite de la demoiselle la fit bel et bien sourire cette fois-ci. Contre toute attente il avait arpenté un sacré paquet d’archives pour récupérer cette information ; c’était tout à son honneur. Prise en flagrant délit de fraternisation avec l’ennemi, Candice voulu se mettre une baffe mentale pour se ressaisir, mais ce qu’elle fit à la place changea définitivement la suite des évènements.  Sa paume laiteuse suspendue attrapa ce que Gil lui tendait, craignant qu’il ne retire son cadeau trop vite de sa portée si elle ne se manifestait pas. Au fond, une part d’elle-même se sentait satisfaite de le trouver là, de pouvoir mettre les choses à plat, c’était agréable. Quant à la seconde face, celle-ci bouillait toujours d’une certaine colère teintée de jalousie, car si elle avait sortie tout ce qu’elle avait sur le cœur concernant leur « amitié », les sentiments c’était autre chose et heureusement il n’avait rien vu visiblement. Cependant ces fleurs étaient pour elle. Pour elle et pour personne d’autre.
Dans un réflexe purement cliché la brune respira le parfum des différents bourgeons s’épanouissant contre sa poitrine et elle ne put que relever une mine songeuse en direction de l’intru fixé sur son pallier.
« Merci Gil. » Souffla-t-elle reconnaissante.
Une risette légère pour égayer le tout et le tour était joué, ou du moins tout semblait pardonné. Un soulagement profond la gagnait et voilà qu’un nouveau dilemme s’imposait. Candice observa le couloir puis l’intérieur de sa demeure ; elle n’était pas sûre que ce qu’elle comptait proposer soit judicieux, mais tant pis.
« Tu… Ça te dirait de rentrer pour qu’on discute ? J’aimerais moi aussi te parler. On sera plus tranquilles et tu auras moins froid plutôt que rester là. »
C’était une invitation comme une autre. Une invitation comme un autre. Oui, il n’y avait rien de suspect là-dedans. C’était certain. De toute façon, impossible de faire sa déclaration. Il n’y avait donc aucun souci à se faire.
Afin de se faire plus engageante, la jeune femme pivota légèrement en direction du corridor, son bras désignant l’atmosphère chaleureuse qu’elle avait mis plusieurs mois à mettre soigneusement au point.
« J’attends des sushis. »
Dernier argument valable. S’il ne désirait pas rester dans ce cas elle se sentirait légèrement triste, mais rien de comparable à ce qui avait pu se passer auparavant.

Tant qu'elle ne lui fermait pas la porte au nez, il n'allait pas partir de toute manière. Cela étant, il était bien soulagé lorsque Candice attrapa le bouquet. C'était, à ses yeux, le signe que la réconciliation était possible et qu'elle avait même déjà commencé ; soupir avec un sourire accentué, les dents se montraient enfin. Sa mission était accomplie et, après lui avoir laissé le temps de profiter du bouquet, il se préparait déjà à partir. Sur le point de lui dire qu'il allait du coup la laisser tranquille pour ce soir et s'en aller, elle lui offrait de rester pour discuter. L'invitation le surpris légèrement et il jeta un coup d'oeil dans l'appartement, puis à nouveau la jeune femme. En vérité il n'y voyait aucun inconvénient, c'était chez elle après tout, elle seule pouvait dire si c'était dérangeant ou pas. Puis l'argument tueur prit place ; sushi. Il adorait ça, lui. Il n'avait absolument rien de japonais dans le sang -à sa connaissance- mais les sushi, il adorait. Simple et efficace. Opinant du chef, il accepta l'offre.
« Comme tu veux, si c'est ok pour toi, ça l'est pour moi. J'ai rien de prévu de toute manière ce soir. »
Abaissant alors sa capuche, question de politesse, il pénétra dans l'appartement qu'il observa rapidement. C'était propre, rangé, chaleureux. Il songea rapidement à la crise cardiaque qu'elle ferait si elle voyait la gueule de chez lui. A deux, ils avaient vraiment créé une porcherie digne de ce nom, comme ils l'appelaient entre eux. Chez lui traînaient chaussettes, cartons de McDonald's, soutifs de sa soeur et autres sacs, et c'était clairement pas le lieu où il préférait retrouver ses potes. Alors s'il pouvait éviter, il allait ailleurs. Néanmoins, il retira ses chaussures par habitudes pour les laisser à l'entrée puis il fit quelques pas avant de se retourner vers Candice.
« Tu penses qu'on en aura pour longtemps ? Non pas que je sois pressé de partir... »
Il s'avança vers le canapé un peu plus loin pour s'y asseoir tranquillement tout en parlant.
« ... mais pour savoir si je préviens ma soeur ou pas. Vu le bordel qu'il s'est passé la dernière fois, faudrait pas qu'elle m'imagine au fond d'un caniveau. »
Pour finir en marmonnant.
« ... même si j'pense qu'en vrai elle s'en remettrait super vite cette sale dinde... »
Se laissant aller confortablement, Gilbert continua d'observer les lieux. Paraissait que le lieux de vie d'une personne en disait long sur sa personnalité, ses habitudes, ses goûts ; que pouvait-il bien apprendre d'elle en regardant comme ça tout autour ?

Le streamer avait dépassé déjà dépassé Candice qu’elle refermait la porte, un brin surprise ; visiblement les sushis mettaient tout le monde d’accord ? Tandis que Gilbert prenait place au salon, la jeune femme s’aventura dans la cuisine afin de remplir un verre assez large d’eau. Elle y plaça le bouquet puis le déposa sur son bureau, l’air satisfaite. Poings sur les hanches et sourire aux lèvres, elle pivota en direction de son interlocuteur.
« Je n’en sais rien en fait. Perso j’aurais tendance à te dire de la prévenir histoire qu’elle ne se fasse pas trop de soucis… Même si je doute que tu t’éternises ici. »
Car c’était bien la vérité : ils allaient discuter, manger, puis il partirait. Une suite logique d’évènements. Quand bien même cela constituait un maigre avancé pour l’étudiante, celle-ci se sentait heureuse de pouvoir partager ne serait-ce qu’une petite heure en sa compagnie. Les yeux encrés sur les traits de celui-ci, elle observait son attitude et aussi le fait qu’il ai quitté ses chaussettes. Curieux. Très curieux.
Un petit rire secoua la poitrine de la demoiselle quand le commentaire amer du Pantzer lui parvint aux oreilles ; décidément les relations frères et sœurs semblaient aussi complexes de son côté. Ce n’était peut-être pas rassurant, mais cela suffit à Candice de relativiser sur sa situation. Elle qui n’avait jamais eu de véritable accroche concernant les membres de sa fratrie songeait parfois qu’elle avait foiré une étape, pourtant à ce moment-là, elle eut enfin le courage de se dire que cela ne venait sûrement pas d’elle.
« Sale dinde ? Vous allez l’air de bien vous entendre. »
Tout en continuant de se marrer, elle investit le siège voisin du canapé, laissant ses longues jambes se recroquevillés. Elle déplia ses bras en de jolies arabesques puis s’étira un bref moment pour se détendre ; une fois que cela fut fait elle prit une posture vraisemblablement plus convenable, prête à discuter.
« Je voulais moi aussi m’excuser concernant la dernière fois. Je t’ai hurlé dessus comme une malpropre et c’était vraiment nul de ma part…. D’ordinaire ça ne m’arrive jamais. »
Elle humecta ses lèvres en réfléchissant à la suite avant d’inspecter les fleurs au loin.
« Je pense que j’ai juste pris tout ceci trop à cœur et je voulais que tu saches que je suis désolée de mon attitude ces derniers temps. Tu ne méritais pas ça. J’aurais dû tout te dire plus tôt, même si je n’étais pas certaine des mots à employés. T’as dû imaginer que j’étais une hystérique fanatique alors qu’en fait j’aime juste ce que tu fais. Rien de plus. »
Rien de plus, rien de plus… C’était vite dit. Ce rythme cardiaque affolé ça voulait signifier autre chose quand même, sans parler de cette jalousie quand elle voyait d’autres filles partagés l’écran en sa compagnie. Candice était amoureuse pour la première fois de sa vie, mais c’était son secret le plus profond, le plus timide, le plus rageant. Balayant ses pensées pullulant dans son esprit elle adressa une petite moue à Gilbert.
« J’espère que toi aussi tu me pardonneras du coup, parce que j’aimais quand on discutait tous les deux. Ça me faisait du bien. J’aimerais qu’on retrouve ça… Quand on s’entendait bien je veux dire. »
Candice affichait une mine penaude, quasi timide. Elle pensait en son for intérieur qu’il ne verrait rien, car c’était là une simple requête amicale et il en faudrait certainement beaucoup plus pour qu’il réalise ce qui animait véritablement le palpitant de la demoiselle. Ainsi elle attendit sa réponse en tordant sa bouche et ses doigts.
Elle ne voulait simplement pas le perdre.

Acquiesçant à la suggestion de Candice, Gilbert envoya un message à sa soeur pour la prévenir qu'il ne serait pas là à l'heure habituelle et donc qu'elle ne s'inquiète pas. Le téléphone dans la poche, il reportait son regard sur la jeune femme.
« Comme chien et chat. Même si c'est une dinde. »
Sa relation avec sa soeur était chaotique, contradictoire, mais aussi fusionnelle. Toujours à s'envoyer sur les roses, se provoquer mutuellement, se pourrir, mais jamais à se détester vraiment. Ils avaient grandis en se chamaillant et ne connaissaient que ça, presque. Leur amour, pourtant, était sincère et bien réel.
Candice assise à côté de lui, Gil lui laissa la place de bien s'installer confortablement, lui-même pliant une jambe pour pouvoir pivoter un peu face à elle et la regarder. Elle s'excusait mais lui ne s'était pas attendu à ça, il n'avait pas même pensé qu'elle devait lui en devoir. Il l'écoutait sérieusement, ne la coupant pas, mais ne pensait pas tout ceci nécessaire ; à tel point qu'à la fin, il n'eut pas la moindre hésitation ni réflexion sur sa propre réponse. Un sourire étirait ses lèvres et il lui répondait, le regard espiègle et rieur.
« C'était pas nécessaire de t'excuser, pour moi t'as rien à te reprocher, et on est toujours amis, non ? »
Sa main se tendit et il la posa sur son épaule pour la pousser légèrement, la taquinant.
« J'suis plutôt content que t'arrives à supporter et pardonner le fait que je sois con comme un balai des fois, et aveugle comme une taupe ! »
Un rire amusé s'envola. Gilbert savait comme il était, il savait qu'il était maladroit, parfois provoquait des malaises et ce n'était pas dans le but de causer du tort aux autres mais bien de les faire rire. Il se donnait pour des sourires et des rires, des yeux pétillant de plaisir. C'était ce qu'il préférait voir chez les gens.
« Bon, plus sérieusement, tu crois que tu as commandé assez de sushi pour deux ou faut adapter la commande ? J'mange bien, comme tu le sais. J'aurai l'occasion de te revoir venir discuter sur les stream d'ailleurs ? Y'a pas tant de filles et quelques habitués ont aussi remarqué ton absence, soit dit en passant. Y'en a pas mal qui t'aiment bien, mine de rien ! »
Plutôt content de voir que sa communauté était solidaire et très majoritairement positive, il songeait à tous ceux qui le suivaient depuis des années et l'encourageaient régulièrement, à ceux qui avaient su le porter jusque là où il en était ; Candice en faisait partie et pour ça, il lui serait toujours reconnaissant.

Les yeux grands ouverts de la demoiselle trahirent sa surprise lorsqu’elle vit le visage de Gilbert s’éclairer d’un sourire ; avait-elle dit quelque chose de drôle ? La réponse ne tarda pas à venir d’elle-même. Toujours amis ? Rien à se reprocher ? Candice aurait pu s’étrangler face à cet éclat quasi enfantin, mais la seule réaction qu’elle afficha fut la stupéfaction. A peine poussé par le streamer, elle s’étala dans les coussins dont le moelleux accusa sa chute, contemplant le Pantzer se marrer de la situation. Décidément, il ne cesserait jamais de la surprendre.
Tout en se redressant sur un coude, la brune souffla à son tour d’un air soulagé. Elle n’avait pas tout gâché finalement… Un poids s’échappait de sa poitrine à mesure qu’elle reprenait place sur le canapé, sa paume en quête de son téléphone tomber sur le plancher. Une plaisanterie fusa entre ses lèvres fines. Une petite vengeance comme un autre concernant Gil.
« C’est vrai que parfois je me demande comment je fais pour avoir tenu tant d’années à te regarder. »
Un ourlet malicieux ornant sa bouche, la belle regarda son voisin du coin de l’œil avant de lui donner un léger coup de coude dans l’épaule. L’humeur se voulait bon enfant en cet instant et Candice désirait réellement mettre à profit cette soirée pour se détendre à la suite des dernières rixes qu’ils avaient partagés ; la trêve avait commencé même si son cœur continuait de tirer une sonnette d’alarme.

N’oublie pas que tu l’aimes. N’oublie pas que tu l’aimes.

C’étaient les mots que répétait cet organe vital tout en battant à un rythme délicieusement affolé.
Le regard encré sur l’écran de son cellulaire, l’étudiante vérifiait le contenu de sa commande lorsque la remarque de son invité la sortie de sa torpeur. Sa bouche se tordit pour témoigner du doute l’habitant ; peut-être allait-il falloir compléter la commande en effet. Surtout quand on connaissait l’estomac de l’intéressé.
Sa silhouette se rapprocha du corps tout aussi fin siégeant à ses côtés pour que tous deux bénéficient d’un accès à la composition du repas.
« On peut la modifier mais faut faire ça vite !»
Cette proximité qu’elle avait malencontreusement instaurée, comme celle imposée lors de l'incident du bus, la mettait un poil mal à l’aise aussi songea-t-elle a un moyen de s’évader au plus vite.
"Ajoute ce que tu veux..."
Elle lui laissait ainsi le champ libre sur l’application, préférant se focaliser sur autre chose.  Elle s’était retenue pour inspecter davantage les phalanges du gamer, mais elle avait admiré la peau de celles-ci avec un certain intérêt ; décidément ça devenait de pire en pire. Pour se tirer de cette subite rêverie, Candice secoua vivement la tête en se détachant du sofa. Après avoir remis son phone entre les longues mains du streamer, l’hôte du jour se levait pour allumer son pc. Ainsi elle le brancha rapidement sur l’écran plus imposant situé au centre du salon puis lança un let's play quelconque sur lequel elle s’était rabattue suite à son « sevrage » de Gilbert.
Reprenant sa place, elle s’étira, l’air de rien. La question que son « ami » venait de lui poser lui apportait une certaine satisfaction, même si elle ne se leurrait pas pour autant concernant la nature de leur lien. Un air taquin sur les lèvres elle répondit donc.
« Hum… J’sais pas. Quand j’aurais le temps. »
Un ange passa.
" Mais oui, je reviendrais et ravie de savoir que je suis apprécié par ton fan club attitré."
Ses yeux pétillants d’une certaine malice, Candice se sentait brusquement toute puissante. Pourtant, sa plus grande faiblesse se trouvait à ses côtés et cette perspective vertigineuse la faisait profondément trembler en son for intérieur.
Son esprit dériva subitement sur une potentielle dispute entre eux et cette fois elle reprit son air songeur. Ce n’était pas de l’angoisse qu’elle percevait, mais purement de la peur, de la colère ainsi qu’une pointe piquante de jalousie. Oui, c’était ça…
Rien n’était gagner dans cette fichue « amitié », pas même l’avenir. Le doute toujours au cœur elle revêtit son attitude la plus naturelle en pivotant vers Gil.
« C’est bon ? T’as choisi ? Et j’espère que ce que j’ai mis te va.» Fit-elle en désignant la TV d’un léger coup de tête.

Le sourire fier qui avait étiré les lèvres de Gil en entendant la jeune femme se questionner sur sa propre fidélité envers sa chaîne de stream en disait long sur ce qu'il pensait. Parce qu'il était drôle, sociable, n'avait pas peur du ridicule ; parce qu'il était honnête, sincère, généreux et parce qu'il aimait ce qu'il faisait. Il n'y avait pas tant de secret en fait. Il s'acceptait comme il était et ne cherchait pas à plaire à la majorité. Le coup dans l'épaule l'amusa et il feignit de manière exagérée une douleur imaginaire, silencieusement, prenant un air outré, avant de s'arrêter et se pencher légèrement vers elle pour observer la commande. La proximité, le contact ; rien ne sembla le perturber à première vue. L'appel du sushi était le plus fort.
« Oh tu m'laisses le choix ? Ok, je vais faire vite. »
Vite, vite, c'était vite dit mais pas tellement vite fait. Les yeux sur l'écran, il ne releva que très brièvement le visage pour regarder Candice lorsqu'elle se leva avant de se concentrer à nouveau sur la commande. Ses doigts exploraient la liste des mets tandis qu'un sourire se dessinait sur ses pulpeuses. Gil pu choisir ce qu'il voulait et valida le changement de la commande avant de lever le nez vers la jeune femme. Il garda son téléphone dans la main, jetant un bref coup d'oeil malgré lui sur le lockscreen qu'elle avait choisit, puis il le posa sur la table basse devant lui, écran éteint. L'entendre dire qu'elle allait sûrement revenir dans la communauté lui plaisait. Pour certains vieux de la vieille, Candice faisait partie du décor et les boutades, plaisanteries, private jokes et autres gamineries que la communauté d'anciens s'était créés au fil du temps manquaient un peu de saveur sans la fille du coin.
« J'ai choisi et validé la commande, c'est nickel ! »
Les yeux suivant ses mouvements, Gilbert regarda ses yeux, son nez, son sourire, ses cheveux ; puis les mouvements de ses mains et sa tenue. Il finit par regarder l'écran, tirant une tête faussement déçue.
« Woaaah, tu me fais vraiment des infidélités en plus... Pourquoi t'as mis JollyonRag sur tous les Let's Play possible, il m'a éclaté en co-op la dernière fois... »
Joues qui gonflent, mine boudeuse, Gilbert regardait le jeu se dérouler devant lui tout en repliant les deux jambes sur le canapé et les mains capturant ses chevilles. La fameuse position du mauvais perdant qui boude inutilement pour emmerder son monde, technique déjà utilisée de nombreuses fois en stream pour faire le bébé. Mais... C'était possible ça, qu'elle puisse être amoureuse de lui ? Comment Milo pouvait savoir ? A quoi il le voyait ? C'était juste une amie, non ? Pour peu qu'ils le sachent, elle avait peut-être déjà quelqu'un dans sa vie, n'est-ce pas ? Elle était jolie et drôle, après tout.

Un sourire aux lèvres, Candice s’était tourné vers Gilbert, les deux pouces en l’air.
« Super ! » Fit-elle en récupérant son téléphone machinalement, préférant dissimuler le fait que son font d’écran n’était autre qu’une photo ridicule d’elle et Nadia en train de faire des grimaces immondes « La commande ne devrait pas mettre trop de temps à arriver. »
Comme pour confirmer ses dires, elle jeta un rapide coup d’œil à l’application puis reporta son regard sur l’écran de la télévision. Plus détendue qu’auparavant, elle laissa un rire sincère s’échapper de sa poitrine face aux commentaires de Gilbert ; celui-ci semblait profondément blessé, en témoignait sa posture de bébé qu’elle avait déjà maintes fois vu. La poitrine toujours animée par la même joie, Candice finit par se calmer pour le taquiner davantage.
« Ben t’a cru quoi ? Que tu étais le seul et l’unique que je regardais ? Je ne te pensais pas le genre à être jaloux. »
Même si tout ceci était une blague, Candice réalisa son erreur peu après avoir parlé. L’air un brin gêné, elle pria pour que Gil ne remarque rien et reporta son attention sur son téléphone.
« En vrai c’est juste que c’est chill… Puis ça me permet de me détendre le soir de regarder des streams. Ça me fait faire abstraction de ma journée, ça me fait rire etc… Et comme je te regardais plus à cause de la dispute fallait bien que je trouve une alternative. »
Un bref instant la brune songea qu’elle venait de passer d’une vanne douteuse à une confession dont il n’avait certainement rien à faire, aussi observa-t-elle son voisin en guettant sa réaction. Celui-ci semblait normal ce qui fut un véritable soulagement pour la demoiselle dont le regard se reporta sur le let’s play.
Après plusieurs minutes relativement calmes, rien n’était jamais parfaitement tranquille en présence du Pantzer, l’intello s’étira une nouvelle fois.
« Au fait, tu ne devais pas faire un live ce soir ? »
Une question simple, néanmoins efficace, légèrement booster d’égo, car s’il venait à répondre oui cela induirait qu’il avait bousculé ses plans pour elle, pour s’excuser. Certes Candice n’en demandait pas tant, mais elle devinait à travers cette mince possibilité qu’il puisse la placer légèrement, un tout petit poil, au-dessus de tout ceci, et elle aimait ça. Pour une fois dans sa vie, hormis ses amis proches, elle sentait cette connexion balbutiante avec le jeune homme qu’elle avait rencontré en ligne.
Il était bourré de défauts, maladroit, idiot, enfantin, pourtant elle trouvait qu’il avait cette partie étrangement séduisante de part cette nature. Attendant sa réponse, elle tourna ses deux iris dans sa direction, une risette heureuse sur les lèvres. Elle l’observa le plus naturellement du monde et les secondes passèrent dans un rythme délicat. Lui qui l’avait fixé durant de nombreuses minutes dans le bus devait désormais subir le même sort. Ils restèrent ainsi sans bouger, le sourire de Candice devenant plus discret au fur et à mesure des minutes ; il était vraiment très mignon.
L’instant vola en éclat lorsque la sonnette tonitrua dans tout l’appartement. Ni une, ni deux, les grandes jambes de l’américaine se déplièrent afin qu’elle coure jusqu’à la porte.
Elle accueillit le livreur, les joues légèrement rouges, puis récupéra le repas, non sans glisser un billet à l’intention du coursier pour le déplacement qu'il venait d'effectuer, ; son travail ne devait pas être facile après tout.
« Tenez. Merci beaucoup et bonne soirée à vous ! »
La porte se referma sur le conducteur de scooter puis la jeune Purnell débarqua dans son salon. Elle déballa la quantité astronomique de sushis sur la table, séparant chaque plat en fonction de son propriétaire ; cela recouvrait une bonne partie de la surface vernis du bois.
Poings sur les hanches, elle vérifia qu’il y eut tout avant de reprendre sa place, les baguettes à la main.
« J’ai rien loupé ? Il en est où ? »