« El’, je t’avais dit de t’occuper du ménage ! » Vous voulez rentrer dans mon univers ? Et bien vous y voici, la femme qui vient de me parler, c’est ma mère, âgée d’une vingtaine d’années lorsqu’elle m’a eu, enfin, mère était un bien grand mot, puisque je grandissais avec elle, mais on ne partageait absolument rien tous les deux. Elle passait bien plus de temps avec sa drogue qu’avec moi, elle se roulait plus de joints qu’elle ne me parlait, quand elle avait la gentillesse de me remarquer, de s’adresser à moi, c’était soit pour me demander de faire quelque chose, soit pour me reprocher quelque chose que je n’avais pas fait. « J’étais avec Connor, on jouait au basket… » La voix que vous venez d’entendre, c’est moi, un petit garçon de 7 ans, en temps normal, une fois rentrée de l’école, je faisais ce que ma mère m’avait demandé, je ne profitais pas de quelques minutes supplémentaires afin de jouer un peu plus avec mes copains. Mais aujourd’hui, j’avais fait les choses bien différemment, du haut de ma petite taille, je ne comprenais pas pourquoi, Connor, mon meilleur copain, pouvait rester quelques minutes à jouer dans le parc, tout comme je ne comprenais pas pourquoi, sa mère était là, présente à nous surveiller. « Je pensais pourtant avoir été claire, après l’école tu reviens directement ici et tu fais ce que je t’ai demandé ! » Le claquement qui avait précédé les paroles, était la main de ma mère arrivant sur ma joue, sans aucune douceur, mes doigts prenaient place directement sur ma peau, à l’endroit exact où j’avais mal. Au final, ce genre de situation c’était mon quotidien, aujourd’hui, elle avait pris comme excuse le fait que je n’avais pas respecté ses consignes, hier c’était parce que je n’avais pas nettoyé derrière moi après nous avoir fait à manger et demain, sans doute parce qu’en faisant le ménage j’aurais jeté une partie de sa drogue. Qu’est-ce que je pouvais lui dire ? Je ne faisais pas le poids face à elle, tout comme j’étais aussi en tort, je n’avais pas le droit d’aller jouer dans le parc et pourtant j’y étais allé quand même, même si je ne me rendais pas compte, que ma situation n’était pas, la même pour chaque enfant, pour moi c’était devenu normal. « Alors maintenant tu te dépêches et tu t’occupes du ménage ! » C’est une fois encore, le cœur lourd que je faisais ce qu’elle me disait, j’aurais très bien pu me tourner vers mon père, lui en parler afin qu’il m’aide, que je puisse au moins lui parler à lui, mais je ne le connaissais pas, je ne savais même pas s’il savait qu’il avait un fils. Jamais je n’avais entendu parler de lui, lorsque j’essayais d’en parler à ma mère, soit elle s’énervait une fois de plus contre moi, soit elle repartait pour une nouvelle tournée de sa véritable merde.

Mon univers, mes habitudes sont en train de changer, d’être bien différente, depuis quelques semaines déjà, j’ai été placé en foyer, le premier avait été à Détroit le temps d’une quinzaine de jours, le second à San Antonio, il y a une semaine. Depuis trois mois, les services sociaux avaient décidé de mettre le nez sur la situation familial que j’étais en train de vivre, probablement dénoncé par un de nos voisins ou encore l’une des mamans de l’école. Ma mère, je ne l’avais pas revue depuis que j’avais quitté la maison et je n’étais pas vraiment sûr que je la reverrais un jour, mais je ne pouvais pas non plus dire que cette idée me rendait malheureux. « Je vais te présenter à ma famille, si jamais tu as besoin de quelque chose, n’importe quoi, surtout tu n’hésites pas. » On venait d’arriver devant une maison d’un quartier de San Antonio, la femme qui était à mes côtés, est la mère de la famille dans laquelle je me retrouvais placé pour une durée indéterminée. « Salut le nouveau, moi c’est Justin. » « Et moi Kaitlin. » « Les enfants je vous présente Elias. » C’était assez impressionnant, je ne comprenais pas vraiment tout ce qui était en train de se passer autour de moi, mais en revanche une chose était sûre, c’était que cette famille avait l’habitude de recevoir un enfant, c’était limite normale pour eux, qu’un étranger comme moi se retrouve placé dans leur maison. « Bienvenue parmi nous Elias, moi c’est Daniel, je suis le mari de Judith. Tu fais ici comme chez toi. » J’avais donc la famille au grand complet devant moi, c’était assez impressionnant, ils semblaient tous unis les uns avec les autres, tous sans exception avait le sourire. Je devais être ici comme chez moi, est-ce que cela voulait vraiment dire que j’allais devoir continuer à faire le ménage, préparer le repas, m’occuper de tout ce que je faisais lorsque j’étais avec ma mère ? « Viens avec moi, je vais te montrer te chambre. »

« Tu es vraiment sûr que c’est ce que tu veux ? » J’étais dans cette maison depuis presque deux ans et j’avais trouvé ma place, si les premiers temps avaient été bien difficile pour moi, je découvrais le monde sous un nouveau jour. Rien n’était pareil, à commencer par le fait que je me retrouvais dans une véritable famille, que j’avais appris à les connaitre, Judith et Daniel j’avais fini par les voir comme mon père et ma mère, ceux que j’aurais aimé avoir, Justin et Kaitlin c’était mon grand-frère et ma petite-sœur que je n’avais jamais eu. « Oui, je suis sûr ! » Cette conversation, on l’avait depuis presque six mois, l’idée de m’adopté avait été lancé totalement à la rigolade, mais les jours avaient suivi et la plaisanterie était rapidement devenu du sérieux. Devenir officiellement membre de cette famille ? Bien sûr que je le voulais, plus que n’importe quoi au monde, je ne me voyais pas aller dans une autre famille d’accueil, ni même en foyer, ma place je l’avais trouvé ici. « Tu es conscient qu’une fois que les papiers sont signés, tu ne pourras pas revenir en arrière ? » Honnêtement, qui a douze ans pouvait avoir envie de revenir en arrière ? Moi pas en tout cas, je voulais aller jusqu’au bout de cette démarcher, il n’y avait pas de recule possible, cette famille voulait de moi, ils étaient tous d’accords pour que je devienne officiellement l’un des leurs, qu’ils soient ou non biologiquement mes parents ou mes frères et sœurs, je m’en foutais, à mes yeux ils étaient tout comme. « Daniel, je pourrais te demander quelque chose ? » Je ne savais même pas moi-même pourquoi je lui posais cette question, je connaissais déjà la réponse et son regard suivis de son signe de tête me le confirmais. « Est-ce que je pourrais m’appeler Philips moi aussi ? » Mon passé, mes origines, je n’en voulais plus, je n’avais plus envie de porter mon nom de famille, je ne voulais plus trainer avec moi les souvenirs passaient avec ma mère, de son héritage je n’en voulais pas, si j’étais adopté, je voulais recommencer de zéro. « Bien sûr que tu peux ! Puis Elias Philips, ça sonne bien tu ne trouves pas ? » Je ne pouvais qu’agrandir le sourire déjà présent sur mon visage, aussi loin que mes souvenirs remontaient, je n’avais jamais été aussi heureux que ce jour-là.

J’allais enfin pouvoir vivre l’un de mes plus grands rêves, partir à Harvard, qui avait accepté ma demande pour devenir l’un de leurs étudiants. Suivre une voix qui me plaisait, celle de l’art visuel, malgré ma maladresse, je pouvais compter sur mon côté naturel et divertissant dans ce milieu, puis mon côté tenace faisait que je n’avais peur de rien, si je devais me battre pour y arriver, je me battrais autant qu’il le faut. « Fais attention à toi petit frère. » Sourire aux lèvres, je m’approchais de Kaitlin, qui avait pris cette habitude de me différencier de Justin en m’appelant petit frère, même si j’étais plus grand qu’elle. « Ne t’inquiètes pas, tout va bien se passer. » « Et si tu as besoin tu sais qu… » « Que je pourrais vous appeler ! » Je n’avais pas pu m’empêcher de rire, j’avais tellement trouvé ma place dans cette famille, que j’étais capable comme maintenant, de savoir ce qui allait être dit, de lui couper la parole pour finir sa phrase. J’attrapais ma toute dernière valise que je mettais dans le coffre de ma voiture, celle qui allait m’aider à faire le trajet jusqu’à Boston, celle qui était mon premier véhicule et qui allait quitter l’air du Texas pour une toute nouvelle vie. « Profites bien mon grand. » « Merci Daniel. » « Amuses toi bien quand même, après tout, tu seras à Harvard ! » Je n’avais pas besoin de Justin pour me rappeler que je devrais en profiter, découvrir la vie nocturne là-bas. S’ils me laissaient tous partir, vivre ma vie, mon rêve, ils savaient tous que j’étais une personne qui était bien plus irresponsable que responsable, que je me laissais bien vite déborder par mon côté désorganisé, c’était sans doute ce côté-là qui faisait qu’il y avait une part d’inquiétude. « Comptes sur moi pour ça ! »

« Tu es vraiment sûr que c’est la bonne solution ? » Trois jours étaient passé depuis que l’une des filles avec qui j’avais couché un mois et demi au pars avant, était venue me retrouver, m’apprenant qu’elle était enceinte. Il y avait eu tellement d’information ce jour-là que je n’avais pas eu le temps d’imprimer tout ce qu’elle avait pu me dire, ce qu’elle attendait vraiment de moi. Trois jours durant lesquels je n’avais pas été capable de me concentrer, bien trop occuper à céder à l’angoisse qui me rongeait de l’intérieur, je ne pouvais pas devenir papa. L’idée même de laisser cette fille se débrouiller toute seule, m’était passé par la tête. Judith était venue à ma demande, complètement perdu par ce qui était en train de m’arriver. « Judith, je sais c’que sait que de grandir sans rien connaitre de ton père, j’peux pas faire ça à cet enfant. » Si j’avais trouvé ma place dans la famille Philips, que j’avais tiré un trait sur mon passé avant leur arrivée dans ma vie, je pouvais mieux que n’importe qui, savoir à quel point, pour un enfant il était difficile de grandir sans avoir des réponses à ses questions. « Tu es bien conscient qu’un enfant demande beaucoup de temps et énormément de responsabilité ? » Je ne me voyais pas une seule seconde être papa, m’occuper d’un bébé qui était le mien, seulement, depuis que j’avais eu les clichés de l’échographie, tout était venu s’embrouiller dans ma tête, parce que cette petite chose devenait réelle. « Je ne peux pas lui faire ça, j’en ai pas envie. » C’était une décision bien difficile que je prenais, mais je ne pouvais pas en prendre une autre, je savais que ma vie allait totalement changer, que j’allais devoir trouver mes repères avec elle. Que j’allais devoir grandir en maturité en un claquement de doigt et accepté des responsabilités que je fuyais depuis tellement longtemps. « Je trouverais un boulot Judith, mais je ne pourrais pas faire comme si de rien était, alors que je sais que j’aurais un enfant qui ne me connait pas. » « Et tes études Elias ? » Voilà une question que je ne m’étais même pas posé. « Je m’organiserais, je trouverais un job en dehors de mes études. » J’étais parfois un poil, irréfléchis, j’avais vraiment envie de me lancer, d’assumer les conséquences de cette nuit, mais j’ignorais encore que j’allais devoir apprendre bien des choses, que j’allais me retrouver à courir entre Harvard, mon boulot et l’appartement dans lequel je vivais, un logement que j’allais devoir aménager bien rapidement pour elle. « Si c’est vraiment ce que tu veux, Elias, tu sais que si tu as besoin avec Daniel on sera là pour toi. »

Je n’en revenais pas, bientôt un an pour ma petite fille et je venais de découvrir que la mère de celle-ci, que la copine avait décidé de nous quitter. Je l’avais découvert en rentrant chez nous, après être allé chercher Roxy à la crèche, des placards complètements vides, toutes ses affaires avaient disparus et il y avait cette lettre, ce petit mot. Je n’avais pas d’explication, elle me disait simplement qu’elle partait, rien de plus. Je n’avais jamais été amoureux d’elle, j’étais le premier à le reconnaitre, si on s’était mis ensemble, c’était pour notre petite fille, aujourd’hui je me retrouvais seul avec elle. J’allais devoir jongler entre mes études, mon boulot et Roxy, je savais à l’avance que ça n’allait pas être simple pour moi, vivant encore avec l’horreur des responsabilités. « Elle est partie … » C’était les mots que je disais à ma fille qui était en train de réclamer sa maman, alors qu’elle ne comprenait pas la réponse que je lui donnais. Je me sentais mal, sa première larme qui roulait sur sa joue me brisait le cœur en mille morceaux, je me sentais responsable de ça, parce que je ne pouvais pas lui ramener sa maman, je ne pouvais rien y changer. Je venais m’approcher de ma fille, la prenant dans mes bras, pour venir la serrer contre moi. « Mais tu vas voir, tout va bien se passer .. Ca va être toi et moi, on sera plus fort que tout. Je serais toujours avec toi. » J’avais ce besoin de le lui dire, elle ne le comprenait pas, encore une fois, mais elle devait le savoir, que moi l’irresponsable, je me refusais de laisser cette petite fille grandir seule, elle était ma fille, j’en étais amoureux, pour elle, j’étais prêt à abattre des montagnes.