Quand je me trouvais au travail j'étais une autre personne. Souriante. Aidante. J'arrivais à parler à tout le monde comme si je l'avais fait toute ma vie. Les clients étaient content de moi et le patron aussi. C'était ce qui comptait le plus pour moi. Je pouvais avoir un semblant de vie normal au travail. Comme si tout allait bien dans ma vie. Mais une fois la porte de la librairie franchie. Le voile sombre revenait au galop. Histoire de me remettre à ma place. Comme si je n'avais pas le droit d'être heureux. Comme si je devais subir ma peine toute ma vie. Le prix a payer pour avoir trompé la mort.
On ne s'y fait pas vraiment. Mais fallait vivre avec. Et j'avais trouvé comment faire. Se noyer dans les addictions. L'alcool. La drogue. Tout y passait. Mais au bout d'un moment on a plus les mêmes effets. On s'y habitue. Mais on continue. Parce qu'au fond ça fait du bien. Ça me laisse dans un monde flou. Où les visions ne viennent pas me hanter. Où les cauchemars ne gâchent pas mes nuits. Nuits qui sont bien souvent blanches et qui ne me laissent pas vraiment beaucoup de temps de sommeil. J'ai appris à suvivre. Je ne peux pas dire que je vis. Non. Je fais juste passer un jour après l'autre. En attendant le dernier souffle.

Je n'avais aucune attache. Aucune personne ne pouvait me briser encore plus. Personne ne souffriait de me voir partir du jour au lendemain. Et j'étais bien avec cette idée. J'avais beaucoup trop souffert d'être attaché à quelqu'un. Beaucoup trop donné. Je ne voulais plus de ça. Pourtant la vie réserve bien des surprises parfois. Et je n'étais certainement pas prêt à avoir celle qui allait m'arriver. La journée de travail finie. Instinctivement je me rendis au bar le plus proche. Pas envie de rentrer comme tout les soirs. Envie de rien. Juste de tout oublier dans un voir plusieurs verres. J'avais atterri dans un pub. J'y avais déjà mis les pieds quelque fois. Prenant place au bar je fis signe à la serveuse pour qu'elle vienne prendre ma commande. Une vodka. Sans rien d'autre. La première gorgée me brûla un peu la gorge mais me fit du bien au corps et à l'âme. Mon regard balaya la salle pour voir les têtes de gens. Mais quand je vis un visage qui ne m'était pas inconnu... Mon corps entier de crispa. Une brune. Elle venait souvent demander des conseils sur les livres. Et on avait beaucoup parlé. À la librairie seulement. Je me retourna pour lui faire dos. Je n'osais plus bouger. J'étais en train de prier n'importe quel dieu pour qu'elle ne m'ait pas vu. Et qu'elle ne vienne pas vers moi. Mais il faut croire qu'il n'y a aucun dieu sur cette terre...

On dit souvent que certaines personnes ont deux côté. Un lumineux et un sombre. Et la plupart de ses personnes ont tendance à cacher la partie sombre de leur vie. Pour ne pas faire peur. Pour coller un peu plus à la société. Je ne la cache pas. Je dois vivre avec jusqu'à la fin de mes jours. J'ai appris à l'apprécier au fil du temps. De ne plus faire semblant que tout allait pour le mieux dans ma vie. C'était une des nombreuses raisons de pourquoi je n'avais pas ou peu d'amis. Parce que quand on voit quelqu'un qui est ok avec sa part d'ombre. Ça fait peur. On a pas envie de passer du temps avec lui. De venir prendre des nouvelles car elles ne seront jamais bonnes. Le monde a besoin de son confort. De se dire que tout vas bien. Que les personnes qu'on connait vont bien. Ce n'est pas un truc que j'ai dans ma vie. Je m'en fou de savoir que tout le monde va bien. Parce que je sais qu'au fond ce n'est qu'une façade. Personne ne va bien. Tout le monde va mal.
Alors quand on vient vers moi et que je ne suis pas au travail... Je ne sais pas faire semblant. Je ne sais pas donner des sourires comme tout le monde le fait quand on rencontre des gens qu'on connait. Je ne vois pas l'utilité de montrer quelque chose qui n'est pas vrai chez moi. Soit tu m'accepte comme je suis soit tu passes ton chemin. Et quand Crystal vient s'installer près de moi j'aurais voulu qu'elle ne me reconnaisse pas. Qu'elle prenne son verre et qu'elle se pose à une autre table. Mais c'était trop tard. Elle m'avait parlé. Je ne pouvais plus reculer. Je ne pouvais pas partir comme un voleur. Elle m'en aurait parlé à la librairie lors de sa prochaine visite. Je n'aimais pas croiser des clients. Parce qu'ils ne voient pas le vrai moi au travail. Ils voient juste une marionnette qui fait des gestes et des sourires pour qu'ils soient heureux de leurs achats.
Mon regard se pose sur la brune. Sans sourire. Sans artifice. « Salut Crystal.» Je ne savais pas vraiment quoi dire. Ni si j'avais envie de dire quelque chose de plus. Mais je ne voulais pas paraître trop froid avec elle. Pour une fois. Et le côté un peu business aussi.  Elle était une bonne cliente. Ça serait dommage de la perdre. « Tu attends quelqu'un? » Dis-moi qu'une personne va arriver et que je pourrais retourner à mon obscurité. Seul.