Le sable s'effrite dans les paumes sèches, le soleil brûle à même le sang. C'est Medellín, le Barío Escobar, à la limite du désespoir, la mort à chaque coin de rue. Le sacre du crime de sang et de ceux qui disparaissent pour ne jamais revenir. Il est né comme tout les autres, dans une clinique modeste du centre du quartier, par une chaleur à en crever. Sa mère, aussi loin qu'il s'en souvienne, elle a toujours été seule. Pas de padre, comme tout les autres, seulement mama qui s'est battue jusqu'à la fin pour garder ce qui ne se vend pas ici, la dignité. Il a peut être jamais mangé à sa faim Isaac, mais au moins il a la fierté. La madre est morte y'a vingt ans maintenant, en mettant au monde Maria. Trop faible, trop usée, elle a abandonné en laissant les gosses tout seuls. C'est pas vraiment sa sœur la gamine, ils ont pas le même père, mais Dieu, ils se ressemblent tellement que s'en est troublant. Ils ont les mêmes yeux, les mêmes traits. Sa hermana, c'est sa raison de vivre, la prunelle de ses yeux. Ils ont jamais été séparés, placés ensembles dans le même orphelinat catholique, avec la croix contre le monde.  

Né dans la violence, guns shots tout les soirs et cris des loups hurlant à la Lune pour implorer des pardons qu'ils n'obtiendront jamais, Isaac il a eu la chance d'aller à l'école dès l'âge de six ans. Gamin vif, il s'extirpe de la rue grâce à l'éducation. Il sait lire et écrire l'espagnol, il aime les vieux bouquins et les grands auteurs. Il apprend à compter aussi, très doué pour les mathématiques, il additionne, soustrait et divise à une vitesse phénoménale, son plus grand atout. Cependant, comme tout ici, l'école est aux mains des narcotrafiquants, qui surveillent et influencent, recrutent surtout... À l'âge de quatorze ans, Isaac quitte le rang et arrête définitivement ses études, rejoignant le gang le plus puissant du quartier et l'un des plus dangereux de Colombie. Il a laissé Maria chez les sœurs de la Miséricorde parce qu'elles ont cette étrange réputation d'être intouchables. Il sait pertinemment que c'est faux mais ce mythe le rassure.

Le trafic, quel qu’il soit, paye bien, protège surtout et lui, il a des bouches à nourrir. Sa sœur, elle est peut être chez les religieuses mais l'argent, même si il est sale, aide toujours. À Medellín la protection coûte cher. Le gang c'est moche, violent, brutal. Il est plus Isaac le gamin aux rêves un peu trop ambitieux, il est Isaac la bête, l'ombre immense qui intime d'un seul regard le silence et les prières. Homme de main, tueur, receleur, dealer. Il est tout, et précieux pour le cartel car entièrement dévoué à cette organisation basée sur la misère du monde. A los pobres por los pobres. Isaac c'est un meurtrier, et pourtant, il a jamais réussit à faire taire sa conscience comme les autres. Ses cibles, c'est les tricheurs, les menteurs et les trop faibles pour se battre dans un monde ou la pitance du soir a valeur de trésor. Il touche pas aux gosses, il touche pas aux femmes, il touche pas aux innocents. La mauvaise personne avec les bons principes, ça le fait grincer des dents, il se déteste profondément sans se l'avouer réellement.

Il a pas fuit la Colombie, il a fuit son gang. Il s'est barré après un massacre d'innocents auquel il a été forcé de participer, sous la menace du flingue pour Maria. La fidélité à cran comme ils aiment à rappeler là bas. Personne n'a parlé de ce bain de sang de pauvres, trop corrompus ou terrifiés - probablement les deux - pour parler. Vingt quatre ans, il a signé son arrêt de mort avec sa disparition et il est recherché par le cartel depuis, sa tête est mise à prix depuis trois ans. Le gang c'est sa Némésis mais il s'est jamais rendu Isaac, parce qu'il sait que Maria n'est pas menacée, même si la gosse vit encore à Medellín. Le jour de sa fuite, il lui a promit qu'il reviendrait la chercher quand il aurait de l'argent. Ça fait trois ans qu'elle attend. Il ne lui a pas reparlé de vive voix depuis le massacre, seulement par lettres, ou bouts de papiers auquel elle n'a jamais pu répondre. Un pote d'enfance qu'il paye régulièrement veille sur elle depuis le quartier ou elle a quitté l’orphelinat elle aussi. Elle lui manque terriblement.

Isaac, il reste jamais deux jours au même endroit désormais, c'est un réfugié, un clandestin, parano comme jamais. Il a peur de la mort parce qu'il la connaît trop bien, il sait qu'elle fait jamais de cadeaux. En quittant la Colombie, il est passé par le Venezuela et le Mexique avant d'arriver aux USA illégalement, caché dans un camion avec un autre gars rencontré sur la route. Pote de galère et frère lié par le serment que de toute façon n'importe où c'était mieux que là bas. Ce mec est mort en traversant Tijuana, descendu par une ombre dont il sait même plus si c'était un douanier ou un gars comme ça. Cet homme s'appelait Isaac. Lui, en réalité il s'appelle Edoardo. Edoardo Valdez. C'est glauque mais ce faux blase le protège et le rassure. Comme si le vrai Isaac, du ciel, il veillait un peu sur lui.   

Il est arrivé à Boston à vingt six ans par la force des choses et des faux papiers corrects. Il voulait juste une grosse ville, une jolie ville pour Maria, pas dangereuse, avec la mer pour s'évader. Le soleil et la chaleur à la limite de l'insupportable lui manquent, l'odeur de poussière et de cannabis aussi. Isaac il a une vie ici aujourd'hui, un taf, et même si ça paye une misère, ça reste concret et c'est l seule chose dont il a réellement besoin. Il est docker pour le légal, parce que les gars sont comme lui, des perdus, des paumés, des abandonnés, qu'ils posent pas de questions et lui apprennent l'anglais - malgré son accent très fort et des difficultés avec la langue qui le trahissent - et que ça paye assez pour manger le soir. Quand la nuit tombe sur l'Harbor area il est dealer. Parce qu'on échappe pas à qui on est, qu'il a besoin de fric rapide pour Maria, même si les billets sont tachés d'ersatz de culpabilité. Dealer parce que c'est facile, qu'il connaît trop bien et qu'il a les contacts. Les petits cons d'Harvard et de Boston University s'arrachent sa came. Ils ont l'âge de sa sœur mais ça lui est égal.

Parallèlement, il est comme la majorité des latinos, catholique pratiquant et très croyant, Isaac va à l'église le dimanche, prie tout les jours, la croix autour du coup. La pendaison du repenti. Son chapelet est un cadeau d'une sœur de la Miséricorde, il l'a toujours sur lui. Il ira jamais au paradis Isaac, mais c'est la seule chose qui le rattache à un semblant de normalité ici.       

Anecdotes + Il est tombé amoureux à l'âge de dix huit ans, une gosse du gang pas pour lui. Trop belle, trop solaire pour la poussière de Medellín. Ils se sont aimé en secret pendant un an avant que ça ne se sache. Le père et le frère de Rosa lui ont éclaté la gueule, il a faillit y passer. Une grosse cicatrice sur l'arcade sourcilière gauche et une balafre immense sur toute la longueur de son torse, c'est ce qu'il reste de son amour. Il a jamais aimé correctement depuis. Il enchaîne les filles et s'attache pas, jamais. + Tatoué sur l'épaule d'un sigle trahissant son appartenance au cartel, il ne le montre jamais + Actuellement il squatte les quais avec d'autres gars, des clandestins comme lui dans un vieux hangar abandonné + Il écrit des lettres à Maria qu'elle ne lira probablement jamais. Il sait pas comment elle va mais il est sûr qu'elle est vivante. C'est cosmique comme lien, ça s'explique pas. + Il a sa petite reput' de dealer mais cache son visage avec un foulard. Isaac c'est un fantôme.