Elle est belle, vraiment belle, et pendant un instant je me perds à ne plus penser à Scarlett. Souvenir douloureux qui entaille encore mon coeur à chaque fois que j'y pense. Sauf là, sauf cette fois. Trop concentrée dans mon assiette, dans cette conversation, ou juste trop happée par la beauté métissée d'en face de moi. J'en sais rien, mais c'est une pause dans ma douleur constante et ça fait vraiment du bien. "C'est vrai que ça manque de beaux mecs..." rigole sans rien ajouter. La cabot, c'est un concentré de femme plus belle les unes que les autres. C'était la maison de Scar, avant que j'entre dans sa vie. Parfois je me demande si au fond c'est pas moi, qui l'ai détruit. Je me reconcentre sur ma salade, une nouvelle bouchée, demande si elle a un copain, une copine. Va savoir. Même si en réalité, vu qu'elle me semble intéressée, qu'elle ai quelqu'un ou pas dans sa vie ne changera strictement rien pour moi. "Je hum... Une copine ? J'suis hétéro moi tu sais hum..." Je la regarde, penche la tête. Vraiment ? T'a pas l'air hétéro depuis le début de cette conversation. Je souris en coin, le garde dans un coin de ma tête. "Hum non, non, j'ai rompu avec mon copain y a un petit moment et depuis, libre comme l'air..." j'hoche la tête, "pourquoi tu l'a quitté ?" il peut y avoir des tas de raisons possibles, et pour le coup, j'avoue que c'est principalement pour nourrir ma curiosité. Je replonge dans ma salade et la termine, souriant à Numa en face. Je sais pas si j'ai envie d'être douce ou plutôt de la mettre mal à l'aise, optons pour la meilleure options, jouons ça doucement pour le moment. "T'a déjà embrassée une fille ?" je ne la quitte pas des yeux, c'est juste pour savoir, après tout.

J'ai chaud, diablement chaud. Tant que s'en est inconfortable. Puis je sens le sang battre dans mes tempes, je stresse, pas sereine pour un sou. Ouais, j'suis hétéro. Tamsin penche la tête, arque un sourcil. Je suis pas bien convaincante. J'le vois bien, le petit sourire qui s'étire aux commissures de ses lèvres. J'suis une bonne blague ambulante. "Pourquoi tu l'a quitté ?" Elle reprend une bouchée de sa salade et puis sourit, pas de gêne, rien. Et moi, fébrile sur ma chaise. Puis j'sais pas quoi lui dire, pourquoi j'ai rompu avec Toni ? Je sais pas. Une partie de mon inconscient qui savait que j'étais pas si hétéro que ça. De l'ennui, un manque de passion, j'sais pas. Je hausse les épaules. "Je sais pas trop, on était fait pour être amis." A mon tour de finir mon repas et puis d'esquisser un petit sourire amer. Amis on ne l'est plus, plus du tout. Faut dire que je l'ai largué de la pire façon qui soit, un sms glacial, et puis je l'ai ignoré pendant des mois. En fait, je veux pas en parler, je veux plus qu'on parle de rien. Ou alors des sujets futiles : ton repas était bon ? où est-ce que t'as acheté tes bottines ? tu restes ici pour Noël ? Parce que je suis pas bien à l'aise, que je sens mon coeur qui s'emballe un peu et que, bordel, ma vie en ce moment c'est déjà assez un fiasco pour que je puisse au moins déjeuner en paix. "T'as déjà embrassée une fille ?" Je manque de m'étouffer avec la pomme que je croque. Oui. J'ai déjà embrassé une fille. Plus qu'embrassé même. Cali, ma meilleure amie de la nuit, alors que j'étais sévèrement amochée. Sujet tabou, si t'apprends à me connaître Tamsin, tu sauras que des choses dont on parle pas, chez moi y en a un tas. "Non, jamais." Je finis par mentir, en secouant la tête. Petit rire nerveux qui doit me trahir. "Mmmh, elle est succulente cette pomme !" Pitié de la futilité pour chasser ces drôles de papillons qui viennent me chatouiller le ventre. Et ma main qui vient gratter le dos de ma nuque, signe de mon stress qui doit définitivement vendre la mèche. Elle me fait peut-être de l'effet.

Plus j'observe ses réactions et plus je vois qui elle est. Plus je vois qui elle est, et plus ça m'amuse. C'est un petit jeu, de la déstabiliser, de voir sa gêne. Je m'amuse de sa gêne, en quelques sortes, mais elle m'en voudra pas trop, j'en suis persuadée. "Je sais pas trop, on était fait pour être amis." hoche la tête en souriant. On est jamais vraiment fait pour être amie avec ses exs, je sais de quoi je parle. J'arrête de parler ou de me renseigner sur mes exs. Temps perdu, inutile. Ils ne m'apportent rien. Tous. Presque tous. L'exception, mon unique exception, comme à chaque fois. La seule qui me hante encore, dans mes moments de solitude. "Non, jamais." Je rigole, "Impossible !" on a tous déjà embrassé une fille, même la plus hétéro de toute. Une soirée, un jeu, une connerie, et on se retrouve à embrasser une autre femme. Je fais semblant d'entrer dans le jeu, de la croire, alors que je plante ma cuillère dans ce tiramisu industriel. "Mmmh, elle est succulente cette pomme !" rigole, mange la cuillère qui vient d'être prise et attrape le pot dans lequel se trouve le dessert. "J'ai un gloss à la pomme, j'crois." innocente Tamsin, toujours les mots qu'il faut. Je me lève et je viens prendre la place disponible juste à côté de Numa. "Est-ce que t'aimerai essayer ?" regarde la demoiselle dans les yeux, les relâche un instant pour prendre un nouveau morceau de dessert. "D'embrasser une fille, j'veux dire." les yeux se replongent dans ceux d'en face, un sourire en coin des lèvres. Je ne fais que demander, c'est pas réellement une proposition, bien que si, quelque part.

"Impossible !" Ouais, c'est crâmé. Je secoue la tête en riant. "Sans compter le jeu de la bouteille j'veux dire." Même là, c'est un mensonge. Mais je souris, hausse les épaules, j'veux noyer le poisson. Tamsin hoche la tête. J'suis sûre qu'elle en croit pas un mot mais elle a le mérite de ne pas faire d'autre commentaire. Elle entame son dessert alors que je croque dans ma pomme. Ma vaine tentative de détendre l'atmosphère, chargé en hormones. "J'ai un gloss à la pomme, j'crois." Je hausse un sourcil alors qu'elle bouge de sa chaise, et en un bond, vient s'assoir à côté de moi. Damn, je me suis raidis d'un coup, droite comme un picquet. "Est-ce que t'aimerais essayer ?" Ses yeux noirs fouillent les miens, ils pétillent, elle s'amuse avec moi. Tamsin elle est légère, rieuse. Je suis au bord de la syncope, sérieux, mon corps sur-réagit. "D'embrasser une fille, j'veux dire." Elle replante ses deux yeux dans les miens, un petit sourire en coin. Je sens mon buste reculer, s'enfoncer dans ma chaise, je mets une distance respirable entre nous deux. Puis ma tête tourne, mes yeux regardent partout, voir s'il n'y aurait pas des petits curieux qui porteraient l'oreille, des gossips dans notre dos. "Je... hum." Petit rire nerveux qui accroît ma gêne au lieu de la dissiper. Pitié, l'alarme incendie, quelque chose. Normalement je suis Numa la tchatcheuse, les yeux de biche à battre des paupières très vite. Sauf que c'est qu'un jeu d'habitude. Là mon palpitant s'affole, je la dévore des yeux, puis... "Non, je... Enfin, pour rire mais je t'ai dit... je" Je bégaie, je bégaie. "Toi ? Toi t'as déjà embrassé une fille ?" Je tente de changer de sujet, je suis malhabile. Puis c'est pas comme si on divergeait totalement. Je viens chiper la cuillère que la brune tient entre ses mains et la plante dans le tiramisu, prends une bouchée. Un petit peu de mascarpone et de cacao au bord des lèvres. "Mmmm déli-chieux." Je marmonne. Vous savez ce qu'il y a dans le tiramisu ? Des oeufs et du lait. Je suis vegan. Putain, je déraille complétement.

C'est sur qu'elle a déjà embrassé une fille, ou au minimum elle a déjà été attirée par une sans réellement l'assumer. "Sans compter le jeu de la bouteille j'veux dire." Je rigole et hoche la tête, évidemment, le fameux jeu de la bouteille. "Je... hum." son rire la trahie tellement parfaitement que c'en est adorable. "Non, je... Enfin, pour rire mais je t'ai dit... je" j'hoche la tête, "J'sais ouais, hétéro, j'ai retenue l'information, t'en fais pas." souris, sans rien ajouter. T'es pas si hétéro, Numa, et ce n'est qu'une question de temps avant que tu le vois. De mon côté, c'est une question de patience, surtout. Je te montrerai qu'une femme, c'est pas si mal. "Toi ? Toi t'as déjà embrassé une fille ?" Hoche la tête, "Si seulement il y en avait eu qu'une." des tas, très certainement plus de femmes que d'hommes d'ailleurs, quand on y regarde à deux fois en arrière. Elle prend ma cuillère, se sert dand mon dessert et je la regarde faire, souriant. D'accord, donc hétéro ? Hm. Je prend note. "Mmmm déli-chieux." Je rigole et hoche la tête en regardant sa bouche. "J'voudrais pas te faire parraître moins hétéro mais.." attrape la serviette sur mon plateau en face et lui tends, "tu t'en es foutu partout." la tentation était grande mais tu vois, ces regards que tu jette aux alentours, je les vois. Je sais que ça te gène et j'ai pas envie d'être cette pression. Je souris, lui laisse mon dessert et me lève, attrapant mon plateau, "j'dois y retourner, mais on s'revoit bientôt ?" bientôt quand tu veux, sur la serviette, y a mon numéro. Je suppose que la balle est dans ton camp. On reparlera de ta sexualité après que tu m'ai envoyer ce texto, je suppose.

"Si seulement il y en avait eu qu'une." J'ai peut-être pas l'air, toute repliée sur le dossier de ma chaise, mais je bois ses paroles. Je veux être comme elle, décomplexée, bien dans ses pompes. Je dérape, vole sa cuillère, plonge dans son tiramisu. Du grand n'importe quoi Made in Numa. Elle rit, m'en veut pas. "J'voudrais pas te faire parraître moins hétéro mais... tu t'en es foutu partout." Elle me tend une serviette. Une partie de moi aurait adoré qu'elle vienne essuyer la commissure de mes lèvres avec le bout de ses doigts, mais la Numa raisonnable, consciente, sur le qui-vive, soucieuse du regard de tous ces gens, massés à la cafétéria, cette Numa là, attrape la serviette avec soulagement. Je m'essuie la frimousse, honteuse, les joues pourpres. "Merci." Je glisse, penaude alors qu'elle pose son dessert sur mon plateau et se lève. "J'dois y retourner, mais on s'revoit bientôt ?" Je réponds pas, je souris juste alors que sa petite tête brune s'éloigne, dépose son plateau et file vers le Grand Hall. J'suis toute seule à table, avec mon coeur qui ralentit, progressivement. J'ai l'impression d'avoir couru le marathon. Je prends le petit pot de tiramisu et le renverse dans mon assiette, encore écoeurée d'y avoir touché. Et je remarque la série de chiffres, griffonnés sur la serviette. Quelques regards autour de moi et je la glisse dans mon sac, vite, ouf, personne n'a l'air de m'avoir vue. Je finis ma pomme et file en cours. Mais j'sais que mon cerveau aura du mal à se concentrer sur la théorie de Schumpeter, toutes mes pensées iront à une petite brunette mangeuse de tiramisu.