J’ai le droit de refuser les médocs apparemment. C’est ce que tu me dis. Mais est-ce que c’est un truc de psy? Un genre de psychologie inversée pour me faire croire que j’ai le choix alors que je ne l’ai pas? J’en sais rien. Mais j’cherche pas plus loin. "J’vais les prendre." J’vais les prendre parce que c’est ce que tu conseilles et que mine de rien, je te fais confiance. C’est grâce à toi que j’ai retrouvé la mémoire. J’te le dirais sûrement jamais mais y’a un lien vraiment particulier qui m’unit à toi. Comme si… j’sais pas, t’étais le gars qui m’avait sauvé la vie. Tu me rappelles mon comportement à notre première séance — catastrophique — et j’hoche doucement la tête. "Oui j’vais essayer…" Même si Hae-Seong est secret, je sais qu’il est comme moi et que si y’a bien quelqu’un qui peut l’atteindre et le faire s’ouvrir, c’est moi. Fallait juste que je trouve un moment adéquat pour lui parler vu qu’on était un peu en froid en ce moment. Et j’m’excuse, même si t’en as pas besoin. C’est important d’être reconnaissant, de montrer sa gratitude. J’m’en suis rendu compte avec le temps. "Quand j’serais totalement guéri et sorti de tout ça…" Tout, entièrement tout. "On continuera à se voir? De temps en temps?" Genre… Histoire de maintenir le lien. Que j’ai toujours cette personne à qui passer un coup de fil en cas de besoin, d’urgence, vers qui me tourner quand tout me tombe dessus un peu trop fort.

J’hoche la tête à ta proposition concernant mes somnifères. "J’pense qu’on peut arrêter oui." J’ai Vega qui dort souvent avec moi maintenant et ça m’apaise, d’avoir quelqu’un avec qui dormir. J’dirais pas que je suis totalement en paix mais… c’est bien mieux qu’avant. "Puis, je fais moins de cauchemars depuis que j’ai re-piloté. Alors ça ira." Oui, à force de le répéter, je finirais par y croire non? En tout cas, on est sur la bonne voie de guérison je pense, et au fond de moi, j’espère qu’on continuera quand même ces rendez-vous, que tu continueras à me suivre même si tout à l’air d’aller bien parce que… on sait jamais? Je sais pas. Peut-être que ça me rassure de savoir que tu seras toujours là si j’ai besoin de me confier, que j’y arrive pas avec mes proches, que j’fais des conneries. Que je sache qu’il y ait quelqu’un, là, sur Terre, pour m’accueillir dans son bureau si quelque chose d’inattendu part en couilles. Je ris doucement et roule des yeux quand tu avoues ta surprise suite à mes mots. Ouais, jamais j’aurais cru apprécier nos rendez-vous et notre relation. Mais faut croire qu’on s’attache à son psy. À la personne qui devient notre pilier, à qui on se confie sans avoir peur d’être jugé. Alors en guise de réponse, je t’offre un simple sourire. "Merci." Que veux-tu que je dise d’autre? J’suis pas très doué avec les déclarations. Et un merci, ça en dit long, crois-moi.

Tu me félicites, tu fais limite mes éloges et ouais, j’peux pas m’empêcher de sourire, d’être limite un peu gêné par tous tes jolis mots. J’en ai pas l’habitude en fait, j’ai pas l’habitude d’être un livre ouvert avec les autres comme j’le suis avec toi donc c’est touchant, d’un côté. "J’vais me retenir de le dire haut et fort parce que j’ai pas vraiment envie que ça se sache mais… merci." Je souris à nouveau. Tu comprends, j’ai une réputation à préserver, j’veux pas qu’on entende dans les couloirs que j’suis un ancien addict ou que j’suis dépressif. Tu finis ton repas en même temps que je finis mon Milkshake et tu reprends la parole concernant la suite de nos échanges. Sur un ton plus léger d’ailleurs, alors je ris un peu. "J’espère ne plus faire d’aussi grosses conneries. C’est peut-être con mais j’me dis que je vais être… sérieux? J’ai envie de faire ce que j’aime, me poser, éviter de me prendre la tête avec des conneries. Ça fait de moi un idiot fini?" Un papy qui prend racine dans sa routine qui lui convient? Non, j’veux toujours dépasser mes limites, je reste le même gars, mais disons que je veux être plus responsable.

Mine de rien, moi aussi j’suis content qu’on ait pu s’entendre. Ça n’a pas toujours été facile, la rencontre avait même été catastrophique, mais c’était toi qui m’avait aidé. Pas ces visites de contrôle à l’hôpital, pas ces séances de rééducation cérébrale — mon cerveau allait bien, c’était ma mémoire qui me faisait défaut. C’était toi et toi seul qui avait su trouver la bonne méthode, les bons mots, les bons endroits où frapper pour que ça fasse mal, pour que je parle, pour que le déclic se fasse. Et j’crois que, même si j’avais du mal à exprimer mes sentiments, j’t’en remercierai jamais assez. J’te remercierai jamais assez pour tout ce que tu as pu faire pour moi, de n’avoir jamais abandonné — parce que t’aurais pu, plus d’une fois. J’étais un patient horrible, deux pas en avant et quatre pas en arrière chaque nouveau jour. Et pourtant, même si aujourd’hui tu m’avais diagnostiqué dépressif, je considérais ça comme une bonne séance. Paisible, facile. Et rassurante, mine de rien. Je ris doucement et secoue la tête. "T’avais pas à payer pour moi, mais merci. Et ouais, mais non, les gosses j’crois que c’est pas pour moi. J’t’ai dit que j’étais devenu parrain? Une de mes meilleures amies a accouché, des faux jumeaux, je suis parrain de la petite fille." Et depuis, je tolérais un peu mieux l’idée de gosses, mais quand même, de là à être père… J’étais déjà pas responsable de moi-même alors d’un bébé qui dépend totalement de moi? Non merci. "Et faut encore que je trouve ma voie, ma carrière. Tu fais pas conseiller d'orientation à tes heures perdues aussi?" que je plaisantais doucement. Je sais toujours pas quoi faire de ma vie, c’est chiant. "Mais merci de me rassurer sur le fait que je ne deviendrai jamais un gars monotone et chiant à mourir." Petit clin d’oeil vu le ton ironique que je prenais, sourire amusé aux lèvres.

Je te parle de la petite Addison, ma filleule qui vient à peine de naitre – beaucoup trop tôt d’ailleurs. Tu me dis que passer du temps avec elle me fera du bien, que ça peut réellement m’aider et je souris. Même si ça ne m’aidait pas nécessairement, j’pourrais pas m’empêcher de vouloir la voir et la chouchouter. J’aime pas les enfants, je déteste ça même mais… le fait que Meghan m’ait fait confiance, assez pour me nommer parrain, et qu’elle soit une de mes meilleures amies, ça me fait quelque chose, le fait qu’elle donne la vie, qu’elle devienne maman. J’change pas d’avis, j’trouve que c’est trop tôt à 19 ans, mais c’est son choix et tout ce que je peux faire moi, c’est d’être présent pour la soutenir du mieux que je peux. « Elle a accouché prématurément, elle n’était qu’à cinq mois… On espère qu’ils vont s’en sortir, mais j’ai confiance. » Ils peuvent pas ne pas s’en sortir, ils sont forts, comme Meg, et j’ai foi en eux. « Du coup, j’ai vu que des photos pour l’instant parce qu’ils sont sous couveuses mais… j’ai trop hâte de pouvoir la prendre dans mes bras. » Est-ce que j’vais être un parrain gaga ? Oui. Sûrement. J’le suis déjà un peu. Mais j’y peux rien. Pourtant j’m’imagine toujours pas père, c’est bizarre non ? Peu importe, c’est pas le moment pour me poser la question de toute façon. Faut d’abord que je finisse mes études ou que je trouve un job qui me plaise, parce que pour l’instant c’est la catastrophe de ce côté-là. « Tant mieux alors si t’as trouvé ta voie. Et que je t’ai pas fait peur pour le reste de ta carrière. » dis-je en riant quelque peu, terminant mon milkshake. J’te remercierais bien encore pour ton travail, mais ça serait un peu too much à mon goût, alors je me contente de te sourire et me taire.